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Krugger FD Project : Flèche Wallone

Modifié le Écrit par La Rédaction
Krugger FD Project : Fleche Wallone
© Thierry Dricot
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Frédéric Bertrand, alias Fred Krugger, est l'un des meilleurs custom builders de la planète, en témoignent ses six podiums, dont deux victoires en sept participations, à l'AMD World Championship of Custom Bike Building, le contest de référence, ayant vu s'affronter 1000 motos d'exception depuis 2004. Fort de sa notoriété, Fred Krugger aurait pu, comme Arlen Ness ou Roland Sands, développer une gamme d'accessoires et les commercialiser dans le monde entier, brassant des dollars à la pelle. Mais là n'est pas son état d'esprit et il aurait sans doute eu le sentiment de faire fausse route. Il préfère s'attacher à fignoler, en solitaire, les moindres détails, y compris ceux qui ne se voient pas, pour faire de ses créatures des œuvres d'art.

Les œuvres d'art mécaniques de Fred Kruger sont formées de détails esthétiquement très aboutis

Elles tutoient l'excellence, sa marque de fabrique, tout en déclinant des silhouettes épurées, d'où sont exclus le superflu et le chichiteux et où ne subsiste que ce qui est beau et fonctionnel, inspiré par les travaux de ses référents que sont le designer industriel Raymond Loewy et l'architecte-urbaniste Le Corbusier. Fred Krugger est porté par cette phrase de l'aviateur-écrivain Antoine de Saint-Exupéry qu'il a fait sienne et qui donne du sens à sa démarche : « La perfection est atteinte non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à enlever. » Attaché à sa terre natale de Basse-Bodeux, dans la Province de Liège, le quotidien de ce bâtisseur de cathédrales mécaniques est immuable : chaque matin, à 7 heures, dans une nature verdoyante encore enveloppée de brume, il pousse la porte de son atelier à l'atmosphère quasi monacale sans tomber dans l'exagération d'une propreté clinique, pour ne la refermer que vers 23 heures, six jours sur sept, en temps normal, mais, tournant depuis quelques mois à plein régime, sept jours sur sept, car il a un projet grandiose sur le feu : une automobile unique, entièrement fabriquée de la main de l'homme, majestueuse, d'une grande noblesse, aux allures de streamliner, qu'il dépeint en ces termes « entre mystère et magie, passé et futur, un rêve devenu réalité ».

La genèse de cette histoire nous ramène en avril 2017. Fred Krugger, qui déborde d'idées et phosphore en permanence, mène souvent deux projets de front, l'un à brève échéance et l'autre, de plus grande ampleur, pouvant s'étirer sur plusieurs trimestres, une sorte de saut dans le vide où il fait fi de son temps pour repousser ses limites. Il aime relever les défis malgré un carnet de commandes rempli pour les deux ans qui viennent, animé d'un esprit de compétition forgé lors de courses moto et auto (dix ans de rallye). Il se plaît à jouer les équilibristes - toujours en retombant sur ses pieds - sur de nouveaux challenges pour fuir le train-train quotidien, élargir son horizon et, en parfait autodidacte, affiner ses techniques de construction car, il le dit, seule la pratique assidue en remettant cent fois sur le métier, permet de maîtriser les outils en percevant avec justesse la manière dont les éléments, acier, inox, aluminium, cuivre, vont réagir. Le point de départ de cette odyssée métallique, fruit de 10 000 heures de travail -un chiffre qui donne le vertige - est la rencontre avec deux mécènes : François Fornieri et André Dupont. Ils vont offrir à Fred Krugger les moyens de ses ambitions et, via une totale liberté d'action, l'opportunité de s'accomplir dans ce faramineux projet FD. Il porte leurs initiales pour leur rendre hommage et s'articule autour du moteur Bentley W12 de 6 litres de cylindrée, équipé d'un double turbo, délivrant la coquette puissance de 750 chevaux (pour un poids de 1 250 kg, de quoi décapsuler l'asphalte à chaque accélération), au moment où la firme britannique, fondée le 10 juillet 1919, célèbre sa centième année. Ce bloc prestigieux prélevé sur la Continental GT (premier coupé de l'ère Volkswagen, commercialisé dès 2003) ayant émigré en position centrale arrière, est au cœur du projet FD sans en être le point de départ. Après s'être penché sur la possibilité d'un bolide de records, à la manière de ceux qui surfent le lac salé de Bonneville, c'est en s'inspirant des voitures de course des années 30 que Fred Krugger et ses partenaires se sont projetés. A la vue du concept FD, on peut être tenté de faire le lien avec les Flèches d'Argent illustrant la puissante industrie automobile allemande d'avant-guerre, à l'image de l'Auto Union type C de 1936, signée Ferdinand Porsche, dotée d'un moteur suralimenté de 16 cylindres en V développant 520 chevaux pour 824 kg, au volant de laquelle se tua Bernd Rosemeyer. Il y a de cela, mais Fred Krugger entend jouer sa propre partition où peut s'exprimer sa créativité fertile. Si sa flèche wallonne roulera, comme toutes ses réalisations, elle ne sera pas homologuée afin de ne pas dénaturer le style initial qui fait sa force et crée tant d'émotion.

Le projet FD a nécessité 10 000 heures de labeur qui, par-delà son unicité, lui confèrent une âme

Son c hamp d'action n'est pas de dévorer les kilomètres de macadam en quête de records de vitesse comme le suggère son design aérodynamique, mais de s'exhiber lors de concours d'élégance, de Chantilly à La Villa d'Este en passant par Goodwood, ou même de trouver légitimement sa place dans une galerie d'art. Pour donner corps à son imagination, Fred Krugger est parti d'une feuille blanche, quelques esquisses, avant de se mettre au boulot, créant un châssis tubulaire de grosse section en acier pour éviter qu'il ne se torde de douleur lorsque déboulent les 800 Nm de couple, et où la beauté des cordons de soudure rivalise avec la précision des cintrages et des ajustements. Une suspension triangulée avec basculeurs à la façon des Formule Indy des 70's permet une tenue de cap rigoureuse tout en participant à l'abaissement du centre de gravité, ajoutant visuellement à l'agressivité de cet élégant racer dont la définition du style est laissée à l'appréciation de chacun.

Pour freiner ses ardeurs, quatre disques Beringer (350 mm et 340 mm) sont épaulés d'étriers six pistons à l'avant et quatre pistons à l'arrière, des prototypes initialement conçus pour des voitures de Supertourisme. La boîte de transmission est une ZF à six rapports, ayant entraîné, pour son accouplement au moteur, la fabrication d'une cloche qui a nécessité 70 heures d'usinage d'une machine cinq axes. C'est en fait la seule pièce d'importance qui ne soit pas réalisée à la main. Réfractaire aux nouvelles technologies qu'il dit ne pas avoir le temps de maîtriser, comme la conception assistée par ordinateur ou la fabrication additive qui donnent naissance à des pièces ultra techniques et performantes, Fred Krugger préfère le travail à l'ancienne.

Du design à la fabrication, cette automobile est née de la main et de la détermination d'un homme

J’aime sentir la matière sous mes doigts et la transpiration qui émane de mon ardeur à l'ouvrage, cela lui donne une âme. » En martelant et façonnant inlassablement le métal et l'aluminium, son domaine de prédilection, avec une infinie patience et une détermination sans faille, Fred Krugger a réalisé l'intégralité de la carrosserie, de la calandre en inox avec rétroéclairage (ornée d'entrées d'air refroidissant le radiateur et le moteur) aux carénages de roues très enveloppants (enrobées de Dunlop en 230/50-20) en passant par le poste de pilotage, avec le constant souci (il parle même d'anxiété) d'un très haut degré de finition (même les chandelles sur lesquelles reposait le châssis le temps de son assemblage sont traitées comme des pièces d'orfèvrerie).

Ce qui pourrait ressembler à un chemin de croix est en fait la raison d'être de ce forçat de la forge : créer des pièces uniques, innovantes dont le design se lit facilement « simple sans être simpliste ». Fred Krugger, emporté par sa passion et son abattage qui forcent le respect, progresse là où peu osent s'aventurer, faute de courage ou d'expertise. Le projet FD dispose d'une seule “vraie” place pour le conducteur, mais comme cela se faisait à l'époque, elle est excentrée, offrant ainsi la possibilité de se faire accompagner par un mécanicien qui se glisse au chausse-pied via une petite porte côté droit et une trappe amovible. « Au-delà même du succès d'estime que peut provoquer cette auto, j'espère susciter des vocations chez les plus jeunes, leur montrer qu'en partant de zéro, on peut arriver à ses fins, avec de la volonté », avoue, avec modestie, Fred Krugger, satisfait de toucher au but de ce chantier exceptionnel qu'il qualifie de « tranche de vie ». On dit qu'un croquis vaut mieux qu'un long discours. Un adage qui vaut aussi avec cette sculpturale automobile d'un autre monde qui laisse à première vue sans voix tant elle bouleverse les codes stylistiques. Prochain défi herculéen à relever, en attendant - un jour viendra -de jeter son dévolu sur un bateau, la mise en chantier d'un porteur sur-mesure, sur base Chevrolet 37 permettant de déplacer avec élégance le projet FD, une telle créature ne pouvant se contenter d'être trimballée comme une vulgaire marchandise dans un camion ordinaire. Une initiative dans l'esprit de celle entreprise par Alfred Neubauer avec le Mercedes Rennwagen-Schnelltransporter, construit sur la base d'une Mercedes 300 SL, qui véhiculait à 170 km/h la W 196 entre deux courses durant la saison de Formule 1 en 1955. Si le diable se cache dans les détails, il ne doit pas habiter très loin du côté de chez Fred Krugger... AH

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