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La saga des BAT : envolée lyrique

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La saga des BAT : envolée lyrique
© Peter Harholdt
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Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, deux influences règnent sur la carrosserie : le “styling ” américain et la “bella machina” exaltée par la “carrozzeria” italienne. Auréolée par son action déterminante au cours de la Seconde Guerre mondiale, portée par le prestige de la conquête spatiale, l' Amérique fascine le monde et impose son acculturation sur les styles de vie tout autour de la planète. Le design traduit l' opulence de l' Amérique. Avec la guerre de Corée qui éclate en 1950, le culte de l' armée s' amplifie. Les ailerons des Cadillac se réfèrent au chasseur Lockheed P38 Lightning. La terminologie parle d' agressivité, les “dream cars” se nomment Golden Rocket, Futura ou Le Sabre.

La trilogie des Alfa Romeo “BAT” marque le véritable envol de la maestria de Bertone

En répandant ses produits sur tous les continents, l' Amérique s' infiltre subrepticement dans tous les paysages du monde moderne. L' Europe y puise le ferment de sa modernité, le Japon y perd un peu de son âme. Le vieux continent est influencé par les styles de vie des Américains, ses objets, ses rituels, ses manières de consommer. Du Frigidaire au Coca Cola, des fast-foods aux motels, tous les attributs de l' “American way of life” sont exportés aux quatre coins du monde. Les carrossiers européens veulent reproduire les lignes des voitures américaines, copier leurs délires de métal et leurs cascades de chrome, les hardiesses dans les jeux de couleurs et l' usage de matériaux nouveaux... Mais souvent, cette tentation bascule dans une sorte de baroque flamboyant, dégénéré et affligeant. C' est le syndrome qui frappe les carrossiers français qui étaient les plus créatifs du monde dans les années 1930 et qui, après la Seconde Guerre mondiale, se vautrent dans la caricature. Si l' on ajoute à cela que les Franay, Saoutchik et autre Figoni exercent leur regrettable besogne sur les bases mécaniques archaïques que leur confient Delage, Talbot ou Delahaye, on comprend pourquoi tous ces grands noms sont emportés par la vague de la sénescence.

Les carrossiers italiens ont échappé à ce chaos grâce à une jeune génération de stylistes qui émerge après la guerre et grâce à la fourniture de mécaniques inédites par Alfa Romeo, Lancia et des petits nouveaux qui se nomment Ferrari et Maserati. C' est dans ce contexte que Bertone, vieille entreprise fondée en 1921, prend une nouvelle dimension et un panache inédit au début des années 1950. Nuccio Bertone qui, progressivement, prend les rênes de l' entreprise fondée par son père, sait qu' il doit faire évoluer la maison à la fois sur le plan industriel et dans le domaine créatif. La rencontre avec Stanley Harold, dit “Wacky” Arnolt, est providentielle. Ce milliardaire de Chicago souhaite diffuser aux États-Unis des voitures britanniques personnalisées en Italie. Pour cela, il commandite à Bertone une série de cabriolets basés sur la MG TD. Puis il lui soumet des châssis Aston Martin DB 2/4 pour effectuer la même opération. Ensuite ce seront des Bristol... Le pli est pris, l' idée de “petite série” est acquise. Sur le plan de la création, Bertone prend le pari de travailler avec Franco Scaglione tout en conservant la collaboration avec un Giovanni Michelotti plus consensuel.

C’est avec la bat 7 que franco Scaglione est allé le plus loin dans l'expressionnisme

Pour montrer sa capacité d' inventivité et le bien-fondé du choix iconoclaste de Scaglione, Bertone imagine une trilogie : les “Berlina Aerodinamica Tecnica”, les BAT 5, 7 et 9. Des initiales qui auraient pu évoquer Batman tant les formes extraverties de ces études de style transportent l' automobile dans une fiction effrayante.

La BAT 5 est présentée au Salon de l' Automobile de Turin en avril 1953. C' est une des premières créations de Franco Scaglione pour Bertone ; elle reprend à son compte les fantasmes aéronautiques, la démesure et le goût de l' ornementation inspirés par le “styling” américain. À travers la lignée des BAT, Bertone livre sa propre vision du rêve automobile fasciné par l' aviation. Scaglione n' a pas oublié sa formation d' ingénieur. Il traduit ses idées extravagantes à l' aide de lignes reflétant les fantasmes aéronautiques de son temps, mais en leur insufflant un supplément de poésie.

Dans une certaine mesure, ses visions utopistes croisent les recherches aérodynamiques scientifiquement éprouvées, la BAT 5 serait gratifiée d' un Cx de 0,23, la BAT 7 de 0,19.

Sur le plan technique, la BAT 5 - comme les deux projets qui vont suivre - reprend la base mécanique de l' Alfa Romeo 1900 Sprint animée par un quatre-cylindres à double arbre à cames en tête fournissant 115 chevaux. Il faut se souvenir que la 1900 est capitale dans la vie d' Alfa Romeo puisqu' elle démarre la production standardisée chez un constructeur qui, avant cela, travaillait sur-mesure et en coopération avec les artisans carrossiers.

Sans doute Bertone avait envisagé une production en série de la bat 9 moins radicale que ses sœurs

Un an plus tard, en avril 1954, toujours dans le cadre du Salon de l' Automobile de Turin, Bertone présente un deuxième volet de cette saga des BAT. La mécanique Alfa Romeo est cette fois enveloppée dans des ailes repliées figurant des empennages distordus. La BAT 7 oscille entre lyrisme et naïveté, avec des citations franchement expressionnistes, avec ses dérives démesurées, des volutes qui se contractent comme les ailes d' un oiseau apeuré et les prises d' air suggérant la puissance d' un réacteur. Après le salon, la BAT 7 est envoyée aux États-Unis, vendue à un amateur qui la repeint en rouge et qui l' engage dans une course à Palm Springs en mars 1955 ! Troisième acte dans la lignée, la BAT 9 apparaît en avril 1955.

Dernier maillon de la trilogie, elle rentre dans le rang, devient plus classique avec ses ailerons émoussés, sa face avant qui retrouve le vocabulaire traditionnel d' Alfa Romeo, sa calandre ogivale et les phares fixes. Les trois voitures ont mené des carrières isolées avant d' être réunies pour la première fois au concours d' élégance de Pebble Beach de 1989. On les a revues sur les pelouses californiennes en 1992 et en 2005. Enfin, en novembre dernier, on a pu retrouver le trio infernal présenté par la maison de vente Phillips à Londres. On ne s' en lasse jamais.

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