Thibault Nogues : cœur de drifter

On les appelle cascadeurs. En France, le plus célèbre d'entre eux s'appelait Rémy Julienne. Il aura marqué le cinéma international tout au long d'une carrière aux 400 films dont 6 James Bond. L'anglicisme s'étant généralisé, les représentants de la profession sont devenus des “stunters” (stunt signifie cascade en anglais). Mais, à bien y regarder, tous n'ont pas orienté leurs talents aux seules fins cinématographiques, quoique… Suivez-nous donc dans les Alpes-Maritimes à la rencontre du plus authentique et du plus chic stunter français, Thibaut Nogues.

Sans savoir ce que cela deviendrait un jour, enfilant costume et cravate, sans aucune protection, il vient de faire naître Mr Nogues

À tout juste trente ans, il vous dira piloter des deux-roues motorisés depuis l'âge de quinze. Si vous appartenez à la génération Boomer, lui appartient à celle du “Booster” des années 1990-2000, ces petits 50 cc deux-temps automatiques avec des pneus ballons à crampons, légers, agiles et capables de vous emmener à peu près n'importe où. Collégien, il se rend quotidiennement en cours avec et découvre la discipline, grandissante à l'époque, du stunt. Wheeling, stoppie, air surf et quantité d'autres figures acrobatiques que ses aînés réalisent sur gros cubes sont une source d'inspiration. « Nous étions à l'aube de YouTube et ces premières vidéos m'ont marqué. J'ai tout de suite voulu essayer. J'ai évidemment cassé pas mal de pièces et forcément, je me suis aussi fait copieusement souffler dans les bronches par mes parents. » 2010, le spot des stunters en France, c'est le parking du Palais Nikaïa à Nice. Ici sont réunis les meilleurs de la discipline.

Des teams sont créés, des championnats organisés avec des participants internationaux. « J'ai débarqué sur les 3 ou 4 des dernières belles années. Il y a eu jusqu'à 20 0 compétiteurs, c' était une ambiance incroyable et je regardais ça avec envie. J'ai beaucoup observé et j'ai essayé de reproduire ça tout seul sur un parking à côté de chez moi. » Le Booster devient 50 cc à boîte de vitesses. Il n'en reste plus grand-chose car déjà, Thibaut prépare lui-même ses engins. Si les “grands” regardent d'un air moqueur les minots sur petites cylindrées, sa persévérance et ses enchaînements lui valent le respect et une certaine popularité. Lors de la dernière édition du Stunt Bike Show, il remporte même sa catégorie. Les parents ne peuvent plus faire semblant de ne pas voir la passion dans les yeux du jeune Nogues mais imposent un cycle d'études en guise de négociations. À l'approche des 18 ans et du permis officiel, il met les mains sur un violent 600 GSXR solidement préparé malgré sa réputation de “bécane difficile” en stunt ; celle-ci cède rapidement sa place pour un 600 CBR bien plus agile. Les shows s'enchaînent, quelques sponsors le soutiennent. En parallèle bac pro et BTS sont obtenus.

Les années filent vite et le stunt périclite. « Aujourd'hui, c'est un sport éteint. Tout s'est transformé depuis 4 ou 5 ans. Sans structures ni fédération il est devenu impossible d'en faire une vraie discipline sportive et puis, la mouvance des réseaux sociaux n'a fait que détruire le tout. Les jeunes d'aujourd'hui se moquent de pouvoir enchaîner des tricks (figures, NDLR). Ils viennent te voir pour des conseils et partent ensuite sur route ouverte. C'est grave et inquiétant ce qu'ils font juste pour l'image. » Résultat, il ne subsiste plus qu'une poignée de stunters pros comme Thibaut dans le monde. Cependant, YouTube est devenue la première chaîne de télé internationale et comme bon nombre de jeunes de sa génération, Thibaut s'empare du phénomène. Considéré comme un maniaque de propreté et de finitions sur ses motos, il pousse la blague encore plus loin en adoptant des tenues plus élégantes les unes que les autres. Cette première vidéo comptabilise aujourd'hui 1,5 million de vues. Il se fait alors remarquer par Virginio Ferrari. L'ex-pilote Moto GP et concessionnaire MV Agusta sur Monaco lui prête une des perles mécaniques italiennes, une F3 675, pour aller la faire “danser” sur les routes sinueuses entre Monaco et l'arrière-pays niçois. Sans savoir ce que cela deviendrait un jour, enfilant costume et cravate, sans aucune protection, il vient de faire naître Mr Nogues. Il part faire le show aux 24 H du Mans et sur d'autres compétitions majeures en Europe. Timur Sardarov, alors propriétaire à 50 % de MV Agusta, l'invite à l'usine, lui adresse la parole 90 secondes chrono et lui demande de faire son show. Thibaut s'exécute.

L'aventure MV Agusta durera trois ans et je sais que j'ai pu vivre des choses que peu de gens pourront vivre

Le dirigeant russe convoque derechef son équipe d'ingénieurs et celle du marketing et ordonne de se mettre à la disposition du pilote français pour développer une machine spécifique aux besoins du stunter. Il se souvient : « “ Je veux qu'il fasse avec une MV Agusta ce qu'il fait avec sa Kawasaki !” Il a scotché tout le monde mais personne n'a bronché. » 6 mois s'écoulent et c'est en échangeant avec Davide Pagani qu'il apprend qu'il est nommé pilote officiel de la marque. Il dit : « L'aventure MV Agusta durera trois ans. J'en ai bavé avec ces motos. J'ai découvert le moteur contrarotatif et je me suis saigné les mains pour assembler celles dont j'avais besoin. Ce ne fut pas tous les jours simple mais on a réussi. Je sais que j'ai pu vivre des choses que peu de gens pourront vivre. » De cette collaboration sortira le second chapitre de “Mr Nogues” sur base de F3 800 et le développement d'une pièce du bras oscillant en particulier. Cette vidéo totalise plus de 2 millions de vues à ce jour. À compter de 2017, le stunt devient drift (dérive, glisse en anglais). Une technique que Thibaut maîtrise au-delà du pensable. Clap de fin avec MV et retour à la réflexion. Thibaut est revenu à ses premières amours, sur Triumph Daytona 675 assemblée pour être, esthétiquement, la plus proche du modèle d'origine. La marque Ipone est aussi dans la boucle, le Chapitre III de Mr Nogues est déjà en ligne alors, si vous avez envie de vibrer sur un excellent court-métrage mettant en scène la ville de Grasse et ses alentours, foncez sur la chaîne YT de Thibaut Nogues pour y découvrir ce qu'élégant exploit signifie. Quant aux jeunes, il leur dit : « Lâchez les écrans, faites moins d'images et cherchez la performance, la vraie. »