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Les pistes de Cataroux : Les secrets des toboggans Michelin

Publié le Écrit par La Rédaction
Les pistes de Cataroux : Les secrets des toboggans Michelin
© Michelin et Nicolas Moulin
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Comme de mystérieux sphynx, les “toboggans” gardent l'entrée nord de la cité auvergnate. On ne peut guère les approcher, encore moins les visiter. Alors, pour le voyageur pressé, ces monuments de l'architecture industrielle interpellent. Ils renferment certainement quelques mystères dont la manufacture Michelin a le secret. Même si elle est extraordinaire, l'histoire de ce que la firme au Bibendum appelle simplement “les pistes de Cataroux” est moins mystérieuse que celle des pyramides d'Égypte.

À la fin de la Grande Guerre, le monde se remet à vivre en essayant d'oublier le son des canons.

Les années 20 seront les “Années Folles”, synonymes de bouillonnement intellectuel et d'effervescence artistique. Le monde industriel se remet en marche de manière pacifique et Michelin, qui a construit des avions Breguet pendant le conflit, se remet à penser “pneumatique”. Bibendum a une vingtaine d'années (il est né en 1898) et l'automobile est en plein développement dans le monde entier. En 1922, Fiat inaugure la fameuse usine du Lingotto. Édifiée par l'architecte Giacomo Mattè Trucco, elle se caractérise par sa piste d'essais installée au sommet de l'édifice. En 1923, l'expédition Citroën réussit la première traversée du Sahara, la marque française Chenard & Walker remporte la première édition des 24 Heures du Mans (équipée de Michelin !) et les usines Ford crachent des Ford T par milliers. Il y a tout juste un siècle, on s'émerveillait de toutes ces nouveautés ! À Clermont-Ferrand, on décide qu'il est grand temps de repartir à la conquête du monde.

Aucun autre manufacturier n'a imaginé ces pistes qui permettent de “torturer” les pneumatiques de cette façon.

Après avoir inauguré sa première usine en Italie en 1906, sa première aux États-Unis en 1907 et sa filiale britannique en 1911, Michelin a des ambitions planétaires mais a pris du retard sur ses principaux concurrents. Avant de fabriquer et de vendre des pneumatiques, il faut les concevoir et les tester. Édouard Michelin, qui envisage le développement de la manufacture sur le long terme, décide de construire une nouvelle usine à Cataroux, plutôt que d'optimiser la “vieille” usine des Carmes. La géographie de Michelin dans Clermont-Ferrand se met en place. L'innovation passe par de longues séances de “torture” des pneus. C'est dans le but d'automatiser et de rationnaliser ces essais que sont construites les “mystérieuses” pistes de Cataroux entre 1926 et 1930. Stéphane Nicolas, le responsable du Patrimoine Michelin, nous raconte leur histoire. « Les pistes ont été construites en trois tranches mais ce ne sont pas les premières pistes construites sur ce principe de va-et-vient, explique le conservateur de “L'Aventure Michelin”. Une première expérience avait été réalisée à Estaing, sur un site qui n' existe plus. » En 1919, cinq pistes sont élevées le long de la voie ferrée pour évaluer ce type d'essais et, comme cela donne satisfaction, l'idée d'en élever de nouvelles, plus imposantes, prend forme. D'après Stéphane Nicolas, Michelin aurait été le seul manufacturier à avoir imaginer ce genre de pistes d'essais monumentales. Situé en pleine campagne, le site Cataroux est alors le centre d'essais Michelin. On découvre trois immenses bâtiments disposés côte à côte. Il y a deux édifices presque identiques et aussi larges l'un que l'autre qui abritent chacun cinq pistes d'essais.

Le troisième bâtiment, qui est le plus haut, n'abrite que deux pistes.

Numérotées de 6 à 17 (les pistes 1 à 5 étant situées à Estaing), ces pistes sont longues de 450 mètres et hautes de 20 à 30 mètres. À partir de leur inauguration, et pendant près de 70 ans, des chariots vont effectuer de lancinants mouvements de va-et-vient pour tester des pneumatiques. On use de la gomme, on mesure la longévité, on relève des problèmes dans un rythme métronomique et industriel. Au fil du temps, les dispositifs évoluent et, si les chariots roulent tout seuls, des équipes sont là pour en assurer la maintenance, changer les pneus et assurer la surveillance des tests. « À la fin, il y avait un système de caméras et tout était piloté depuis un pupitre installé dans un poste central », explique Stéphane Nicolas. Les douze pistes avaient également des caractéristiques différentes. « On sait que les pistes ont régulièrement évolué au fil du temps », complète l'historien. Plusieurs pistes étaient en béton lisse et n'offraient pas de contraintes particulières ; d'autres étaient revêtues de pavés plus ou moins disjoints et certaines permettaient de disposer des obstacles. Les revêtements étaient régulièrement refaits pour conserver l'homogénéité des résultats. Bombardés pendant la Seconde Guerre mondiale, les “toboggans” ont subi réparations et modifications au cours des années. « Quand on regarde des photos anciennes, on s'aperçoit que la toiture a évolué », remarque Stéphane Nicolas. Autrefois, une grande voute en béton coiffait les pistes mais, dans les années 60, les charges portées par les pneus étaient de plus en plus lourdes. Pour alléger la structure du bâtiment au profit du poids des chariots, les toits ont été remplacés par un élément en tôle ondulé, un en ardoise et un en revêtement bitumé relativement léger. Seules les extrémités des bâtiments sont en béton, le reste de la structure ressemble à un gigantesque Meccano et ne souffre pas de vieillissement des matériaux. Comme dans une machinerie infernale, les lourds ensembles mobiles, constitués de plusieurs chariots, montaient et descendaient les pistes à une vitesse de 30 ou 40 km/h. « On a pu interroger des gens qui travaillaient ici, continue Stéphane Nicolas. Quelqu'un nous a dit que c' était extrêmement bruyant “comme une douzaine de rames de métro circulant côte à côte !” » Bien que le centre de recherche de Michelin ait été transféré à Ladoux, les “toboggans” ont fonctionné jusqu'au début des années 2000. La ville a gagné du terrain et ces bâtiments ont été digérés par la cité dans les années 60. Depuis leur fermeture, les pistes de Cataroux sont l'objet d'interrogations encore sans réponse. Les esprits ont évolué et on considère d'un autre œil le patrimoine industriel.

Après avoir été rasés sans aucun état d'âme, les bâtiments industriels retiennent aujourd'hui l'attention des marques et des autorités. Un des premiers à avoir été “sauvé” est le garage Citroën de la rue de Marseille à Lyon, témoignage magnifique de l'architecture fonctionnaliste des années 30. Le problème est ensuite de faire vivre ces bâtiments avec d'autres fonctions que celles pour lesquelles ils ont été conçus. Une chose est certaine, les “toboggans” ne laissent personne indifférent. « Nous sommes régulièrement sollicités par des artistes qui veulent profiter de l' endroit », confirme le responsable du patrimoine. Stéphane Nicolas se souvient également d'un week-end “Portes ouvertes” mémorable. « Après avoir envisagé de remettre les chariots en route, on a préféré suggérer leurs déplacements avec des spots lumineux et une sonorisation stimulant l'imagination. » Le public clermontois avait adoré. Alors ? Après vingt ans d'attente, il y a un consensus pour dire que ces pistes font partie du paysage clermontois, au même titre que le puy de Dôme, la cathédrale ou la statue de Vercingétorix sur la place de Jaude. Régulièrement, il est question d'y installer le musée Michelin qui pourrait y trouver tout l'espace qu'il mérite. Inaugurée en 2009, “L'Aventure Michelin” est actuellement victime de son succès. Calibré pour recevoir 50 à 60 000 visiteurs chaque année, l'endroit en accueille le double aujourd'hui et est à l'étroit. « Elle rejoindra prochainement le Parc Cataroux, un projet novateur au service du dynamisme culturel et économique du territoire, de l'innovation et de la création d'emplois », se réjouit Stéphane Nicolas. Du côté des amateurs d'histoire de l'automobile, on est rassurés de voir que le patrimoine industriel peut être intégré à un urbanisme moderne et respectable. On ne peut que se réjouir de la sauvegarde de ces chefs d'œuvre du patrimoine industriel.

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