François Allain : Rien que pour vos yeux

Il s'en est passé des choses depuis ses premiers papiers à la fin des années 1980. Des évolutions aussi dans les médias depuis l'avènement de M6 Turbo et Auto-Moto. Au point qu'on aurait eu bien du mal à imaginer un jour que ce journaliste de plume allait devenir l'animateur de Vintage Mecanic, cette fiction de divertissement consacrée à la restauration de véhicules qui cartonne depuis plus de cinq ans sur la chaîne RMC Découverte. Soixante épisodes plus tard, la sixième saison en tournage, un arrêt de quelques semaines pour une petite “Covidescence *”, l'animateur journaliste n'est pas peu fier de son travail d'équipe. « A chaque diffusion, c'est sept ou huit fois l'équivalent d'un Stade de France que nous remplissons, confie-t-il, des centaines de milliers de passionnés qui s'installent, comme à la grand-messe, devant leur écran pour suivre mes aventures et celles des restaurateurs-garagistes. » Car élargir la cible était une prouesse. Ouvrir la collection et le Grand Tourisme à un public de non-collectionneurs, voire de non-passionnés, une vraie gageure. Au point qu'enfants, adolescents et même public féminin se laissent désormais séduire par le show scénarisé comme une véritable histoire. Un message d'espoir, dans un monde liberticide mené par l'autophobie, se réjouit l'animateur.« Finalement, je n'ai pas été totalement surpris par le succès, sourie-t-il. Car j'ai toujours cru en l'éternelle jeunesse et à la bienveillance des passionnés. Les collectionneurs s'intéressent en premier lieu aux véhicules de leur enfance ou aux histoires de leur famille. Les véhicules d'époque sont donc avant tout des jouets pour grands qu'ils utilisent pour les sorties, rallyes et balades. Ils sont aussi des bulles de liberté et un retour à une pure automobile non aseptisée. » Ils sont enfin le témoignage d'un savoir-faire et d'une histoire. En France, au début du XXème siècle, il y avait plus d'un millier d'artisans constructeurs d'automobiles et beaucoup plus encore pour les deux-roues avec ou sans moteur. « D'ailleurs, ce que je préfère c'est raconter ces épopées », commente-t-il l'air rêveur. Plus que des histoires, la volonté de François est d'être aussi reconnu comme un véritable historien avec un grand H, spécialisé dans le patrimoine roulant. En scénarisant des restaurations de véhicules de collection, il recherche aussi les faits du passé. Reconnu par ses pairs en tant qu'éditeur et écrivain avec plus d'une quinzaine d'ouvrages historiques à son actif, il souhaite depuis longtemps mettre en avant la tradition du savoir-faire français. Et ce ne sont pas les équipes de garagistes restaurateurs de l'émission qui diront le contraire. ODS Automobiles, le garage Peanuts Butter, le garage Speed Bike, l'atelier Ares, l'atelier des Chevrons, Jeep Village, Lady Art Car, PN Classic ou encore le 2CV Méhari Club de Cassis.

De là à faire naître de nouvelles vocations, il n'y a qu'un pas. « Récemment la jeune maman d'un garçon de cinq ans est venue me voir, rappelle-t-il, touché. Elle a demandé à son fils le métier qu'il voudrait faire plus tard, l'enfant a répondu sans hésitation : “Olivier de Vintage Mecanic” ! » Chez Céline de Lady Art Car, c'est aussi la tendance. « Après avoir fait l'école Boule et travaillé chez de grands faiseurs, explique-t-elle, je me suis lancée dans la restauration avec mon mari David, aujourd'hui nous avons créé une dizaine d'emplois avec notamment trois femmes à l'atelier sellerie. » « A chaque diffusion de Vintage Mecanic, c'est sept ou huit fois l'équivalent d'un Stade de France que nous remplissons. » C'est autant de belles récompenses pour ces différents acteurs du métier. Dans la dernière saison en date de Vintage Mecanic, François avait tourné un épisode au GARAC. L'école nationale de la profession réunit pas moins de 1 460 jeunes formés en 2020. Cet épisode a permis d'associer une dizaine de jeunes à la restauration d'une Audi-NSU RO 80 à moteur Birotor Wankel. La première fois que François a mis les pieds dans la cour de l'établissement, il était clairement le héros des 18/21 ans, fans de son émission. La force de cet épisode, c'est qu'il a su associer ses cheveux poivre et sel à la transmission du savoir vers les jeunes. « C'est ma petite contribution aux transferts de compétences, souligne-t-il. Savoir, volonté d'agir, travail durable et passion pour les véhicules. Ces autos sont les témoins de notre Histoire. J'appelle ça la transmission positive vers l'avenir pour notre patrimoine roulant. Et je me bats aussi contre l'idée reçue selon laquelle ces métiers seraient vieillots. Ces jeunes ne travaillent pas sur des “vieilleries”, ils sauvent des sculptures roulantes, des heures de travail d'artisans ou d'ouvriers, d'ingénieux et d'ingénieurs ; ils développent le respect de notre culture, ainsi que notre richesse artisanale et industrielle. » Un moyen selon lui de sortir aussi du « tout jetable » ou du « non réparable » actuel, où les autos sont toutes vouées à finir recyclées avant leurs dix ans. « Les véhicules d'époque doivent être préservés, ils sont le témoin d'un passé, et leur présent s'évertue à lutter contre l'obsolescence non programmée par nos aïeuls. Ils sont un moyen également de sortir de l'entre soi. Grâce aux réseaux sociaux, on peut désormais partager nos passions avec un plus large public encore plus jeune et plus féminin. » Le héros de Vintage Mecanic l'a bien compris, le monde des collectionneurs évolue. Il est poussé par la force de la télé mais aussi par Instagram et Facebook. Pour les non-collectionneurs c'est une aubaine qui leur permet de développer une sensibilité vintage, pour pourquoi pas un jour rejoindre la grande famille des fanas d'auto ? C'est peut-être aussi pour cette raison que François n'hésite plus désormais à prendre des risques.

« Je savais qu'en faisant une émission sur le RetroFit, cette technique d'électrification des véhicules anciens, je me heurterais aux puristes. Mais la pratique légalisée par un arrêté publié au Journal Officiel le 13 mars 2020 se répand partout. » En Allemagne, en Angleterre, aux USA et dans plus de quarante autres pays. Certes la transformation des véhicules à motorisation thermique en motorisation électrique a de quoi choquer les aficionados du matching number. Mais le texte prévu par la loi autorisant la transmission en toute sécurité un modèle thermique (qu'il soit à essence ou au diesel) en véhicule électrique à batterie ou à pile à combustible, aura peut-être l'avantage de permettre de prolonger la vie des voitures anciennes de grande diffusion. « Citroën 2CV, Renault 4, Fiat 50 0, Austin Mini, Vespa 40 0 ou Coccinelle pourront ainsi continuer à exister dans les ZFE, ces zones à faible émission qui tendent à se développer un peu partout. Il manquera à ces autos leur sonorité caractéristique, mais peut-être généreront-elles des nouveaux métiers de bruiteurs, plaisante-t-il. Je ne vois pas en tout cas l'intérêt de généraliser cette technique à des monuments comme la Jaguar Type E, la Porsche 911 ou d'autres voitures de sport. » Transmission mais aussi démocratisation. Pour François Allain, la collection ne s'adresse pas qu'à une élite. « Tout n'est pas que question de bourse, mais principalement d'esprit, un exemple illustré par le tarif des assurances “véhicules de collection” qui sont beaucoup plus accessibles que pour nos modernes. Pour ceux qui ont plusieurs véhicules - nous ne roulons qu'avec une seule auto ou moto à la fois - les tarifs sont très dégressifs, les véhicules de collection ont peu de sinistres et les collectionneurs prennent grand soin du patrimoine à transmettre ; ils sont attentifs à eux et aux autres. Un véhicule de collection entraîne la sympathie dans les regards, des sourires sur les lèvres et de la tolérance du public. Nous ne sommes pas “d'affreux cochons de pollueurs”. » Une autre belle illustration de cet amour des anciennes est apparue lors de la Normandy Beach Race à Ouistreham Riva-Bella, fin septembre 2020, lors du tournage consacré à la Peugeot 201 transformée en Hot Rod. Une belle leçon d'huile de coude pour Vintage Mecanic. François Allain a assisté aux félicitations du maire à l'équipe organisatrice. Cet évènement a attiré un public familial et convivial, rendant à la mairie la plage plus propre qu'elle ne l'avait trouvée en arrivant. « Le dimanche après-midi, tout le monde l'a nettoyée avant de repartir », rigole François Allain. Respect et bienveillance sont les meilleurs atouts pour conduire et partager notre passion de notre patrimoine vivant roulant. « Contre mauvaise fortune, bon cœur » est également une expression chère au cœur de l'optimiste François, continuer malgré les difficultés, faire des compromis et ne pas se décourager. « Sens civique, esprit convivial, refus des clichés et des clivages, voici ce que j'apprécie le plus chez les passionnés », précise François, l'HistAutorien... que pour vos yeux.