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Gilles Pernet : Les derniers secrets d'Ayrton

Publié le Écrit par La Rédaction
Gilles Pernet : Les derniers secrets d'Ayrton
© Bernard Asset, Bruno des Gayets - Illustration Patrick Brunet
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Évoquer Ayrton Senna avec Gilles Pernet, c'est replonger dans l'atmosphère de la Formule 1 des années 80 et 90 pour revivre cette amitié qui lia le journaliste au pilote prodige décédé en 1994. Une relation débutée dix ans plus tôt, alors que ce dernier faisait ses premières armes chez Toleman : « Il était un peu seul quand il a commencé en Formule 1, se souvient le journaliste. Mes confrères français n'allaient pas le voir car ils ne parlaient qu'aux pilotes français. “ C'est aussi un masque, sans le casque, ce qui se cache derrière le masque serait évident pour tout le monde. J'aimerais moi-même pouvoir regarder mes propres yeux pendant une course. Je pourrais examiner un Senna que je ne connais pas encore, ce serait excitant ! ” Ayrton Senna

Maîtrisant l'anglais, j'avais déjà un bon contact avec les pilotes étrangers, Piquet, Mansell, Patrese. .. Et c'est ainsi que j'ai commencé à discuter avec Senna sur lequel j'ai fait beaucoup de papiers dans “L 'Équipe”. » Au fil des Grands Prix, d'interviews en déjeuners, les deux hommes vont se retrouver aux quatre coins du monde, huit mois sur douze, et lier amitié. « On est devenus copains », résume simplement le journaliste. Ce dernier va ainsi vivre, au plus près du champion, les grandes étapes d'une carrière fulgurante : la chasse aux pole positions, les premières victoires, les trois couronnes mondiales et, comment l'éviter, la confrontation avec Alain Prost, l'adversaire historique. Les deux hommes se sont affrontés, souvent, à la limite et parfois même au-delà. Suzuka 89, Japon 90..., la cohabitation entre ces deux tempéraments radicalement opposés était vouée à faire des étincelles. « Senna, c' était un peu l'histoire du clown blanc. Il a été extrêmement mis en valeur par Prost. Comme l'a lui-même fait remarquer Bernie Ecclestone - au passage, un vrai passionné de sport automobile et pas seulement le businessman que l'on connaît - Prost a été l'un des plus grands pilotes de son époque. Pour une bonne raison car, contrairement à d'autres, contrairement à Schumacher par exemple, il avait de la concurrence, de l'opposition. Senna était véritablement bon mais il avait Prost en face, et Prost a souvent été mis en difficulté. » Avec cette émulation réciproque comme moteur de leur confrontation, les deux adversaires vont atteindre des sommets, accumuler les records et écrire en quelques saisons l'une des pages les plus spectaculaires de l'histoire du sport automobile.

« Le fait que je crois en Dieu ne me rend pas immortel, ne m'immunise pas. J'ai autant peur que n'importe qui de me blesser. »

Toutefois, il a parfois été dit, notamment chez certains pilotes, que Senna pouvait se révéler dangereux en course, en raison de sa foi et de sa conviction d'être protégé par Dieu. Prost lui-même y avait fait allusion après leur accrochage à Suzuka en 1989 : « Ayrton a un petit problème, avait déclaré le Français , il pense qu'il ne peut pas se tuer parce qu'il croit en Dieu et des trucs comme ça. » Mais selon le journaliste, le pilote brésilien n'était pas plus religieux qu'un autre : « Il était issu d'un pays très catholique, et pas plus religieux qu'un Brésilien bien élevé. Alors, religieux, pas spécialement mais mystique, oui. Il n'avait pas, avec la mort, une relation malsaine mais il se disait : “Il y a la vie, et il y a la limite et au-delà de la limite, il y a peut-être autre chose...” Beaucoup de gens racontaient un peu n'importe quoi sur Ayrton. Je ne détiens pas la vérité totale mais chaque fois qu'on s'est vus, il ne m'a jamais parlé de Dieu ou de religion. Dans un pays extrêmement croyant comme le Brésil, je pense qu'il était dans la norme. » Senna s'en expliquera d'ailleurs très bien lui-même à Suzuka : « Le fait que je crois en Dieu, que j'ai foi en Dieu, ne me rend pas immortel, ne m'immunise pas, comme cela a pu être dit. J'ai autant peur que n'importe qui de me blesser. » Au fur et à mesure de la conversation, loin des stands, un autre Senna se dessine, une personnalité très attachante et plus joviale, et surtout bien éloignée des clichés colportés. « Nous déjeunions souvent ensemble, et lors d'un Grand Prix au Castellet, alors qu'Ayrton était chez Lotus, il était venu avec son copain d'enfance, Junior, qui l'accompagnait souvent. Junior avait un gros faible pour les fraises à la crème et durant le repas, Ayrton s' était débrouillé pour l'envoyer chercher quelque chose dans sa chambre.

Pendant l'absence de Junior, il avait sorti une bombe de mousse à raser pour en mettre sur les fraises à la place de la crème. .. Et Ayrton était ravi que Junior se jette sur ses fraises et leur trouve un drôle de goût. C' était le genre de choses qu'il appréciait beaucoup. » Par la suite, chez McLaren, les farces ne vont pas cesser et même viser le boss, Ron Dennis en personne : « Ayrton était très proche de Dennis, ils étaient très amis. Mais la grande distraction de Senna, lorsqu'ils rentraient chacun à leur hôtel dans leurs Honda de fonction, c' était d'orienter sur le côté les buses de lave-glace de sa voiture et quand il venait se ranger à côté de celle de Dennis à un feu rouge, il lui demandait de baisser sa vitre comme pour lui dire quelque chose. Lorsque Ron la baissait, il se prenait un jet de liquide lave-glace dans la figure ! » Et d'ajouter : « Il y a peu de gens pour vous raconter ça. » Tout comme son caractère facétieux, la passion de Senna pour l'aéromodélisme reste plutôt méconnue de ceux qui ne l'ont pas fréquenté de près. « Très jeune, il a commencé à se passionner pour les avions radiocommandés, se souvient Pernet. Et même après être arrivé en Formule 1, il a continué à piloter des avions, des hélicoptères qu'il construisait lui-même. Au Brésil, dans une des fermes de son père qui était absolument immense, il y avait d'ailleurs un plan d'eau sur lequel il faisait atterrir son hydravion télécommandé... »

Grand Prix d'Imola, 1er mai 1994. Depuis quelques temps, la tension est retombée entre le Brésilien désormais chez Williams et le Français à la retraite après son quatrième titre. Si l'on ne peut pas parler d'amitié, un certain apaisement règne entre les deux champions qui vont se rencontrer deux fois durant le week-end. Mais au cours d'un Grand Prix déjà miné par l'accident spectaculaire de Barrichello et la mort de Ratzenberger, cette relation va prendre un tournant particulièrement émouvant le temps d'un court message adressé par Ayrton à « son ami Alain » . « Cela s'est passé alors que j' étais dans le car-régie de TF1 où nous étions occupés à enregistrer ce que nous appelions “le tour embarqué”, une idée que je revendique. Ça m' était venu de mon expérience dans la voile, où les seules liaisons que nous avions avec les navigateurs, dans les courses du style Route du Rhum, c' était avec la radio.

Gilles Pernet Photos
© Bernard Asset, Bruno des Gayets - Illustration Patrick Brunet

« Salut Ayrton, c'est Gilles. On fait un essai radio et, au fait, Alain est là, avec nous, il t'entend. »

Je me suis dit que les pilotes ayant une vague radio pour communiquer avec leur stand, il fallait exploiter ça. On avait commencé à installer des caméras, au début des 16 mm fixées sur l'arceau de sécurité avec deux serre-joints, l'image était devenue de plus en plus exploitable, mais il n'y avait toujours pas de son. Je me suis dit que c' était dommage et que ce serait formidable qu'un pilote, pendant les qualifs, nous explique : “Ici j'arrive en 5e , je freine à 75 mètres, le point de corde, il faut le prendre comme ça. ..” Bref, nous avons inventé cela. Quand j'en ai parlé à TF1, ils m'ont envoyé un technicien qui est arrivé avec sa perceuse en demandant où il pouvait faire un trou pour installer la caméra ! Les ingénieurs ont failli avoir une attaque. On a ensuite développé la qualité du son parce que jusqu'ici, on comprenait tout juste si le pilote disait “yes” ou “no” mais guère plus. Il fallait que ce soit diffusable et cela arrangeait finalement tout le monde, y compris les équipes car lorsqu'elles donnaient des directives au pilote, il valait mieux qu'il les entende. À partir du moment où tout fut prêt, image et son, je me suis dit qu'il fallait faire un tour embarqué. Chaque week-end de course, on demanderait au détenteur de la pole de nous expliquer comment ça se passe au volant. » Ce fameux week-end à Imola, Gilles Pernet a demandé à Ayrton Senna d'effectuer le tour embarqué dans sa Williams-Renault FW16. Dans le car-régie se trouve Alain Prost qui officie en tant que consultant aux côtés des commentateurs de TF1 sur la diffusion des Grands Prix. « Il était très bon dans ce rôle, se souvient Pernet. Au début du tour embarqué, alors que Senna est encore dans les stands, je lui dis : “Salut Ayrton, c'est Gilles. On fait un essai radio et, au fait, Alain est là, avec nous, il t'entend”. Senna s' élance pour un tour lent, pas pour un tour de qualif évidemment. Il sort du garage, prend la ligne droite des stands et dit : “Et pour commencer, un bonjour à notre ami Alain. Tu me manques, Alain. .. ” C' était magnifique, comme histoire. » Un Senna touchant, plus humain que jamais, comme déboussolé par l'absence de son adversaire préféré et pour le moins remué par la série d'accidents qui a émaillé le week-end, se révèle ainsi aux oreilles des téléspectateurs en préambule d'un Grand Prix dont on connaît la désastreuse issue. La caméra embarquée de Gilles Pernet nous aura offert cet instant gravé dans l'histoire de la Formule 1, ces quelques secondes hors du temps et l'une des dernières déclarations de celui que son ami journaliste n'a jamais cessé d'admirer : « Senna était un seigneur, il restera le plus grand. »

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