Chanel : à jamais la première
1987. La Chine atteint pour la première fois le milliard d'habitants. Un jeune animateur, aujourd'hui âgé de 75 ans, déboule sur M6 pour le pilote d'une nouvelle émission : Turbo. Erasmus est adopté, tandis que Dalida s'éteint en même temps qu'Andy Warhol et Lino Ventura. Pendant ce temps, à Paris, Chanel fait un pari fou : l'ouverture d'une nouvelle boutique avenue Montaigne.1987 : la nouvelle boutique Chanel avenue Montaigne ouvre…avec une seule montre à vendre
Elle n’y propose qu'une seule et unique montre. Son nom ?
La Première. Chanel, il y a 35 ans, c'est cela : une audace insensée, une propension naturelle à s'engouffrer dans l'évidence avec une luminosité qui frise l'indécence. Alors que les marques horlogères s'enhardissent de formes et fonctions délirantes (la montre-calculatrice, la montre-télécommande), Chanel en crée une d'une simplicité déroutante mais d'une justesse inégalée.Son design aurait pu être aussi disruptif que le tailleur dessiné par Gabrielle Chanel 30 ans plus tôt. La montre Première s'en détache avec un naturel désarmant : les lignes de son boîtier reprennent celles du bouchon du flacon du N° 5. Le parfum emblématique si cher à Marilyn Monroe s'inspirait lui-même des divines proportions de la place Vendôme. Pourquoi chercher plus loin ? Il en ira de même pour l'habillage de la pièce. Chanel se pose la question d'un bracelet acier ou cuir.
À cette époque, le caoutchouc devient furieusement tendance : une jeune start-up, créée en 1980, attaque bille en tête le marché du luxe horloger en proposant des boîtes en or avec des bracelets caoutchouc. Son nom : Hublot. Mais Chanel n'en a cure. Et entre cuir et acier, la maison choisit… de ne pas choisir. Car après tout, l'alliance du cuir et de l'acier n'est-elle pas déjà la signature de la chaîne entrelacée de son sac matelassé ? Une fois encore, Chanel s'inspire de l'évidence.Mais à ce registre, rien ne dépassera le nom donné à la première montre Chanel. En cette année 1987, les nouveautés s'appellent Othello (Raymond Weil), Pythagore (Ardath Genève), Apogée (Colani), Rivoli (Cartier), Celestial (Citizen) ou encore Monte-Carlo (Chopard). Chanel ne suivra pas ce pompeux lyrisme. Et sa première montre se baptisera…la Première. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Cette question - et sa réponse induite - a présidé à la naissance de la montre la plus simple d'apparence, mais la plus détonante de son époque. Elle résumait avec limpidité le caractère intemporel d'une création Chanel. Quelque 35 ans plus tard, la Première n'a d'ailleurs pas changé de nom ni de style. Elle s'impose toujours avec la sensibilité que lui donnait alors Jacques Helleu, directeur artistique historique de Chanel, décédé en 2007. Arnaud Chastaingt, qui en assume la succession, en propose aujourd'hui une version anniversaire, à peine remaniée. MH
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