Heroin Hélène Lac : Rocket Girl

Partagé entre curiosité et ronchonnement, Christian, un retraité installé dans la rue principale du village de La Roche-Guyon (Val-d'Oise), observe bras croisés une agile jeune femme de 1,72 m pousser les 300 kilos d'une moto sous les arcades de la mairie. La disproportion n'a pas l'air de le surprendre. « J'en ai déjà vu de plus menues être obligées de s'aider du parapet pour grimper sur leurs énormes motos , raconte-t-il, moi c'est les Harley que je n'aime pas… Nous en voyons parfois arriver en troupeau dans un brouhaha infernal. Mais celle-ci, ça va… » En effet. Il s'agit de la toute dernière Triumph Rocket 3. Un mastodonte aux chromes étincelants dont les 167 chevaux intimideraient le plus hardi des bikers barbus. Hélène Lac, la jeune femme en question, la manipule comme un vélo. Et pour cause. Il en faudrait davantage pour effrayer cette spécialiste des deux-roues qui, des plus imposantes BMW GS aux plus petites Mash 125, a familiarisé avec tous les guidons.

Hélène Lac s'est en même prise de passion, jusqu'à en faire son métier.

Depuis quatre ans, armée de son appareil photo, elle met ses talents de community manager et de créatrice de contenu au service des constructeurs. Dernier en date, le réseau Triumph, dont plusieurs concessions lui ont ainsi confié la charge d'alimenter leurs réseaux sociaux. « Nous apprécions vraiment son coup d'œil, sa créativité et son caractère toujours positif , précise ainsi Hakim Ben Sliman, le responsable de la concession de Paris Bastille, qui travaille avec elle depuis près de deux ans, nous lui confions les motos en toute confiance, y compris les préparations spéciales que nous mettons au point. Elle les utilise quelques jours et parvient toujours à dénicher de nouveaux spots pour faire ses photos.

« Sur la route, je me sens dans une bulle où je mets les soucis du quotidien de côté. »

Elle est elle-même photogénique et possède un naturel qui correspond bien à la marque. » Ce jour-là, Hélène Lac a donc jeté son dévolu sur La Roche-Guyon, dont le château du XVIIIe adossé à la falaise et son donjon médiéval lui paraissent un cadre pittoresque pour déclencher quelques clichés. Autodidacte de la photo et de la vidéo, travaillant seule la plupart du temps, elle s'est habituée aux allers-retours incessants devant son objectif posé sur trépied. « Un jour, cela m'a coûté quatre points de permis d'un coup, raconte-t-elle en riant, je faisais des allers-retours dans la rue déserte d'un petit village. Pas de chance, elle était à sens unique et surveillée par une caméra de verbalisation. » La motarde n'est pourtant pas délinquante pour un sou. Plus que la vitesse, elle préfère affûter sa capacité à tout savoir piloter. Pour elle, la moto n'est pas spécialement synonyme de liberté, comme le répètent à l'envi la majorité des motards. « Nous jouons tout de même notre vie dans les interfiles, rappelle-t-elle, s ur la route, je suis concentrée et je me sens dans une bulle où je mets tous les petits soucis du quotidien de côté. » C'est parce qu'elle était lasse d'être passagère qu'elle a décidé de passer le permis, à 23 ans. Accumulant les petits boulots, passant de fleuriste à pizzaïola, elle s'est offerte pour première moto une Suzuki SV 650. « Une bécane facile et fonctionnelle, mais pour laquelle je n'ai pas eu d'amour particulier » avoue-t-elle.

La moto de sa vie ?

C'est la Triumph Truxton R, qu'elle a possédée un moment, et qu'elle se rachèterait volontiers. En deuxième choix, elle craquerait pour une Tiger 900… « Ou peut-être une Super Veloce, MV Agusta, que j'ai testée un jour et qui m'a bluffée » susurre-t-elle. Avant de travailler comme prestataire indépendante pour la marque anglaise ainsi que pour d'autres enseignes telles que les vêtements de moto John Doe ou le loueur de motos Europcar bikes, elle a vendu des motos dans une concession Honda, puis a travaillé sur les réseaux sociaux de BMW. Un passé qui de ses propres aveux lui a permis d'heureuses rencontres, mais l'a aussi confrontée à quelques porcs-épics. « C'est dur d'être une femme dans le milieu de la moto, dénonce-t-elle , il y a encore beaucoup de machisme, de remarques scabreuses.

« Je ne faisais que démarrer une R 18. En quelques jours la vidéo a fait plus de 10 millions de vues ! »

Je sais que ça évolue dans le bon sens, mais ça va trop lentement. » Elle s'est mise à son compte pour échapper à cela. « Dès lors qu'il n'y a plus eu de subordination, il n'y a plus eu de réflexions déplacées » observe-t-elle. Tout au plus lui arrive-t-il encore d'en recevoir sur ses propres réseaux sociaux. Hélène Lac compte en effet pas moins de 150 000 abonnés sur son compte Instagram, qu'elle a créé il y a quatre ans sur les conseils d'une amie. Elle peine à expliquer le succès de certaines vidéos. « J'en ai tourné une très courte où je ne faisais que démarrer une BMW R 18, se souvient-elle, encore éberluée, en quelques jours, elle a fait plus de 10 millions de vues ! » Comme d'autres, elle a appris à dompter la pieuvre numérique, à prendre de la distance vis-à-vis des quelques importuns tout en se réjouissant des milliers d'encouragements.

« Instagram m'a permis de rencontrer des gens géniaux » observe-t-elle.

Elle prend néanmoins soin de s'en éloigner régulièrement. À moto bien sûr, pour rouler en Bretagne avec des amis. Mais aussi pour taper le volant de badminton, une discipline qu'elle pratique entre 6 et 9 heures par semaine, ou encore pratiquer le vélo, le roller, écouter les Beatles, David Bowie, Otis Redding, Arctic Monkeys. .. Son goût pour le néo-rétro l'atteint jusqu'au bout des oreilles. À ses temps perdus, elle se plonge aussi dans des livres de science qui lui racontent l'évolution humaine. L'un de ses ouvrages favoris reste néanmoins celui du motard journaliste Pierre Capart : Mes 1 40 0 ex . À ce rythme, elle pourrait bien un jour battre son record du nombre de motos pilotées.