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Jacky Ickx : Confession de foi

Publié le Écrit par La Rédaction
Jacky ICKX : Confession de foi
© Rémi Dargegen et DPPI - Coordination Frédéric Petitcolin
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À 77 ans, même s'il a cessé d'aligner des alinéas supplémentaires au monumental livre d'or de ses succès sportifs, Jacky Ickx fait plus que jamais autorité dans le milieu où il s'est épanoui. Entre deux déplacements à Pebble Beach ou à New York, aux Mille Miglia ou au Mans Classic, son implication et ses activités restent prenantes et multiples, que ce soit sous l'égide de Chopard ou de Porsche. Six fois vainqueur des 24 Heures du Mans, double champion du monde d'endurance, recordman du nombre de victoires en Sport-Prototypes, vainqueur de huit Grands Prix de Formule 1 et du Dakar, le boulimique d'exploits nous a longuement reçus à Bruxelles, en toute décontraction, pour évoquer quelques aspects plus intimes de sa trajectoire. Fils d'un célèbre journaliste sportif et d'une maman qui lui répétait invariablement avant chaque course « Sois prudent et ne roule pas trop vite », l'éternel jeune homme n'a eu d'autre plan de carrière que celui dicté par ses envies et la chance comme bonne étoile.

« J'avais 8 ans quand mon père m'a emmené au GP de Belgique gagné par Fangio. J'ai demandé de ne plus y retourner, je m'y étais beaucoup ennuyé. »

À 18 ans, lorsque vous devenez champion de Belgique de trial au guidon d'une Zundapp 50 cm3, c'est le début de votre longue et belle aventure en sports mécaniques. Aviez-vous alors conscience des perspectives qui s'offraient à vous ?

Pas du tout. Dans mon enfance, nous allions dans un petit hameau des Hautes-Alpes, du côté de Serres. C'est dans cette région que j'ai découvert la nature, les balades dans la campagne avec mon grand-père. Pour moi, c'était un émerveillement permanent à tel point que mon ambition était de devenir jardinier ou garde-chasse ! Un projet d'autant plus dans mes cordes que mes parents ne savaient que faire de moi. À l'école, mes professeurs disaient : « Il est tellement intelligent, mais qu'est-ce qu'il est paresseux ! » Autrement dit la formule courtoise pour leur expliquer que leur fils était un cancre. Bref, les enseignants n'ont pas réussi à m'intéresser. D'un autre côté, j'avoue avoir franchement truandé mes parents qui m'offraient des cadeaux afin de me stimuler à produire des efforts, alors que je n'avais nulle intention de changer quoi que ce soit dans ma manière d'agir et de m'impliquer dans les études. La pension n'y a rien fait. Je loupais tous mes contrôles, tous mes examens. Cela dit, j'ai eu une enfance magnifique et heureuse. « Enfant, mon ambition était de devenir jardinier ou garde-chasse. »

Vous souvenez-vous de votre premier contact avec la compétition automobile ?

C'était en 1953. J'avais donc huit ans. Mon père m'avait emmené à Francorchamps où j'ai assisté au Grand Prix gagné cette année-là par Fangio auquel j'ai remis le bouquet du vainqueur. J'en ai gardé ce souvenir mais surtout celui d'avoir demandé à mon père de ne plus y retourner car je m'y étais profondément ennuyé…« Je dois admettre que certains événements ont fait que mon ange gardien a commencé à perdre ses plumes. »

À quoi attribuez-vous ce revirement au moment de votre adolescence ?

Je pense qu'il y a une succession d'éléments que l'on ne maîtrise pas, mais qui t'aident à te construire. Ça reste extrêmement mystérieux. Qu'est-ce que l'alignement des étoiles ? Qu'est-ce que la chance ? Qu'est-ce que le destin ? Je n'ai pas de réponse. Ce que je sais, ce dont j'ai conscience, c'est l'importance de l'entourage, des rencontres, des gens, des anonymes qui vous tendent la main au bon moment, en plus des choix que vous faites à tel ou tel carrefour, d'aller à droite, à gauche, ou de rester sur place. Tout ce que je dis là est d'ailleurs valable dans la vie de tous les jours. Chaque vie est une histoire différente. Dans cette histoire, un plus ou moins grand nombre de personnes interviennent pour vous proposer des clés. Dans mon cas, il y en a eu beaucoup, à commencer par le concessionnaire Zundapp lorsque j'ai débuté à moto, puis ensuite Ken Tyrrell quand je suis passé à l'a u t o. « Dès que l'on quitte sa zone de confort pour s'épanouir, on se confronte à des éléments sur lesquels on n'a aucune prise. »

Quelle est la plus grande difficulté lorsque l'on se lance dans les sports mécaniques ?

Le plus gros défi, à mon sens, c'est de convaincre ses parents. Le premier obstacle, c'est de faire admettre à sa famille que vous avez envie de faire quelque chose de dangereux à leurs yeux et qui ne s'inscrit certainement pas dans le cadre d'un plan de carrière classique. On y arrive certes, mais au départ, ce n'est pas quelque chose de raisonnablement envisageable d'un point de vue rationnel.

Quels sont les ingrédients requis pour franchir les étapes vers l'excellence en compétition automobile comme vous l'avez fait ?

Au-delà de l'alignement des étoiles, de la chance ou du destin qu'on évoquait précédemment, je crois que, lorsque l'on progresse, la course automobile est l'antithèse de ce qu'est la vie en société. Je veux dire que pour être performant, vous pouvez être un individu lambda en dehors du contexte et devenir radicalement quelqu'un d'autre, en course, derrière un volant. J'estime que les dons et le talent propres à nos gènes ne sont pas suffisants. Pour réussir, les qualités requises sont celles d'un combattant. Car il s'agit bien d'un combat. La compétition entre des gens de même degré, de même talent, de même envie, exige d'être égoïste. Avoir envie de gagner suppose l'exacerbation de l'individualisme. Ce comportement égocentrique va à l'inverse de ce qui se manifeste dans la vie en société. Mais il faut bien voir que ces caractéristiques sont communes à tous les sports, qu'ils se pratiquent en équipe ou en individuel. Selon moi, c'est le moteur indispensable à toute réussite en compétition, de même que la chance. « J'ai une tendresse toute particulière pour Jim Clark. Ceux que l'on aime et qui ont ce rayonnement, on les croit à l'abri de tout. »

La chance est une constante que vous avez souvent évoquée et qui, en effet, vous a accompagné tout au long de votre carrière sportive…

Vous savez, la première chance, le premier miracle devrais-je dire, c'est d'être ici avec vous. De pouvoir répondre aujourd'hui à vos questions, si l'on prend en considération le kilométrage effectué en course et le nombre d'années sur lequel cela s'est étalé. La chance ne se maîtrise pas. Dès que l'on quitte sa zone de confort pour s'épanouir, on se confronte à des éléments sur lesquels on n'a aucune prise. La raison nous conseillerait bien de rester dans cette zone de confort et de ne pas s'aventurer vers ce qui semble impossible à atteindre. Mais comment savoir ce qui est impossible avant d'essayer ? Je pense que c'est en cherchant à développer de nouvelles ressources, à investir de nouveaux espaces pour atteindre la sensation d'accomplissement et de bonheur auquel nous aspirons le plus. Mais il est vrai que la providence s'est souvent trouvée sur mon chemin lorsque j'en ai eu besoin. Ma chance est d'être passé au travers d'inéluctables coups durs, de quelques gros accidents - où le feu qui est le plus terrible des dangers a souvent été impliqué - et aussi d'avoir pu surmonter des blessures douloureuses, tant physiques que morales. Je dois admettre que certains événements ont fait que mon ange gardien a commencé à perdre ses plumes.

À l'inverse, nourrissez-vous des regrets ?

Ce qui a caractérisé ma vie, jusqu'à très récemment, c'est une forme d'oubli passé. Je veux dire par là que l'on peut se retourner en arrière mais certainement pas sur les faits de course ou dans la performance. Ce n'est pas dans l'insatisfaction de ne pas avoir été champion du monde en F1 et compagnie… Et puis, vous imaginez, l'année du sacre posthume de Jochen Rindt de surcroît ? Non, ça, franchement, quand on a été gâté comme je l'ai été, ça n'a aucune importance. Si j'ai des regrets aujourd'hui, c'est peut-être de ne pas avoir compris tout de suite combien notre entourage est tellement important et déterminant dans la réussite. Essentiel je dirais.

Vous disiez que votre ange gardien avait commencé à perdre ses plumes. Est-ce la raison qui vous a incité à arrêter la compétition ?

En toute franchise, ce qui m'a poussé à arrêter ce sont des circonstances malheureuses. Tout d'abord l'accident fatal de Stefan Bellof sur le circuit de Spa. J'étais impliqué, je le regrette même si je ne me sens coupable de rien. Mais j'ai le regret de ne pas avoir senti venir cette attaque qui était imprévisible pour moi, car c'était un Mobil Economy Run comme je l'appelle. On était tous les deux sans beaucoup de carburant, il fallait simplement finir. Il n'y avait aucune raison de surveiller une tentative de dépassement, surtout à cet endroit-là du circuit. .. Je regrette de ne pas m'être méfié. Je ne me sens pas coupable, mais j'ai de la tristesse, mourir jeune alors que vous avez la vie… Pfff, c'est terrifiant. Si on le sent, on prend une trajectoire un peu différente, il y a moyen d'éviter l'accident, mais je n'ai pas eu la sensation qu'il était là. Pour moi, ce fut la fin de l'Endurance. Je me suis alors tourné vers le rallye-raid avec le Dakar. Et puis, là encore, il y a eu cette tragédie avec Christian (Tarin), mon ami, mon coéquipier. C'est ma faute. Je n'avais pas vu la bosse. Si je l'avais vue, cela aurait tout changé, bien sûr. J'ai vraiment commis une erreur de jugement.

Parmi tous les champions disparus, quel est celui qui vous manque le plus ?

J'ai une tendresse toute particulière pour Jim Clark. À l'époque, on dormait tous plus ou moins dans le même hôtel. On mangeait dans la même salle de restaurant, le soir. On se couchait aux mêmes heures… et pas à huit heures et demie du soir ! Oui Jimmy sans doute. Je n'étais pas à Hockenheim ce 7 avril 1968, jour de son accident en Formule 2. Vous savez, ceux que l'on aime et qui ont ce rayonnement, on les croit à l'abri de tout. On pense que rien ne peut leur arriver. Lorsque la tragédie survient, on encaisse. Et puis, on se dit qu'on y a échappé. Que ça n'arrive qu'aux autres. C'est très basique, mais il y a un peu de ça. Alors on continue.

Quel regard portez-vous sur l'évolution du sport automobile et notamment la Formule 1 actuelle ?

Les talents demeurent, c'est une constante, mais le professionnalisme exacerbé, à tous les niveaux, a quelque peu changé la donne. Désormais, l'arithmétique est une composante primordiale. À l'époque, les calculs n'étaient pas aussi omniprésents dans le déroulement d'une saison. Il y avait dix courses par an et 9 points pour la victoire au lieu du double et de 25 points pour le gagnant désormais. Il faut résister à la tentation de poursuivre cette fuite en avant susceptible, à terme, de générer une dilution de l'intérêt. « En toute franchise, ce qui m'a poussé à arrêter, ce sont des circonstances malheureuses… »

Pour rester dans les chiffres. .. avec six succès aux 24 Heures, vous êtes toujours considéré comme “Monsieur Le Mans”, alors que Kristensen, arithmétiquement, en compte trois de plus que vous…

Les records sont faits pour être battus ! Cela dit, lorsque j'ai rejoint comme responsable de la stratégie l'équipe dirigée par Hugues de Chaunac en 1991, la victoire de la Mazda à laquelle j'ai apporté ma contribution a un peu participé à réduire l'écart. Un grand souvenir ! Pour les deux voitures alignées la consigne était de rouler à fond. D'emblée on était à la bagarre avec les Peugeot et on les a dérangées. À un moment, un émissaire de Jean Todt est même venu nous demander de réduire un peu la cadence car on était dangereux ou quelque chose comme ça. .. Amusant non ? Situé en banlieue de Bruxelles dans un magnifique bâtiment industriel reconditionné, le Club des V a accueilli cette rencontre exceptionnelle avec Jacky Ickx. Jean-Pol Piron, le maître des lieux, y organise régulièrement des événements et des soirées en lien avec l'automobile dans un espace entièrement dédié aux sports mécaniques. Au Club des V, Jacky Ickx a une place réservée avec ses casques, des clichés... Sincères remerciements également à Jean-Luc de Krahe qui a joué les entremetteurs lors de cette rencontre... www.clubdesv.org

32 saisons de 1961 à 1992

Deux fois champion du monde des pilotes d'endurance (1982 et 1983) sur Porsche Champion de la série Can-Am en 1979, 5 victoires sur Lola

Champion d'Europe de Formule 2 en 1967 3 victoires en 1967 sur Matra et 2 victoires en 1970 sur BMW

114 départs en Formule 1 de 1967 à 1979 8 victoires en Grand Prix sur Brabham et Ferrari 3 succès hors championnat sur Brabham, Ferrari et Lotus 13 pole positions, 14 meilleurs tours, 25 podiums, 181 points

Vainqueur du rallye Paris-Dakar en 1983

40 victoires d'étapes en rallyes-raids dont 29 au Dakar

47 victoires en endurance (Recordman des victoires), dont six fois les 24 Heures du Mans ainsi que les 24 Heures de Spa, 12 Heures de Sebring, 1 000 km de Monza, Spa, Nürburgring, Silverstone, Zeltweg, Mugello, Mosport, Fuji, les 6 Heures de Daytona, Watkins Glen, Dijon, Brands Hatch, les 9 Heures de Kyalami, les 800 km de Selangor et les 1 000 km de Bathurst

80 podiums dans les grandes courses d'endurance entre 1967 et 1985

Vice-champion du monde de F1 en 1969 et 1970

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