Al Satterwhite : auto focus
Al Satterwhite a immortalisé les grands moments du sport automobile des années 60 et 70, croisant la route de quelques pointures parmi les plus originales et attachantes, de Carroll Shelby à Ken Miles en passant par un certain Paul Newman. Par Jean-François Rivière.

Al Satterwhite, photographe autodidacte, a capturé des icônes du sport et du cinéma tout en développant une carrière riche entre presse, publicité et cinéma.
Il voulait être pilote de chasse, il deviendra photographe. C'est presque par hasard qu'Al Satterwhite, né en 1944, va se prendre de passion pour la photographie en décrochant un stage au journal St. Petersburg Times, durant ses études. Dès lors, il n'aura de cesse de gravir les échelons et de se perfectionner pour finalement décrocher un diplôme en photo journalisme, terme inventé par le légendaire Clifton C. Edom, dont Al sera l'élève à l'université du Missouri. À l'université de Floride, il affine encore sa patte, influencé par le “Photo Design” de Harald Mante, ce qui lui permet de parfaire son sens de la composition ainsi que des couleurs.
Sa carrière de photographe, il va la démarrer officiellement à l'endroit même où il a contracté le virus quelques années auparavant, au St. Petersburg Times où il officiera durant un an avant de se retrouver photographe personnel du gouverneur de l'État de Floride, Claude Kirk, qu'il suivra dans tous ses déplacements durant près d'une année avant de se lasser progressivement de l'univers de la politique et de ces incessants voyages en Lear Jet à travers les États-Unis. S'il reste ami avec Kirk, Satterwhite finit par le quitter pour se mettre à son compte.
Entre deux séances, Paul Newman avait l'air d'un gamin dans un magasin de bonbons.
Al Satterwhite

Photographe globe-trotter
Les débuts sont toutefois un peu laborieux.
« Vous passez votre temps à chercher du travail, racontait-il. Vous ne pouvez rien refuser, mais en quelques mois, j'ai commencé à me faire connaître et à travailler régulièrement. Et tout de suite après avoir quitté le gouverneur, j'ai pu obtenir des jobs réguliers grâce à l'agence Camera 5 qui me représentait. Cela m'a fait parcourir le monde et rencontrer des tas de gens en Europe, en Australie, en Afrique... J'ai photographié des personnes amenées par leur religion à manipuler des serpents. Un jour, je me suis retrouvé allongé sur le sol de la Bourse de Paris, pour prendre des photos, juste après avoir un peu discuté. C'est le genre de dons que vous développez. Vous pouviez me déposer dans n'importe quel pays et je trouvais comment m'en sortir, trouver un repas, de l'argent et comment me rendre à l'endroit que je souhaitais atteindre pour faire mon boulot. »
Les efforts finiront pas payer. Devenu photographe free-lance pour la presse magazine, Al va collaborer durant la décennie suivante à la plupart des titres majeurs de la presse américaine et internationale, et ce dans tous les domaines sans distinction, de Life, Playboy et Newsweek à Geo, Time, Sports Illustrated, Money, Fortune, sans omettre la presse automobile avec des titres tels que Car & Driver ou Automobile. Durant les années 60 et 70, le jeune photographe écume ainsi les circuits de course automobile et multiplie les rencontres avec les cadors de l'époque : Jacky Ickx, lorsque ce dernier remporta une mémorable victoire au Mans en 1969, et quelques années plus tôt, le pilote essayeur Ken Miles.
«Vainqueur des 24 Heures de Daytona et des 12 Heures de Sebring en 1966 avec la GT40, il était en tête avec un tour d'avance aux 24 Heures du Mans quand la direction de Ford l'a forcé à se contenter de la deuxième place. » Ces rencontres, Al Satterwhite les réunira dans un livre consacré à l'âge d'or de la compétition automobile, The Racers (1963-1973), publié chez Delius Klasing Verlag et composé de près de 300 photos. Satterwhite croisera également la route de Steve McQueen aux 12 Heures de Sebring où ce dernier finira deuxième avec un pied dans le plâtre, Carroll Shelby, auquel il consacrera une série de photos en 1964 ainsi qu'un livre, Carroll Shelby : The Road to Victory , publié en 2012.

Le 22 septembre 1974, Al Satterwhite est envoyé par le magazine Sports Illustrated à Bonneville Salt Flats. Sur cette piste mythique du nord-ouest de l'Utah, Paul Newman a été invité par Luigi Chinetti, l'importateur Ferrari aux USA, pour une tentative de record de vitesse très privée organisée par la marque italienne. Graham Hill et Milt Minter, également de la partie, partagent avec Newman les volants d'une Ferrari 365 GTB/4 et d'une 512M de 1971.
« Paul était un type très séduisant et très élégant, se souvient le photographe , mais il était très différent lorsqu'il pilotait parce qu'il ne jouait pas la comédie. Il était le véritable Paul à 100 %. Sur la plupart de mes photos, on voit bien à quel point il est heureux. Il était concentré au volant mais entre deux séances, il avait l'air d'un gamin dans un magasin de bonbons. »
Car si Al apprécie les voitures, il aime les gens bien davantage. Les pilotes, les mécaniciens, l'équipe, tout cela lui semble infiniment plus captivant à immortaliser que les bolides en piste ou à l'arrêt. « Je n' étais pas venu pour photographier l'acteur, parce que ce n' était pas ce qui était prévu contractuellement. J' étais là pour prendre le pilote en photo et j'ai d'ailleurs passé autant de temps à prendre les autres pilotes, Chinetti, Hill et Minter, qu'à le photographier, lui. »
Entre pub et pellicule
Hormis le temps vécu sur la piste de sel de Bonneville, Al ne passera finalement qu'une soirée avec Newman, quelques heures seulement pour tenter de découvrir l'homme qui se cache derrière le pilote et la star. « Très direct, un type très drôle à fréquenter. Mais je ne suis pas du genre à sympathiser avec les sujets de mes reportages parce que je ne souhaite pas empiéter sur leur vie, surtout quelqu'un comme Paul qui doit sans cesse composer avec des gens comme moi durant des heures. Nous ne sommes pas restés en contact mais, lorsque je le voyais de loin lors d'une course, si je luifaisais signe, il me faisait signe aussi. »
En 2022, Satterwhite consacrera un superbe livre de photos à la star américaine, Paul Newman, Blue-Eyed Cool, qui combine ses propres photos avec les clichés de certains illustres collègues tels que Terry O'Neill, Douglas Kirkland et Milton Greene. Autre sport, autre monument, Mohamed Ali, photographié par Satterwhite en 1970 et 1971 alors que le boxeur s'entraîne en Floride pour ses combats contre Jerry Quarry et Joe Frazier.
« On se voyait un peu après son entraînement, racontait Al au LA Observed en 2014 , sur le chemin de son hôtel. Les gens l'appelaient dans la rue “Hey, Ali !”. Il faisait arrêter la voiture et il courait vers eux pour leur serrer la main et se faire photographier. C'était Ali qui se comportait comme Ali, pas pour dire “Je fais ça parce qu'il y a un photographe avec moi”. Il se foutait de ma présence. C'était une personne vraie. » En 1980, Al s'installe à New York où il lance sa société de production publicitaire. Durant douze ans, les marques vont se bousculer pour lui confier leurs campagnes.
Et tout comme dans la presse magazine, l'Américain attire les noms les plus emblématiques et les plus renommés : American Express, Coca Cola, Porsche, Sony, DuPont, Eastman Kodak ou encore Universal Studios. Le cinéma, il va en être grandement question dans le nouveau virage que Satterwhite va faire prendre à sa carrière. Désormais installé à Los Angeles, il devient directeur de la photographie sur de nombreux courts-métrages, documentaires, vidéoclips et quelques films indépendants tels que Man of the Year (2002) et R BnB(2023).
Cette activité ne l'éloignera pas pour autant de ses premières amours, la photographie, qu'Al va continuer de pratiquer en devenant consultant en images digitales pour le compte de Kodak durant plusieurs années au cours desquelles il parcourra les États-Unis, donnant moult conférences à l'Université de Boston, à la New York University School of Arts et lors des PhotoExpos de Los Angeles. Ses Workshops et autres Master Class sont très demandés de Montréal à Santa Fe quand il ne dirige pas un atelier à la Leica Gallery de Los Angeles et New York. Ses travaux s'exposent bien évidemment de par le monde, ses images en noir et blanc et ses clichés couleurs très caractéristiques s'appréciant ainsi dans divers galeries et musées d'Amérique tels que la Smithsonian National Portrait Gallery, le Museum of Fine Arts de Houston, le Museum of Art de Santa Barbara, et dans un grand nombre de collections privées.
Je ne sympathise pas avec les sujets de mes reportages. Je ne veux pas empiéter sur leur vie.
Al Satterwhite

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