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Monteverdi 375/4 : Helvète underground

Publié le Écrit par Mamy Yves Ratsimbazafy
Helvète underground
© Rémi Dargegen
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Ça les démange tous. Les aspirants constructeurs rêvent tous un jour de créer du désir, de la beauté, de l'exclusivité, de l'excès. Secrètement, la plupart s'imaginent en Commendatore. Surfant la vague de la prospérité, quelques-uns d'entre eux osent relever le défi. Renzo Rivolta, industriel de la climatisation, et Ferruccio Lamborghini, fabricant de matériel agricole, se lancent dans l'arène de l'automobile d'exception en 1962 et 1963. Avec des moyens conventionnels pour le premier, provocateurs pour le second.

Monteverdi fait partie des ambitieux qui ont voulu rivaliser avec les institutions les plus respectées

À l'aube des années 1960, pour élaborer une voiture de grand tourisme, il est dispendieux et risqué de se lancer dans la conception d'une mécanique originale capable de rivaliser avec le V12 de Ferrari. Ce sur quoi le velléitaire Ferruccio Lamborghini passe outre ; il n'hésite pas à élaborer une base technique encore plus ambitieuse que celle de son concurrent. En revanche, pour les artisans les plus raisonnables, le choix du moteur américain représente la solution la plus sage, la plus économique, la plus fiable. Iso a fait ce choix, Facel-Véga avait donné l'exemple ; Bristol, Jensen, AC, Gordon et d'autres ont suivi la même voie. Ce sera aussi l'option retenue par Peter Monteverdi.

Ce garagiste suisse a baigné très jeune dans le monde de l'automobile, son père possédant un petit garage. Il devient concessionnaire Ferrari à Binningen, près de Bâle, et se retrouve aux premières loges pour voir défiler clientèle aisée et machines exclusives dans ses ateliers. À l'occasion, Peter Monteverdi se prend pour un gentleman driver. Il rachète pour son usage personnel des Ferrari de compétition usagées, essentiellement pour effectuer des courses de côtes. En 1957, il utilise une 500 TR (0638/MDTR), une 750 Monza (0486/M) et une 250 TR (n° 0742/TR) dans le cadre du championnat de la montagne, seule spécialité sportive désormais autorisée au pays de la désalpe et du coucou. Monteverdi ne résiste pas longtemps à l'envie de personnaliser ses montures, il fait transformer sa 750 Monza en berlinette et lui donne - très vaguement - des allures de 250 GTO.

En 1960, Peter Monteverdi saute le pas, devient constructeur et commercialise quelques exemplaires d'une monoplace de Formule Junior. L'année suivante, il réalise une voiture de route, qu'il baptise MBM Sport et dote d'un moteur Osca 1100. Ce modèle est exposé aux Racing Car Shows de Londres en 1961 et 1962. Le projet évolue en mars 1962 sous la forme du coupé MBM Tourismo qui utilise un moteur de Ford Anglia et reprend la caisse de la Heron Europa britannique. Mais ces jouets sont trop modestes pour l'ambitieux Bâlois qui vise l'élite, les nantis, les happy few. Peter Monteverdi rompt avec Ferrari, devient agent pour BMW et distributeur pour Jensen. En parallèle, il décide de créer une berlinette de grand tourisme fusionnant la grâce du style latin et la puissance de la mécanique américaine. Il confie à Pietro Frua le soin d'habiller un robuste châssis tubulaire. En vieux renard madré, le styliste ne perd pas trop de temps, il réalise une sorte de copie assagie de la Maserati Ghibli. La Monteverdi High Speed est présentée au Salon de Francfort en septembre 1967. Elle est motorisée par un V8 Chrysler de 7,2 litres disponible en deux versions, 375 S (pour 380 chevaux) et 400 SS (pour 405 chevaux). Six mois plus tard, à Genève, Monteverdi présente une extrapolation établie sur un empattement allongé (265 cm au lieu de 251) pour aménager deux petites places à l'arrière. L'auteur du style est toujours Pietro Frua qui signe sans doute là le plus élégant de tous les projets de Monteverdi. Sans plagier aucune de ses contemporaines, cette High Speed 375 L est une merveille d'équilibre et de proportions.

Monteverdi a fait confiance à Fissore, un carrossier qui avait rarement exploré le registre du luxe et du grand tourisme

Hélas ! Elle n'aura aucun avenir car déjà le torchon brûle entre Peter Monteverdi et Pietro Frua. Le jeune constructeur doit chercher un autre partenaire après la sortie d'une petite douzaine de voitures. .. sachant que chez Monteverdi, tous les chiffres de production sont sujets à caution. Frua, toujours aussi roublard, essaie de placer le même projet chez AC pour qui il a déjà créé la 428... singeant le profil de la Maserati Mistral ! Lassé des manigances de Frua, Monteverdi se tourne vers Fissore, une vieille entreprise de carrosserie fondée après la Grande Guerre, passée lentement de la réparation à la création. C'est Fissore qui avait assuré la fabrication des quelques High Speed dessinées chez. .. Frua ! Mario Fissore s'appuie sur le talent d'un styliste aussi discret que talentueux. Autodidacte, engagé comme apprenti en 1957 à l'âge de 17 ans, Franco Maina dessine sans répit, sans se faire remarquer. Mais en 1964, son talent explose au grand jour avec le dessin de la délicieuse De Tomaso Vallelunga. Plus tard, la maison Ghia en récupèrera la fabrication et s'appropriera sa paternité ! Monde ingrat que celui des carrossiers. .. Pour Monteverdi, Franco Maina reprend complètement le style de la High Speed 375 L, il gomme toute référence au dessin de Pietro Frua pour tracer des arêtes aiguisées et des angles vifs. C'est dans l'air du temps. Les plus grands designers rivalisent alors d'agressivité dans leur style. Les nouvelles déclinaisons des High Speed arrivent en cascade, la 375 L (2 + 2) en mars 1969, la 375 S (deux places) en octobre 1969, la version décapotable 375 C et la stupéfiante 375/4, toutes les deux en mars 1971.

Cette extravagante version à quatre portes et quatre places est établie sur un empattement étiré jusqu'à 3,12 mètres pour allonger le profil à l'extrême. Les lignes sont encore plus tendues, plus anguleuses, plus brutales, plus caricaturales. La 375/4 conserve la même base mécanique que le coupé, le moteur standard est toujours le V8 Chrysler de 7 206 cm3 développant 305 chevaux, mais il existe une option plus musclée qui affiche 6 974 cm3 et fournit 390 chevaux. Il s'agit de la variante Hemi du moteur américain bien connu des habitués de Daytona ou de Riverside. L'idée d'extrapoler une berline grande routière à partir d'un coupé de grand tourisme n'est pas nouvelle. Elle anime tous les constructeurs qui veulent superposer deux traits de caractère a priori inconciliables : le confort et la performance. La Monteverdi 375/4 s'inscrit dans les pas des Maserati Quattroporte, Iso Fidia, De Tomaso Deauville et surtout de l'iconoclaste Aston Martin Lagonda, tout aussi provocatrice que la Suissesse sur le plan du style. On estime entre vingt-cinq et trente le nombre de berlines 375/4 vendues. Cependant, comme pour tous ses modèles, le constructeur helvète a préféré entretenir le secret sur les chiffres de production. Un réflexe naturel dans les parages de l'Union des Banques Suisses. Le rythme des nouveautés reste soutenu.

La Monteverdi 375/4 s'inscrit dans les pas des De Tomaso Deauville et surtout de l'iconoclaste Aston Martin Lagonda

Monteverdi s'attache à réserver chaque année une surprise aux visiteurs du Salon de Genève : en mars 1972, la “Berlinetta” qui se distingue de la 375 S par le traitement de sa face avant et le montage d'un moteur sept litres de 390 chevaux. Et enfin, en mars 1975, la toute dernière variante de la lignée, la Palm Beach, cabriolet dérivé de la Berlinetta. Toujours velléitaire, Monteverdi veut provoquer ses concurrents sur tous les fronts. Suivant la voie ouverte par l'ATS 2500 GT, la Lamborghini Miura et la De Tomaso Mangusta, il explore les possibilités du moteur central sur la Hai 450 SS, une berlinette dévoilée en mars 1970. Le style, dû à Trevor Fiore, est plaisant, les prestations prometteuses, mais le programme tourne court et se limitera à la confection de quatre prototypes. La crise économique menace. En 1976, Monteverdi renonce à se battre sur le terrain des machines superlatives. Il tente de s'évader sur le créneau des véhicules tout-terrain, civils et militaires, puis il élabore des versions personnalisées des grandes berlines Mercedes. C'est le commencement de la fin. Le cœur n'y est plus. En 1994, Monteverdi essaie de s'accrocher à la folie soudaine pour les supercars et évoque son retour avec le projet Hai 650 F1. Sans lendemain. Peter Monteverdi s'éteint quatre ans plus tard. Rongé par l'envie et les illusions déçues.»

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