Talon au plancher : Drôles de Dames

De tout temps, les femmes ont talonné voire précédé les hommes. Le chemin aura été cahoteux jusqu'à aujourd'hui quand on voit les difficultés actuelles. Dans le monde automobile, le machisme a été glorieusement affiché dès l'apparition de nos quatre roues motorisées. Heureusement, certaines n'ont pas hésité à revendiquer le droit de profiter pleinement du plaisir de rouler ou de piloter. Pour démarrer ce combat légitime, mieux vaut avoir des figures de proue visibles et à fort caractère. Marie Adrienne Anne Victurienne Clémentine de Rochechouart de Mortemort fut sans doute une des plus en vogue, chronologiquement et en se disputant l'antériorité avec Camille Gast (la Walkyrie de la mécanique). Leurs certificats de conduite auto leur furent attribués en 1897 et 1898. Guère facile de piloter dans un monde où les hommes désiraient rester entre eux, mais l'arrière-petite-fille de la Veuve Cliquot n'était pas prête à rester simple passagère. Un des premiers PV lui a été attribué pour un excès de vitesse à 15 km/h au lieu de 12, limitation officielle pour la ville (20 en campagne). Exclue de l'ACF, qui rejetait l'idée d'accueillir en son sein une femme aussi remarquable fut-elle, elle fonda en 1926 l'Automobile Club Français Féminin qu'elle présida jusqu'à sa mort. Le gouvernement français avait lui-même décidé d'exclure ces dames de toute compétition auto en 1904, prenant prétexte de la dangerosité des courses. Autant dire que l'accès aux sports mécaniques pour les copines, cela avait mal démarré au début du siècle précédent.

Utilisant leurs voitures tous les jours, les filles se réunissent pour partager leurs histoires.

Durant les deux années d'immobilisme forcé, Mathide Lecœur et Valérie Moncéré, analysant le plateau d'un rassemblement de véhicules anciens, se sont décidées à venir avec leurs propres voitures. Sans revanche ou rancœur, mais avec l'envie d'apporter une sensibilité et de partager ces rencontres mécaniques entre nanas qui donna naissance à un groupe Facebook. Partie d'un tout petit groupe confidentiel, l'association compte plus de 90 adhérentes en très peu de temps. Des rallyes (deux par an minimum), des concentrations ou des ateliers mécaniques figurent au programme. L'indépendance a un prix et elle s'acquiert ici dans la joie et sans aucun militantisme, juste la motivation de partager une passion mécanique. Pour la plupart d'entre elles, les voitures servent tous les jours et pas seulement durant les concentrations. Les kilomètres s'additionnent au quotidien telle Élise qui use les Mini (quatre à ce jour pour varier), sa dernière 1000 Special ronronnant comme jamais, et côtoie la Honda 4 pattes de son mari Jean-Michel et la Porsche 924 de Tom, son fils de 21 ans. Comme ses copines de Talon au Plancher, il s'agit de vivre sa passion sans en remontrer ou copier les conjoints ou les collectionneurs. Chacune vit l'histoire auto avec gourmandise, le virus ayant touché généralement les parents ou grands-parents qui participaient à des rencontres ou des courses. Mathilde, la présidente, aime l'action, les voitures de course mais aussi les “têtes d'affiche” comme la Fiat 500 façon Dolce Vita dans laquelle ses deux jumeaux vont sans doute faire quelques kilomètres.

Valérie vit aussi pleinement ces histoires mécaniques depuis son enfance, son père restaurant des Renault des années 30.

Des rallyes en Traction, Fiat 850, cela oriente sur une voie joyeuse et décomplexe totalement le partage de la route ou de la piste avec les hommes. Elle mène rondement sa Triumph, ayant une approche assez sport de sa pratique automobile. Les séries comme Chapeau melon et bottes de cuir et Amicalement vôtre reviennent souvent dans les discussions et se retrouvent représentées dans le paddock de Talon au Plancher. Cette idée de décontraction et d'insouciance se retrouve dans les échanges de ces “filles de la route”. Talon a été une invitation heureuse à se retrouver par l'auto mais pas seulement. Les “Apéro-capot” et meetings ne sont pas un concours ou une hiérarchisation des adhérentes, juste l'occasion de rencontres, partages entre nanas qui ne se croiseraient pas dans la vie courante. Le brassage social est naturel et même pas abordé. Élise et sa Ford Capri, fan de Mustang et de rock, restauratrice, peut ainsi échanger sur la conduite sous la pluie avec une cadre bancaire, une éducatrice spécialisée ou trouver une astuce mécanique avec Jasmine dont le mari Thibault lui fait part de son expérience de garage. Les histoires de sorties de grange ou d'expédition sont un fil classique de collectionneur(se) et souvent se vivent en famille. Marie a ainsi exfiltré sa Caravelle de Saragosse et après quelques menus travaux, cette dernière semble sortir d'usine. La famille est plutôt mordue, le mari roule en A310, sa bru en Dauphine et son fils en R8. Dans cette armée féminine, ni esbroufe ni snobisme. Marine adore les cabriolets et personne ne discuterait le bon goût et le choix porté sur une 190 SL de 1962. Marine aimant tous les cabriolets, son cœur balance aussi auprès d'un Rancho découvrable, produit à seulement 650 exemplaires. Depuis son premier rallye à quatorze ans en TR4, voyager dans le temps cheveux au vent reste une constante pour elle. Aline aussi préfère les “cabs” et assume le côté pop art apposé sur la ronde Japonaise.

François d'Humières a œuvré pour fêter les vingt ans du Roadster MX5. Rencontrer ces drôles de dames est des plus rafraîchissants. Une fois le sujet du véhicule détaillé, le reste du monde sera abordé avec une facilité déconcertante, en replongeant joyeusement dans ces années 60-70 et leur lifestyle, dans un enthousiasme et une bonne humeur sans limites, entre les Beatles, les Ramones et... Emma Peel. Les filles de la route sont toutes imprégnées des 60s, 70s, pour la musique, le lifestyle, l'insouciance et une certaine indépendance.