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Gérard Larousse : la magie « psychedelic »

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Gérard Larousse : la magie « psychedelic »
© Rémi Dargegen
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Quelques kilomètres au nord d’Ipswich, entre Westerfield et Swilland, la B1077 traverse le village de Witnesham. On a définitivement tourné le dos à l’estuaire de l’Orwell et son avant-port qui trempe ses pieds dans le fleuve. La ville universitaire du Comté de Suffolk n’est déjà plus qu’un souvenir. En quittant l’axe secondaire, on s’enfonce un peu plus encore dans la campagne anglaise pour atteindre Cockfield Lane à Low Farm.

C’est là, au milieu de nulle part, que se cachent les locaux de Historika Classic Porsche qui se veut l’officine de référence pour la restauration et l’entretien des anciennes de Stuttgart au Royaume-Uni. L’établissement créé en 2008 par Kevin Morfett et son fils Nick s’est, dans un premier temps, focalisé sur les Italiennes de Maranello, avant de se consacrer exclusivement aux Porsche, depuis les premières jusqu’à la 993, la dernière refroidie par air. A raison de quatre à cinq restaurations complètes de modèles de compétition par an, Historika fait dans le superlatif. Le must dans le genre est sans doute la célébrissime ST 2.4 “Psychedelic” jaune à flammes rouges du Tour de France Auto 1970. Aux mains de Gérard Larrousse, la plus légère des 911 jamais alignée en course s’était classée cette année-là 3ème derrière les deux protos Matra MS 650 pilotées par Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo, qui avaient pris le relais de Patrick Depailler et Jean-Pierre Jabouille à Pau après les deux premières étapes.Après les versions “R” alignées à la fin des années soixante, Porsche avait obtenu cette année-là le feu vert pour augmenter la cylindrée du flat-six à 2,4 litres. Cette version expérimentale avait d’abord subi un déverminage en conditions réelles lors d’un rallye en Autriche, avant de parfaire son rodage à la dure en Grèce comme voiture d’assistance rapide au service des 911 S de Björn Waldegard et Ake Andersson, engagées au Rallye Acropole. Survitaminée, avec un moteur alimenté par trois gros doubles carbus Weber développant 260 chevaux à 8 000 tr/min, la première des sept 911 ST construites par Porsche en 1970 - repérable à son immatriculation S-U9370 - a été choisie pour prendre le départ du Tour de France Auto 1970.

Le défi de l’été, pour le service compétition Porsche, a donc été de transformer cette puissante bête de cross en un pur-sang capable d’avaler un parcours de huit étapes long de 4 525 km. Les vingt épreuves de classement comprenaient aussi bien des spéciales sur route, que des courses de côte et des circuits. La tâche ingrate fut confiée à un ingénieur de 23 ans ultra motivé. Ce jeune pilote en devenir ne se contenta pas de troquer la robe originelle couleur mandarine de la rouleuse de mécaniques de Stuttgart pour une tenue psychédélique bien dans l’air du temps, comme nous l’explique Gérard Larrousse : « Jürgen, fils de l’ancien pilote officiel Porsche Edgar Barth, venait d’intégrer le service dirigé par Huschke von Hanstein. Il avait débarqué sur le Tour Auto l’année précédente avec une Porsche de service coiffée d’une galerie chargée de roues de rechange, flanqué de deux mécanos à bord d’un camion, pour gérer mon assistance. Bien que parfaitement inexpérimenté, Jürgen avait non seulement démontré qu’il avait un sacré coup de volant, mais aussi des facultés d’adaptation et une efficacité tout à fait exceptionnelles.En 1969, avec Maurice Gélin et la 911 R, nous avons gagné devant la Corvette de “Titi” Greder et les autres Porsche de Chasseuil et Ballot-Léna. En 1970, en revanche, il était clair que nous n’avions pas la moindre chance de rééditer notre victoire face aux Matra. N’empêche ! Jürgen a supervisé le projet à la perfection, depuis la préparation de l’auto jusqu’au suivi pendant la course. Le résultat a été remarquable.

Le rapport poids/puissance de la voiture s’est révélé d’un niveau jamais atteint. Lors d’une visite chez Porsche, quelques semaines avant le départ, je me souviens que l’équipe chargée de la préparation était parvenue à un poids à 810 kilos. J’ai alors promis aux mécanos une bouteille de champagne pour chaque kilo gagné en-dessous de la barre des 800... A la pesée finale, je leur en ai offert deux caisses ! Vous vous rendez compte ? 260 chevaux pour 780 kg, c’est du niveau d’une 911 R actuelle, avec 500 chevaux pour un peu moins de 1 400 kg ! » Pour réaliser cette prouesse technique, sans affecter le comportement de la 911, l’optimisation de chaque élément et de chacun des composants avait été poussée à son paroxysme. Le moindre détail avait fait l’objet d’une attention méticuleuse, jusqu’à limer et ménager des trous dans les charnières de porte !Le double vainqueur des 24 Heures du Mans en garde un souvenir ému. « Cette Porsche du Tour Auto 70, à la fois équilibrée, agile et fiable, était un vrai régal à piloter et ce dans toutes les conditions, explique-t-il. Nous avons aligné de belles performances, même si à partir de la dernière spéciale - la course de côte d’Ampus - un problème d’embrayage nous a obligé, avec Maurice Gélin, à démarrer à la poussette. Mais c’était d’autant plus anecdotique qu’à l’assistance suivante, aux Adrets, mon copain de Marseille est venu m’annoncer la naissance de mon fils Arnaud ! Ma place sur le podium à Nice derrière les deux protos Matra n’avait dès lors plus rien d’essentiel. »Près d’un demi-siècle plus tard, l’invitation des Morfett père et fils dans leur fief du Suffolk, a ravivé les souvenirs de cette épopée “tout feu - tout flamme”. Début 2018, peu avant sa participation à la 9ème édition du Mans Classic, Gérard Larrousse a été convié à prendre les commandes du poids-plume pour une demi-journée d’essai sur un aérodrome proche d'Ipswich. « Je l’ai retrouvée comme si je l’avais quittée la veille, raconte-t-il. Au volant, c’était quelque chose de naturel.

Une auto plus neuve que neuve, voire plus vraie que vraie... 

Une Porsche quoi... J’ai pu effectuer pas mal de kilomètres en prenant beaucoup de plaisir. Tout m’était parfaitement familier. Tout y était : les sensations, les réactions, le bruit du moteur, le comportement, la déco. Tout, jusqu’aux détails les plus infimes, comme par exemple les fameuses charnières de portière allégées. Bref, une auto plus neuve que neuve, voire plus vraie que vraie.Mes hôtes ont détaillé la genèse de leur travail. Je n’ai pu que constater l’étonnant résultat. Dans mon souvenir, cette auto avait fini détruite par un incendie, sans pour autant que je puisse l’affirmer avec certitude. » Alors, restauration ou reconstruction ? Pour Historika, aucun doute n’est permis : la “Psychelelic” n° 139 du Tour de France Auto 1970 n’a rien d’un ersatz. Tout est répertorié, certifié et consigné dans l’énorme dossier de restauration : « type 911 534, numéro de série 911 030 1127, numéro de moteur 630 155... » . La déco de la robe est restituée au détail d’autocollant d’époque près, la peinture du châssis et l’intérieur des éléments de carrosserie sont conformes aux références de la teinte “blutorange” d’origine. L’historique a été reconstitué depuis son rachat par un important client sud-américain après le Tour Auto 70, jusqu’à son rachat par Kevin Morfett à un pilote de rallye britannique du nom de Cicely Nicholls. Dans l’intervalle, il y eut un pilote grec, qui la transforma en 2.8 RSR , puis l’écurie Sharp Racing, qui la confia à David Purley.

Il a fallu déployer des moyens énormes pour la restituer dans sa configuration d'origine

Repeinte dans sa version RSR 3 litres, elle fut pilotée par Raymond Touroul associé à un pilote grec aux 1000 Km de Brands Hatch 1974 et, ensuite, utilisée en rallye (Circuit d’Irlande et Ile de Man notamment) par le Britannique Brian Nelson. « Il nous a fallu déployer une énergie et des moyens énormes pour reconditionner cette auto dans sa configuration d’origine, indiquent les spécialistes d’Historika. Cela nous a demandé de la patience et de la ténacité. Nous avons pu contacter la plupart des propriétaires et des pilotes ainsi que les préparateurs et de nombreux techniciens qui ont travaillé dessus. Ces recherches ont complété celles menées directement auprès de Porsche. Nous voulions que tout soit conforme à la version d’origine dans ses moindres subtilités. Si nous avons pu récupérer une partie des éléments, il a malgré tout fallu en refaire certains, comme par exemple les étriers de freins avant qui provenaient d’une 908... Heureusement, les archives du service compétition Porsche sont remarquables. Il a même été possible de retrouver les réglages ! »

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