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Romano Artioli : Réanimator

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Romano Artioli : Réanimator
© Rémi Dargegen
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L'aventure Bugatti sous l'ère Artioli ressemble plus à un sacerdoce qu'à un rêve, mais elle a de quoi rendre fiers ceux qui l'ont menée à bien. Son arrêt brutal le 23 septembre 1995, quatre ans après la présentation officielle de l'EB 110 à Paris, le 14 septembre 1991, a été pour Romano Artioli une vraie blessure. La marque, rachetée par le groupe Volkswagen en 1998, a mis du temps à accepter la présence de l'EB110 dans la filiation entre les modèles historiques produits jusqu'en 1952 et la Veyron. La vraie reconnaissance est venue sur le tard avec le lancement de la Centodieci fabriquée en hommage à l'EB110. Stephan Winkelmann, président de Bugatti déclara alors : « Romano Artioli fait partie de l'histoire de notre marque. C'est grâce à son initiative et à son opiniâtreté que Bugatti a redémarré son activité. Son énergie et son enthousiasme, sa passion sans faille pour Bugatti, ont aidé la marque à entrer dans le XXIème siècle. » A vrai dire, la vie entière d'Artioli a tourné autour des voitures et de Bugatti. Né près de Mantou, la ville natale du pilote Tazio Nuvolari, il est fasciné dès l'enfance par la course automobile et décide que sa vie serait consacrée aux autos. En 1952, âgé de vingt ans, Romano Artioli tombe sous le choc quand il apprend que Bugatti va disparaître: « Bugatti était une famille d'artistes. J'ai connu beaucoup d'ingénieurs et, malheureusement, ils ont tendance à avoir une expertise dans un domaine qu'ils ne peuvent pas dépasser. Si vous avez une formation plus large, en philosophie ou dans les arts par exemple, vous pouvez accomplir beaucoup plus. » De ce choc, naîtront un pari et une folle ambition : faire renaître la marque. Pendant 39 ans, Romano Artioli va travailler sans relâche, d'abord pour construire un empire automobile, puis pour orchestrer la renaissance de Bugatti.

Sa vie active a démarré par la vente de voitures. Aux Borgward a succédé le déploiement de concessions General Motors avant qu'il ne se lance dans l'importation de Suzuki puis d'autres marques japonaises, avec grand succès. Pendant vingt ans, il s'imposera comme le premier importateur d'autos japonaises en Italie, mais il sera aussi, par ailleurs, le premier concessionnaire Ferrari du pays. Avec flair, il décide également d'importer la Maruti fabriquée en Inde « car elle était dotée de la climatisation. Ça a été un carton plein ! ». Fortune faite, outre son importante collection personnelle de Bugatti, Romano Artioli peut alors entreprendre son rêve ultime : faire renaître Bugatti. Il lui faudra deux ans de négociations très discrètes avec le gouvernement français pour acheter la marque et créer Bugatti Automobili S.p.A. en octobre 1987, dont il devient le président. Sa première ambition est de faire renaître la marque en Alsace à Molsheim « mais à l'époque, il n'y avait ni hangars, ni techniciens dans la région ». C'est à Campogalliano en Emilie Romagne dans le nord de l'Italie que renaîtra Bugatti. Le lieu est situé au cœur du “cluster” qui abrite notamment Ferrari, Lamborghini et Maserati. Romano Artioli voit les choses en grand. Son usine, comme l'auto qui en sortira, l'EB110, sont avant-gardistes. Le dessin de l'usine bleue comme il l'appelle est confié à son cousin, l'architecte Giampaolo Benedini. Ce bâtiment très remarqué offre lumière et confort aux ouvriers et rassemble tous les départements de la marque depuis la R&D jusqu'à l'administratif. Pour l'EB110, dont le lancement doit coïncider avec les 110 ans de Bugatti, Artioli s'entoure des meilleurs, quitte à faire, avec le recul, des erreurs d'appréciation. Ainsi il sera très déçu par le dessin du prototype signé Gandini : « Il a conçu une voiture absolument terrible, elle ressemblait à une Lamborghini et était impossible à utiliser. Son époque était celle des coins où les angles forts étaient la règle. Je lui ai dit que je voulais quelque chose de plus doux. Lorsque nous avons modifié le châssis, j'ai demandé à Benedini d'y jeter un œil. » Beedini, l'architecte de l'usine, alors totalement étranger à la chose automobile, finalise l'EB110.

« Sur l'EB110, nous devions repousser les limites, je devais bien cela à Ettore Bugatti. » Force est de constater que les lignes de l'EB110 qu'Artioli aime à qualifier de très graphiques et inspirées par le Bauhaus ont bien vieilli. Gandini quitte alors assez naturellement le projet. L'équipe technique est également un concentré de talents. Comme aime à la répéter Artioli : « Sur l'EB 110, nous devions repousser les limites en matière de performance et de qualité, je devais bien cela à Ettore Bugatti. » C'est ainsi qu'Artioli recrute Paolo Stanzani, l'auteur de la Countach, puis, après son départ précipité, Nicola Materazzi, l'auteur de la F40 pour concevoir, à partir d'une feuille blanche celle qui se doit d'être la supercar la plus aboutie au monde. L'EB110 est une création ex-nihilo sans aucun composant emprunté à un autre constructeur. Les partenaires sont plutôt issus de l'aéronautique avec l'Aérospatiale pour le châssis monocoque ou encore la SNECMA pour sa R&D sur les suspensions. Comme le dit le pilote Andy Wallace : « La Bugatti était très en avance sur son temps avec son châssis en carbone, ses quatre roues motrices et ses quatre turbos. » A noter que les Veyron et Chiron sont toujours conçues sur ce même principe. L'année 1993 voit deux nouveaux projets prendre jour. Ils témoignent de ce que d'aucuns reprocheront à Artioli, sa folie des grandeurs. Le premier est le lancement par son épouse d'une marque de mode et de maroquinerie dénommée Ettore Bugatti, avec un premier magasin ouvert à côté de l'Avenue Montaigne à Paris. Le second est lié au rachat de Lotus en 1993 par Artioli lui-même. Cet achat visait en réalité à faire bénéficier Bugatti du réseau de distributeurs Lotus aux Etats-Unis. Restait malgré tout à régler un des talons d'Achille de l'EB110, son homologation sur ce marché, indispensable pour assurer la pérennité de l'aventure. Romano Artioli avait initialement songé à faire revivre la marque à Moslheim.

Romano Artioli Photos
© Rémi Dargegen

Le rachat de Lotus est concomitant au démarrage du projet M111, une petite sportive, devenue best-seller, qui sera baptisée Elise en hommage à Elisa, la fille d'Artioli née en 1993. Une double fierté pour Artioli. Outre l'achat très médiatisé par Michael Schumacher d'une EB110 SS jaune intérieur bleu qualifiée d'incomparable par le pilote allemand, l'année 94 est aussi une année folle avec la participation d'une Bugatti EB110 au Mans. L'EB110 LM, lancée à l'initiative de Michel Hommell, a été développée en six mois seulement entre Bugatti et Synergie en France. Comme le dit le pilote essayeur de l'époque, Loris Bicocchi : « C'était extraordinaire, tout était ambitieux, étrange, un peu fou même. .. mais l'histoire de Bugatti était folle dès le départ, alors tout ça faisait sens ! » L'auto fait sensation au Mans mais ne termine pas. Las, la crise financière de 1995 compromet l'ambitieuse feuille de route d'Artioli. C'est aussi l'année où le gouvernement italien décide de dévaluer la lire pour booster les exportations, entraînant de facto un renchérissement des autos japonaises qu'importe Artioli. Les difficultés s'accumulent alors pour Bugatti, de nombreux fournisseurs ne sont pas payés, certains renoncent à travailler avec la marque, d'autant plus que les concurrents italiens de Bugatti les en dissuadent. Le team monégasque de Gildo Pastor qui fait courir la Bugatti EB110 SC voit sa voiture séquestrée dans l'usine par des huissiers. Bugatti est déclarée insolvable le 23 septembre 1995. Jusqu'au dernier jour, Artioli a tenu à payer ses 220 employés. Tout perdre fut un choc. La majorité des parts dans Lotus sera revendue en 1996 à Proton. Au final, Bugatti aura construit environ 139 autos, dont 13 prototypes, 95 EB110 GT et 31 EB110 SS. Cet arrêt intervint alors que l'EB110 était sur le point d'être homologuée aux Etats-Unis et que Bugatti finalisait son EB112, une berline imposante et très sportive. Aujourd'hui reconnu par Bugatti, Romano Artioli est à la fois fier et amer. Infatigable travailleur, il reste un ardent militant de la sécurité automobile et a racheté en 1999 le CRMT Lyon, un spécialiste français de la conversion de véhicules au gaz naturel.

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