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Bernard Asset : le déclic

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Bernard Asset : le déclic
© Bruno des Gayets
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En 1973, Bernard Asset, 18 ans, se rend en Grande-Bretagne, au guidon de sa Honda 125 CD, visiter une famille d'accueil avec laquelle il a gardé de bons contacts. Ce week-end-là, le 14 juillet, se dispute le Grand Prix de Formule 1, à Silverstone. Au culot, Bernard se fait accréditer, le dimanche matin, fort d'une lettre de recommandation de Pierre Pagani, le rédacteur en chef du magazine Echappement avec lequel il est entré en contact en terminant deuxième d'un concours photos organisé par le mensuel La Moto , intégré au même groupe de presse Michel Hommell. Il y fait ses premiers clichés de F1, avec des moyens limités (un modeste Pentax Spotmatic équipé d'un objectif Soligor de 135 mm) saisissant les stars de l'époque, Jackie Stewart, Emerson Fittipaldi, Ronnie Peterson, Denny Hulme, Carlos Reutemann, James Hunt, Jacky Ickx, Jean-Pierre Beltoise et aussi François Cevert qu'il ne reverra plus, victime trois mois plus tard d'un tragique accident au USA. La route du retour est laborieuse, la Honda tournant au ralenti, soupape voilée. ..

Depuis cette époque épique où la débrouillardise valait bien des diplômes, Bernard a parcouru du chemin et s'est fait une place au soleil de Bandol où il expose une cinquantaine de ses clichés, sélectionnés parmi ses 500 000 diapositives, dans une galerie où il a également conservé ses boîtiers (Canon A1, T90, News F1, Nikonos, Leica M6...), ses objectifs (dont un 500 mm f 4, 5 ayant bourlingué), ses brassards de presse, ses quatre trophées du Festival Automobile International obtenus entre 1988 et 2018 - des bronzes de Manou Zurini, le photographe devenu sculpteur - le casque offert par Nelson Piquet, autant de témoignages d'une carrière bien remplie qui suscitent l'intérêt des fans du sport auto de passage dans ce lieu, situé à 200 mètres de la Méditerranée, dédié aux héros de l'asphalte. Au compteur de Bernard Asset (qui tourne toujours, mais sans flirter avec la zone rouge), plus d'un million de photos dont 600 000 rien qu'en F1 (au rythme de 40 films de 36 poses par course dont il conservait 80 % de la production), capturées lors d'environ - il n'a jamais compté - 520 Grands Prix (dont 42 éditions de Monaco et du Brésil), une trentaine de rondes des 24 Heures du Mans, une dizaine de rallyes du championnat du monde, principalement le Monte-Carlo, sans compter les 500 Miles d'Indianapolis, des épreuves d'Indycar, la course de côte de Pikes Peak (en 1985, l'année de la victoire de Michèle Mouton sur l'Audi Quattro).

Bernard Asset a fait de sa passion de la photo un métier, sans jamais perdre la flamme

Bien plus qu'un photographe perfectionniste dont la gentillesse et la modestie lui valent la sympathie de tous, Bernie, comme l'appelle ses amis, est devenu - à la manière de son ami Johnny Rives de L'Equipe - une référence dans le monde entier, pour son coup d'œil, ses cadrages, sa créativité et une longévité dans le métier qui force le respect. L'histoire débute le jour où - cadeau de communion - Bernard se voit offrir un Kodak Instamatic « le 2 2 4, avec réglage nuage/soleil » , précise t-il . « Il y a eu un déclic, je ne le quittais plus. Peu de temps après, j'ai vraiment imaginé en faire mon métier. Avant cela, je n'avais jamais pensé à mon avenir. » Cette idée fixe en tête, après son BEPC, malgré la réticence, dans un premier temps, de ses parents, finalement convaincus par sa détermination, Bernard saisit l'opportunité d'intégrer, avant le Bac, l'école des Gobelins, un cursus de trois ans. Sélectionné avec 19 autres jeunes talents parmi les 300 candidats, il s'investit totalement dans son art, animé d'un désir de faire toujours plus, toujours mieux, sacrifiant tous ses week-ends pour arpenter les circuits, une dizaine de kilomètres par jour, bardé de 15 à 20 kilos de matériel. En 1979, passé le temps où il commença chez Hommell comme laborantin-coursier (l'important étant alors de mettre un pied dans la presse pour y évoluer), il intègre le staffe Grand Prix International , un magazine consacré à la F1. Trois ans plus tard, il devient photographe indépendant tout en déposant ses photos à l'agence Vandystadt, ce qui lui permet également de couvrir les Jeux Olympiques d'été à Barcelone et d'hiver à Albertville en 1992. Durant ses quarante ans en immersion dans l'univers de la F1, Bernard Asset a imposé son style, en ne se contentant pas de signer de belles photos en course, mais en mettant en scène des images intemporelles. La plus iconique est celle, embarquée, d'Alain Prost pilotant la Renault RE 30 lors de la saison 1981 (qu'il eut la chance d'essayer deux ans plus tard).

Dans Le compteur de Bernard Asset affiche 520 Grands Prix de Formule 1 et un million de photos !

Bernard raconte : « Depuis mon arrivée en F1, j'avais fait la connaissance d'Alain Boisnard qui, pour le compte d'Elf, réalisait des images embarquées avec une caméra 1 6 mm, bien avant les GoPro en concevant des supports adaptés aux différentes monoplaces. Je voulais réaliser la même chose, en photo, mais je n'étais pas très bricoleur et les radios commandées n'étaient pas encore sur le marché. Mon ami Eric Bhat, le journaliste avec lequel j'ai suivi mes premières saisons de F1, était devenu l'attaché de presse de Renault F1. Aussi je lui demandai si un tour embarqué sur la Renault RE 30 de Prost serait envisageable. .. Comme il était encore plus maboul que moi, il posa la question à Jean Sage, le patron du team, qui accepta sans peut-être réaliser de quoi il s'agissait, à l'occasion d'une séance d'essais privés sur le circuit de Dijon-Prenois. la mesure où cela était inscrit au programme de la journée, au moment de la pause déjeuner, Alain Prost n'a pas eu son mot à dire. Sans préparations particulières, les mécaniciens m'aidèrent à m'asseoir sur le capot moteur et improvisèrent une sangle fixée à l'arceau pour m'empêcher de partir en arrière.

Alain Prost devait rouler à vitesse réduite en évitant les à-coups du V6 turbocompressé à bas régime. Installé, je me cramponnai au roll bar pour le démarrage et ni moi ni personne ne pensa à me faire porter un casque ou au moins un blouson en cuir ! Alain stabilisa la vitesse à environ 60 km/h et j'exploitai au mieux ce tour unique avec mes deux boîtiers Canon autour du cou, l'un équipé d'un 17 mm, l'autre d'un zoom grand angle. Par sécurité, j'avais mixé les films entre Kodachrome et Ektachrome en cas de problème au développement ou de perte. J'avais aussi varié les vitesses d'obturation du 1/15ème de seconde au 1/60ème , ainsi que les cadrages verticaux et horizontaux. Cette photo, après publication dans Grand Prix International m'a permis de renouveler l'opération avec d'autres équipes et notamment la Brabham de Nelson Piquet sur le circuit Paul Ricard. » Dans un autre registre, Bernard se souvient d'un moment particulier lors d'une prise de vue avec Elio de Angelis. « Rendez-vous avait été pris avec l'équipe Lotus grâce à leur sponsor, Essex. Il s'agissait d'une séance privée sur le circuit de Laguna Seca, une semaine avant le premier Grand Prix de la saison 81 à Long Beach. J'avais fait la demande pour avoir la F1 et le pilote à l'issue de la séance, au coucher du soleil. Les mécaniciens devaient m'amener la monoplace au sommet du célèbre virage de Corkscrew où je devais bénéficier d'une belle lumière dorée.

En fin d'après-midi, je trépignais sur le muret aux côtés de Colin Chapman alors que la séance se prolongeait au-delà de l'heure prévue. Lorsque Colin Chapman m'indiqua que c'était bon pour moi, le soleil venait de se coucher et j'étais désespéré. J'ai quand même fait la photo, comme prévu, avec le boîtier équipé d'une 300 mm à f 2.8. Le résultat fut une véritable surprise lorsque je découvris les Kodrachrome, dix jours plus tard, de retour à Paris. Le flou du bitume en premier plan venait se confondre avec celui de la colline en arrière, ajoutant un peu plus de mystère à cette monoplace avant-gardiste et son pilote coiffé de son casque Simpson futuriste. La Lotus 88 fut interdite de participer à la course en raison de son double châssis mobile non conforme au règlement. C'est l'une de mes photos préférées, peut-être aussi à cause du stress qu'elle m'a provoqué. » Bernard s'est souvent battu pour sortir des images qui font date, fidèle à ce conseil qu'il livre aux apprentis-photographes : « Il faut se laisser guider par la passion sans faire de plans. Si la passion est là, ça ira tout seul. »

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