Hermès : Le marbre fait carrière

Célèbre pour son marbre d'une qualité exceptionnelle, Tinos a servi d'inspiration majeure à travers ateliers et rencontres d'artisans locaux dessinant avec précision les similitudes entre la transformation de cette matière brute et le savoir-faire minutieux des ateliers de création de la maison. Tout comme le marbre se transforme en œuvres d'art, les montres représentent la quintessence de l'élégance et de la complexité artisanale.

« Il nous manquait une collection de volume, plus sport. C'est là qu'est née la collection H08. »

Le temps suspendu

À seulement une heure de traversée de Mykonos, l'île de Tinos - île de la Vierge - en plein cœur de la mer Égée allie beauté naturelle, riche patrimoine culturel et religiosité profonde bercés par la chaleur du Meltem qui souffle 300 jours par an. Les routes sont faites de pierres et de terre, traversent des carrières de marbre qui se succèdent les unes aux autres. Les collines alentour ne demandent qu'à être crapahutées et il est difficile de se réfréner à plonger dans les eaux limpides dont les nuances de bleus et de verts se confondent. La Grèce comme on l'imagine : brute, sauvage, authentique, imperceptible dont quelques recoins sont façonnés par l'homme comme une pierre que l'on taille pour lui donner une forme précise. L'arrivée à Odera, un hôtel James Bondesque à flanc de colline qui fait partie de The Autograph Collection et inauguré cet été, nous téléporte instantanément dans un moment hors du temps. On ne peut s'empêcher de repenser au concept du Temps Suspendu, ce développement mécanique horloger dévoilé par Hermès pour la première fois en 2013… une sorte de retour à l'essence même. Ce qui ressemblait de prime abord à un voyage initiatique marquait simplement la suite du dernier chapitre dévoilée par les ateliers d'horlogerie. Présentée lors du dernier Watches and Wonders, la Hermès Cut est une collection dédiée à la femme jouissant pour la première fois d'un calibre manufacture développé en collaboration avec la Manufacture Vaucher.

Une ligne de taille

« La ligne Slim s'est installée comme une collection horlogère très classique et dandy là où Arceau s'est fait des lettres de noblesse dans les complications. Il nous manquait une collection de volume, plus sport. C'est là qu'est née la collection H08 » explique Laurent Dordet, directeur général de la Montre Hermès. Bénéficiant d'une forte clientèle féminine, les équipes de développement ont été poussées non pas à adapter cette collection mais à développer une toute autre pièce. « Nous avons d'abord travaillé sur un jeu de silhouette qui évoque quelque chose que l'on n'a pas vu ailleurs », dit-il lorsqu'il évoque la Hermès Cut : un cercle dans un rond. Jouant sur la subtilité de ces deux termes qui ont tendance à prêter à confusion. Pour avoir poussé l'exercice jusqu'au bout - un peu comme Hermès quand il s'agit de travailler une matière -, ce qui différencie le cercle du rond ne réside pas tant dans leur forme mais dans leur usage. Le cercle est une courbe fermée définie mathématiquement par son périmètre tandis que le rond est un terme plus général qui désigne tout objet de forme circulaire englobant même la surface plane intérieure. Tout est une question de dosage et de subtilité où rien n'est laissé au hasard, jusqu'au moindre détail. C'est ainsi que le style Hermès se définit : élégance, savoir-faire, connaissance mais surtout maîtrise de ses matières. Depuis plus de 20 ans, Philippe Delhotal, directeur du développement et de la création chez la Montre Hermès, accompagné de ses équipes, œuvre à la transformation de la matière que l'on peut admirer notamment dans les cadrans métiers d'art où cuir, soie, bois, plumes, sequins, pierres ou émail pour n'en énumérer qu'une poignée sont réduits à échelle miniature. Brute au départ, façonnée à l'arrivée et ce à l'échelle d'un cadran, tout cela démontre une maîtrise et une compréhension de cette matière poussée à son paroxysme.

Mais pour en arriver là, il fallait d'abord s'imprégner d'un matériau à l'état brut pour en comprendre tous les aspects.

Le Marbre de Tinos

Cette île grecque est le berceau de la sculpture de marbre.

Le village de Pyrgos abrite l'École des Beaux-Arts de Tinos, plusieurs ateliers de marbrerie mais surtout le musée de l'artisanat du marbre qui recense toutes les variétés de cette matière que l'on considère comme dure, froide et fragile de prime abord. C'était donc un souhait de la maison de faire le chemin inverse expliquant le procédé à la fois créatif mais surtout technique d'un projet qui a mis 3 ans à voir le jour.

Pour ce faire, nous avons d'abord été soumis à une expérience acoustique d'un autre monde au cœur d'une carrière abandonnée où des voix puissantes d'hommes ténor et de femmes alto résonnaient à travers ces panneaux de marbre dessinant la colline alentour jusqu'à faire vibrer le plan d'eau devant lequel nous étions assis. Nous étions assaillis par la beauté des couleurs, la pureté de la matière et la puissance des volumes nous réduisant à l'état de petit caillou humain. Après un pique-nique improvisé sur des blocs de marbre taillés pour l'occasion en guise de table, s'en est suivi un atelier de taille permettant de comprendre la difficulté que représente cette transformation de matière. Par où commencer ?

Comment le tailler ? Quelle forme lui donner ? Quelles sont ces lignes ? Que signifient ces strates de couleurs ? Où sont ses points de faiblesse ? Quels sont les endroits qui risquent de se fissurer ? Tant de questions pour un si petit morceau de matière qui, d'un mauvais geste, devient inutilisable en un quart de seconde. Pendant près de deux heures sous les conseils avisés de Yorgos, troisième génération d'artistes marbriers, nous nous sommes apprivoisé ce bloc de marbre tout en s'essayant à le façonner à coups de biseau, marteau, de burin. Ses mains de forgeron aux gestes précis qui transpirent la patience, l'expérience et la passion dénotent avec son teint méditerranéen et son gabarit de Viking qui fait plutôt penser à Thor croisé avec Aquaman qu'à Michel-Ange. Et pourtant, quand on observe la dextérité avec laquelle il manie ces outils d'une simplicité déconcertante, et ce comparé au challenge auquel chacun d'entre nous faisait face pour ne serait-ce que dessiner une lettre en bâton sans parler du temps qu'il nous faudrait pour façonner une coupelle...

Jean Hélion, peintre et graveur français, disait que « la simplicité n'a de sens qu'à propos d'une masse complexe et riche ». Dont acte. Un voyage qui a magnifiquement illustré la maîtrise et la passion d'Hermès pour l'art de la transformation, mettant en lumière la beauté du processus créatif qui transcende le temps et la matière. Ce qui différencie le cercle du rond ne réside pas tant dans leur forme mais dans leur usage.