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Jean-Denis Claessens - After the race : Gulf stream

Publié le Écrit par La Rédaction
Jean-Denis Claessens - After the race : Gulf stream
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Ce sont depuis la nuit des temps les grandes questions concernant l'art. Qu'est-il ? À quoi sert-il ? Doit-il reproduire scrupuleusement la réalité ? Dans quelle mesure doit-il l'interpréter, la détourner, la déformer, la transformer, la transposer ? L'interrogation porte sur la représentation de la nature et des êtres vivants comme des objets et des situations. Vaste débat. Quand on découvre la Porsche 917 de Jean-Denis Claessens, le questionnement et l'ambiguïté s'imposent devant la lecture de cette réalisation. Si l'on déroule froidement la fiche technique de l'objet, on croit pouvoir dire qu'il s'agit de la voiture engagée par John Wyer aux 1 000 Kilomètres de Spa en mai 1971, une des deux 917 portant les couleurs de Gulf - bande orange sur un fond bleu ciel - et plus précisément le châssis n° 029. Dans les Ardennes, elle était pilotée par le Suisse Joseph Siffert et le Britannique Derek Bell, elle portait le numéro de course 20 et elle se classa à la deuxième place derrière la voiture sœur, la Porsche 917 n° 21, menée par Jackie Oliver et Pedro Rodriguez. Les deux machines sont presque semblables ; seule la décoration médiane orange permet de les distinguer : sur la n° 21, elle est rectiligne jusqu'au bout du nez tandis que sur la n° 20, la décoration orange s'évase autour de la calandre et l'enveloppe. Une fois cette description énoncée, on n'a rien dit du travail de l'artiste. À quoi bon reproduire à l'identique un objet qui appartient à l'histoire quand de surcroît l'original, authentique, subsiste ? En attardant son regard sur la sculpture de Jean-Denis Claessens, on découvre tout autre chose qu'une “simple” reproduction de la Porsche 917 n° 20 des 1 000 Kilomètres de Spa 1971. Le bolide n'est pas reconstitué dans son intégralité ni dans son intégrité. Il se présente ici sous la forme d'une carrosserie qui a été dépouillée de tous les éléments non peints qui pourraient déranger la lecture des formes. Aucun vitrage n'apparaît, aucun accessoire ne vient perturber l'observation des lignes et des volumes : pas de pare-brise, pas de profilage devant les optiques, pas de phares non plus, et pas de roues. Tout cela confère une attitude surnaturelle et fantomatique à la 917. Grâce à ce dénuement, grâce à cet effort de la soustraction, l'artiste prend du recul, s'engage, se dévoile. Il renonce à la reproduction pure et simple de la voiture de course qu'il admire, mais il prend parti et lui donne une autre nature. Appose sa griffe. Cette 917 n'est pas celle de Porsche, mais celle de Claessens.

C'est tout l'enjeu de l'hyperréalisme et de ses nombreuses extensions. À l'origine, dans les années 1960, ce courant est un décrochage du Pop Art. Il décrit la banalité quotidienne. Réalisées à partir de diapositives, les peintures de Don Eddy, Richard Estes, et plus tard Robert Bechtle, confinent au vérisme absolu. L'académisme dissout le geste de l'artiste. Le réalisme photographique sème le trouble. Après plus d'un demi-siècle d'abstraction, le public croit enfin comprendre ce que l'artiste lui montre. Il se trompe. Le spectateur ne se reconnaît pas dans le miroir. Il ne réalise pas qu'il a sous les yeux la vision terrifiante d'une société américaine passée au crible, lissée par l'aérographe et figée par l'acrylique. Tout l'intérêt du mouvement réside dans le sujet choisi plus que dans la prouesse technique et le procédé retenu. C'est en cela qu'il se fait iconoclaste et critique. L'hyperréalisme s'attarde dans les milieux urbains ou suburbains, rôde dans les parkings, éclaire de néons les banlieues glauques. Abandonnée derrière une grille ou réfléchie dans une vitrine, la voiture n'est plus que l'encombrante et vulgaire image d'une société de consommation qui produit les outils de sa propre perte.

La gêne et la stupéfaction sont encore plus prégnantes quand on passe sur trois dimensions. Les sculpteurs initiateurs du mouvement, tels que Duane Hanson et John De Andrea, créent l'illusion de la banalité quotidienne à travers des scènes de la vie ordinaire, peuplées de gens ordinaires entourés d'objets ordinaires. Les figures humaines, grandeur nature, sont troublantes de réalisme, jusque dans le grain de peau, les transparences et les pilosités. Plus près de nous, avec des artistes comme Charles Ray, l'hyperréalisme a glissé sur un autre registre. On a pu voir les œuvres de ce sculpteur américain au printemps dernier à travers deux expositions importantes organisées conjointement à Paris, l'une au Centre Georges Pompidou, l'autre à la Bourse du Commerce - Fondation Pinault. Charles Ray apporte une dimension fantastique à ses travaux. Dans Family Romance , les quatre membres d'une famille, les parents et deux enfants d'âges différents mesurent tous 1,35 mètre, donnant une physionomie effrayante et monstrueuse à tous les personnages soudain confrontés dans une égalité fortuite. Un malaise d'un autre ordre est créé par Unpainted Sculpture qui représente une Pontiac Grand Am affreusement détruite dans un accident, moulée en fibre de verre et uniformément peinte en gris. La reproduction est scrupuleuse, mais la tonalité monochrome lui donne une dimension glaçante. Moins morbide, la Porsche 917 du sculpteur belge Jean-Denis Claessens invite aussi à la réflexion. Lui aussi va au-delà de la reproduction mimétique. Le conditionnement et la mise en situation signent l'intention artistique. Nous sommes davantage dans une démarche d'installation que dans de la seule sculpture. Ici, l'artiste va plus loin qu'avec ses portes et ses capots de Porsche 911 qui l'ont fait connaître et qu'il continue de commercialiser sous l'enseigne d'After The Race. Chaque pièce est unique, librement inspirée des décorations de course et peinte selon les techniques du street art. De la même manière, la 917 n'est pas étincelante, elle n'est pas drapée dans une laque immaculée comme ces pièces de collection qui semblent n'avoir jamais connu le tumulte de la course. Elle porte au contraire les stigmates imaginaires de l'effort, les scories du risque, les ombres de la fatigue et les déjections de poussière graisseuse... L'homme sait se faire philosophe quand il affirme que « cette existence n'est pas faite pour apprendre à accepter la réalité, mais plutôt pour se remémorer notre pouvoir de la créer ». En observant les pleins et les vides de la sculpture, on découvre vite qu'il ne s'agit pas d'une simple reproduction d'un modèle mythique.

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