Gilles et sa Saab 96

SAAB (Svenska Aeroplan Aktiebogalet) est née en 1937 en Suède en raison de la nécessité de production aéronautique avant la Seconde Guerre mondiale. À la fin de celle-ci, la direction de Saab cherche à reconditionner une partie de sa production dans le civil. Dès 1944, les Suédois manifestent une envie de voiture et, constatant l'état piteux des usines des marques automobiles européennes, SAAB voit une opportunité de lancer ses propres modèles avec comme pilote du projet Gunnar Ljungström.

Ce pragmatisme et ce réalisme économique vont entraîner la fabrication d'autos aussi efficaces que sympathiques d'allure, les modèles démarrant au cycle 92, les numéros précédents concernant les aéronefs produits jusqu'alors. Ces voitures au cahier des charges précis - fiabilité/ économie/bon marché - sont imaginées par des ingénieurs aéro, ce qui fera leurs qualités sur ces années d'après-guerre.

Un parcours sous le capot

Gilles Fortabat, architecte de son état à Bordeaux, est tombé sous le charme de cette marque, pas seulement pour le coup de crayon de Sixen Jason qui signait déjà sur les protos 92 une silhouette d'une fluidité étonnante. En 1946, les tests révèlent un Cx de 0,32 pour la petite Saab et 0,35 pour les modèles de série. De quoi énerver plus d'un ingénieur même de nos jours. Et Gilles, tout cela lui parle. Homme de “trait”, il aime tout ce qui est malin et bien pensé, ce qui paraît si simple quand on a trouvé la clé.

Il n'est pas arrivé dans les voitures par héritage culturel familial, même s'il s'est évertué toute sa jeunesse à démonter et remonter tous les mécanismes qui lui tombaient sous la main. Son père Claude, ingénieur pionnier à l'ORTF, l'a pédagogiquement laissé plonger dans les structures de réveils, chaînes HI-FI, vélos ou mobs. Dès le lycée à 18 ans, Gilles trouve une Coccinelle qu'il va optimiser pour traverser les dunes de la côte. À 19 ans, il passe direct à une Porsche 914, marque qui va le suivre un bout de chemin. En 40 ans de conduite, Gilles a hébergé sur son tarmac une dizaine de 911.

La Saab, star de la route

L'image de Saab s'est forgée dans cette réussite en terrain difficile. Les ingénieurs à l'origine de la 92 ne l'avaient pas laissée dans un cocon douillet de l'usine basée à Trollhätten. Dans leur philosophie aéro, ils ont expédié la “petite” pour de longs supplices sur les terribles routes de l'Östergötland, tout près du cercle polaire. Avec une certaine assurance, le lancement de cette petite auto ne s'est pas fait dans l'inquiétude. La conception basée sur la légèreté est d'une logique des plus simples. Pour une caisse légère de 950 kg, comme en aviation, le moteur doit être le plus léger possible. Si au tout début un bicylindre deux-temps est utilisé, un trois cylindres deux-temps de 841 cm3 emprunté chez DKV va garder sa place très longtemps à partir de 1955.

La boîte 4 vitesses est issue du modèle 95 avec un levier “old school” au volant. Ce moteur de 52 chevaux a gagné en souplesse à bas régime. Le réservoir a lui aussi gagné, mais en embonpoint, passant de 36 à 40 litres. Pour des clients comme notre architecte remuant, ce n'est pas négligeable. En conduite “pied dedans” façon Carlsson, la conso peut vite monter à 13 l/100. En course de côte pas de souci mais pour traverser un no man's land il faudra changer de logiciel.

Ce petit moulin alimenté par trois carbus Solex remplit donc pleinement son rôle. « J'arrive vite à 130, même si en croisière 120 me suffisent largement. Ce qui m'amuse c'est l'accélération et les tronçons tortueux avec ce son de turbine dans les oreilles. » Mais d'après Gilles, le bruit n'est pas synonyme de désagrément. « Sur la lancée ça siffle fort, comme une moto de cross des années 70, mais en vitesse élevée, on ne remarque plus le vibrato du 3 cylindres comme aspiré dans l'effet de souffle. » D'ailleurs à l'usage, l'effet provoqué en ville ou sur route est surtout l'amusement, des sourires et de l'étonnement.

« L'Esprit de souffle » n'est pas usurpé. « Regarde sous la voiture déjà » est une expression souvent utilisée par notre racer. Effectivement, rien ne dépasse, c'est carrossé, sans doute une des causes de ce C surprenant. Gilles et Élodie (elle-même roule avec une 900 cabriolet perpétuant l'histoire) sont des ambassadeurs heureux de ce modèle alors qu'ils sont venus tôt un dimanche matin par -2 °C. Gilles installera son tripmaster un peu plus tard avant de bananer les gros cubes récents dans des spéciales. Il savoure ces moments à l'avance.