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Poupon – Danon – Arthaud : un dernier Rhum pour Flo

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Poupon – Danon – Arthaud : un dernier Rhum pour Flo
© Fabrice Berry - DPPI & DR
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Onze heures. Heure locale. Sous un soleil de plomb et dans une chaleur suffocante, comme en plein calme blanc, nous arpentons le quai Éric-Tabarly, sorte de Walk of Fame* du port brestois. La première plaque de bronze que nous croisons au sol est dédiée à Florence Arthaud (heureux présage pour un début de reportage où elle a une telle importance). L'empreinte de ses mains, de petite taille mais très musclées, signale aux passants sa prouesse de 1990.

Pierre 1er , devenu Lakota, est revenu des antipodes pour une nouvelle Route du Rhum et un hommage attendu

Quand elle remportait la Route du Rhum, à bord d'un trimaran nommé Pierre 1er (un groupe immobilier-sponsor titre). Florence, la fiancée de la mer (voir encadré), ne sera pas au rendez-vous. En revanche, nous allons rencontrer deux de ses amis, couple de tendres complices dans la vie et au-delà des mers. Géraldine Danon et Philippe Poupon viennent de poser leurs sacs en Bretagne pour quelques jours. Lieu de vie retrouvé, camp de base mais aussi point de départ d'une nouvelle grande aventure. Elle sera cinématographique pour Géraldine, maritime pour Philippe, mémorielle pour eux deux. Flo , le nom du prochain film de fiction réalisé par Géraldine, dont les premiers plans ont été tournés fin juillet à Saint-Malo, rendra hommage à son amie, Florence Arthaud.

Marraine de son fils aîné, confidente et joyeuse complice, amie-sœur, Flo manque à ces deux-là au point qu'ils ont décidé de raconter la navigatrice à leur manière. .. la plus fidèle et sincère qu'ils lui doivent. C'est pour parler de ce travail en cours, du projet de Route du Rhum qui l'accompagne, que nous sommes ici. Philippe vient de terminer le convoyage du bateau avec lequel Florence a couru et remporté la Route du Rhum en 1990. Celui-ci a fait un long voyage, sa vie de plus que trentenaire a été tout aussi mouvementée que les furies qu'il a dû affronter. Mais il est encore un navire de compétition de haute lignée. C'est Philippe, les yeux fatigués par une navigation difficile lors des derniers cinq jours mais malgré tout souriant, qui nous dit : « L 'idée nous est venue fin 2020. Géraldine a lancé cette idée de film et nous nous sommes mis en quête du multicoque de Florence. Nous savions qu'après avoir été la propriété de Steve Fossett (NdR : il se hissera à la 5e place de la Route du Rhum avec le bateau rebaptisé Lakota, en 1994) , le bateau avait été revendu à un Français de Hong Kong et était basé aux Philippines. Il l'utilisait comme bateau de croisière sportive. Par l'intermédiaire de relations on retrouve le propriétaire qui accepte de nous le vendre. Un propriétaire français, Philippe Brillault, a joué le jeu en finançant l'achat. .. Et il s'est chargé du convoyage depuis les Philippines jusqu'en Méditerranée. » Un convoyage compliqué avec de nombreuses avaries moteur. Obligeant, après une première halte à Singapour pour des problèmes de fuel, le nouveau propriétaire, son skipper et un marin qui complète l'équipage, à réparer une première fois le moteur du bateau dans une escale forcée d'un mois au Sri Lanka. Puis une remise sérieuse en état à Djibouti, à l'autre bout de l'océan Indien. Le travail n'avait pas été très bien fait. Cette fois tout est OK avec une vraie révision à moteur ouvert. Une fois en forme, le bateau et son équipage ont dû affronter une tentative de piraterie au large des côtes du Yémen. Philippe Poupon raconte : « En mer Rouge, ils ont été mis en difficulté. Là, ils ont commis malgré eux une erreur, en s'approchant trop près des côtes du Yémen, infestées de pirates. Deux bateaux à moteur leur ont donné la chasse avec des hommes armés à bord. Quelques coups de feu ont été tirés vers le mât et les haubans. Peut-être dans une tentative de couper les drisses… L ' équipe n'est pas restée sans réagir et ils ont pu temporiser puis se débarrasser des voyous. Bref, ça a été chaud et par bonheur, un bâtiment de la marine italienne a pu venir à leur rescousse. Alors qu'ils avaient réussi à éloigner les pirates une première fois. On peut penser que le bateau - d'une grande valeur - avait été signalé depuis Djibouti. .. Bref, ils s' en sont sortis. » Il raconte ça avec le flegme et la sagesse des hommes ridés aux fortunes de mer. Le bonhomme n'est pas expansif mais on comprend que ce projet, qui aurait pu capoter à ce moment précis, lui tient à cœur. Autant qu'à Géraldine qui nous parle de son film : « Cette envie de rendre hommage à notre amie, nous la portons à deux. Je fais beaucoup de films documentaires et là je change de registre pour aller vers la fiction. Je ne voulais pas faire un biopic traditionnel. Et nous allons raconter une vraie histoire, en la dédiant à l'héroïne que nous évoquons et à qui nous faisons vivre. .. une histoire. De mer, de bateaux, de voyages et de courses évidemment. Parallèlement à ça, Philippe revient sur la Route du Rhum avec le bateau de Florence. Ce sera lui aux commandes durant la course et ce sera une vraie participation. » Philippe vers qui on se tourne alors répond en indiquant : « J'ai gagné le Rhum en 86, j' étais deuxième derrière Florence quand elle a gagné en 9 0, le bateau rebaptisé L akota s' est illustré de nouveau avec Steve Fosset en 94. Il y a déjà là matière à raconter. La boucle se bouclera avec ce film et Pierre 1er , devenu Flo, brillera à nouveau...

Géraldine, pour les besoins de son long métrage, va transformer le trimaran en plateau de tournage. Une sacrée gageure

Sans aucun doute pas aux premières places du classement général. Il a son âge et bien que ce soit un bateau très bien né (NdR : dessiné par VPLP Design, Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot Prévost - construit aux chantiers Jeanneau) , face aux bateaux actuels, il a peu de chances de pouvoir lutter. On faisait la route en deux bonnes semaines à cette époque. Aujourd'hui, les premiers bouclent ça en une petite semaine (sourire). » Et quand on parle de faire briller le souvenir en mémoire de sa skippeuse, seule femme victorieuse sur cette transat de légende, ce sera plutôt deux fois qu'une ! Puisque le projet visuel final que nous montrent nos deux hôtes reprend le coloris “or” du bateau d'origine, avec une voile illustrée par Titouan Lamazou, portraitiste de Florence Arthaud pour l'occasion. Nous longeons les pontons du port de Brest. Direction le futur Flo, ex-Pierre 1er , ex-Lakota. Un trimaran de 18,80 mètres de long sur 15 de large, 27 mètres de tirant d'air, vainqueur de l'épreuve entre Saint-Malo et les Antilles et illustre dans bien d'autres courses. .. Il est assoupi en entrée de quai, là où il peut loger sans souci, et impressionne malgré un décorum des plus discrets. Blanc et gris métallisé, l'oiseau repose toutes voiles ferlées. Philippe saute sur le trampoline, et joue le jeu des images, bientôt rejoint par Géraldine. Ils sont pros, bien que fatigués ; l'un d'une route délicate, l'autre de récentes nuits blanches. Mais se prêtent au jeu, sourient, posent en toute décontraction. On sait qu'ils nous accordent un moment privilégié, dès l'arrivée du navigateur, alors que famille et amis attendent le moment des retrouvailles, ce qui n'empêche pas Philippe de nous faire visiter l'univers du skipper.

À bord, on pense à celle qui a défié les hommes et l'océan pour une des plus dures courses au large

Quelques mètres carrés organisés de façon martiale et des plus pragmatiques. Un mur d'instruments, une banette très haute au-dessus d'un hublot ! « Elle va changer de place, je vais la placer plus bas », affirme Philippe. Quelques outils et instruments indispensables et pas grand-chose d'autre. Derrière un sas ouvert, la partie avant de la coque principale ne montre que ses entrailles dénudées. Sur ce bateau, les voiles restent à poste. Seul le gennaker est dans son sac en attente sur le pont. Philippe précise : « C'est émouvant de naviguer sur ce bateau et d' évoluer là où vivait Florence. C'est l'âme de son aventure. On a le sentiment qu'elle nous sait à bord. .. Et c'est dans ce même environnement que 32 ans plus tard nous allons reprendre le départ. » Son regard flotte au-dessus d'un silence. L'émotion nous submerge, teintée d'un grand respect, soulignée par ce propos du nouveau skipper : « Pour accomplir ce qu'elle a fait, Flo a bataillé rudement et elle a réussi à la seule force du mental et de la volonté, grâce à son talent immense aussi. Faire ce qu'elle a fait à cette époque n'est pas le résultat d'un hasard. Elle a bossé fort pour y arriver et elle l'a fait. Rien que pour ça nous voulions lui rendre cet hommage. .. » Géraldine acquiesce et poursuit sur son film : « En lisant La Mer et au-delà de Yann Queffélec en 2020, je me suis rappelé la promesse que nous nous étions faite avec Florence : faire un film sur sa vie. Et le livre de Quef félec était une base idéale pour ce film. Elle fait partie de ma vie, de ma famille. C'est à son mariage que j'ai rencontré Philippe, et elle est la marraine de Loup, mon fils aîné… Comme c'est une fiction nous avons pas mal de liberté d'un certain côté mais aussi des devoirs envers elle, sa mémoire. C'est sans doute pour cette raison que j'ai choisi de confier le rôle de Flo à quelqu'un qui lui ressemble et la représente au mieux telle qu'elle était. Stéphane Caillard (NdR : vue au cinéma au côté de Richard Bohringer et dans la série télé Marseille, entre autres jolies choses) ressemble beaucoup physiquement à Florence.

J'ai retrouvé chez elle des expressions et des ressemblances troublantes avec mon amie. Pour pouvoir jouer les scènes de voile prévues dans le scénario, Stéphane suit une formation de navigatrice en ce moment auprès de marins aguerris du côté de Sainte-Marine. Avec ce film, je change de registre et c'est un gros projet qui me prend tout mon temps, jour et nuit en ce moment (sourire fatigué). On tourne les premières scènes fin juillet et il y a encore des choses à régler, peaufiner, revoir. .. » Sur ses inquiétudes de voir Philippe repartir, en solitaire, elle répond : « Je suis généralement avec lui, avec eux sur les bateaux, depuis si longtemps. Quand je ne suis pas à bord… je ne dors pas bien a fortiori si les conditions sont difficiles. Mais je ne crains rien réellement, je suis plus… tendue. » Et pourtant souriante et très pro devant l'objectif. On ne se refait pas. Pour revenir à la partie sportive de cette histoire incroyable, nous demandons à Philippe Poupon ce qu'il va devoir entreprendre comme remise à niveau de son bateau. Sa réponse : « Pendant la première partie du rapatriement, il y a eu les soucis de moteur. Ils sont théoriquement résolus. Et puis en course de toute façon. .. Dans cette fin de convoyage de Cannes à Brest, avec des conditions pas agréables à partir du cap Finisterre, j'ai pu bien voir comment le bateau répondait et ce qu'il y avait à faire. On ne change pas les plans de voiles, on garde tout le gréement avec une grosse révision au niveau du pont, de l'accastillage et du cockpit. On garde l'existant car il ne s'agit pas d'aller se battre en tête ou d'imaginer des foils sur ce bateau. Il doit rester au plus proche de ce qu'il est. Au niveau de l' électronique, on change tout, on modifie. C'est vieillissant, l'eau est passée par là… mais c' était prévisible.

Cette fois Géraldine ne sera pas l'équipière de Philippe. La Route du Rhum, c'est une course en solitaire

On va donc refaire avec du matériel actuel. Sinon le bateau va bien. On connaît son palmarès et c'est un bon bateau capable d'aller vite et d'encaisser. On garde donc le maximum de choses et on réaménage les points utiles. » Une autre grosse étape avant la ligne de départ à Saint-Malo en novembre. Une remise en forme qui devait avoir lieu dans les chantiers de Michel Desjoyaux, à partir de début août dans le sud Finistère. Florence doit se régaler là-haut...* Hollywood boulevard à Los Angeles

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