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Jean-François Lefèvre - Le diable au cadran : Les pendules à l'heure

Modifié le Écrit par La Rédaction
Jean-François Lefèvre
© Michaël Levivier
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Cela fait hurler les ophtalmologues mais nous, les horlogers, nous regardons notre petit monde d'un œil. L'artisan, né à Évreux, plaisante avec poésie avant de se souvenir de sa première émotion professionnelle, comme si c'était hier. Il remonte le temps pour nous transporter rue du Ruisseau à Paris, chez son vieux maître Bernard Pin. Le spécialiste des pendules, boîtes à musique et autres automates, lui confie la toilette d'une horloge régionale, un modèle rudimentaire qu'il n'aura plus jamais l'occasion de recroiser. « Je l'avais astiquée, peaufinée avec application puis soudain, mon patron me tape sur l'épaule et me dit : n'en fais pas trop, le monsieur est aveugle. » À 63 ans, Jean-François Lefèvre se replonge dans les années 80 de ses débuts avec humour et nostalgie.

« Nous sommes de vrais mécaniciens doublés d'une grande sensibilité. Il faut sentir les choses… »

Métier d'art

À l'époque, ce fut le ministère de la Culture qui lui mit le pied à l'étrier en lui offrant une bourse d'encouragement aux métiers d'art. Cette idée de devenir horloger lui avait été glissée dans la tête par sa maman mais les choses se sont concrétisées grâce au bonheur, trop rare, d'une politique culturelle ambitieuse : sauver les métiers en voie de disparition. « Il est dommage que cela n'existe plus », regrette le professionnel, encore ému à l'idée d'avoir pu apprendre tout en percevant un « petit Smic ». S'il a décidé de se lancer dans l'aventure horlogère c'est aussi grâce au hasard de la géographie urbaine. « J'aurais voulu être danseur.

Et dans la rue où se trouvait l'école de danse de ma sœur, vers laquelle il ne fallait surtout pas que mon attention se détourne, officiait un horloger. J'observais M. Thiery penché derrière sa vitre, rue du Beigle à Argentan. J'étais fasciné par l'image d'une mécanique brillante posée sous une lampe dans la noirceur d'un atelier. » Le jeune homme ne savait pas que son destin était en train de se dessiner dans le mystère d'une saine curiosité. Sans doute ne faut-il jamais sous-estimer les premiers regards d'enfants. Mais très vite, au fil des apprentissages, il écrit une belle histoire saluée par un bac d'électromécanique et trois C.A.P. (micromécanique, horlogerie et bijouterie). Nombre d'écoles d'horlogerie dans lesquelles Jean-François Lefèvre s'est formé n'existent plus mais leur réputation reste bien vivante : les savoirs d'Anet à Dreux, l'expertise Pierre Girard ou encore l'école de la bijouterie, rue Montmorency à Paris. Jusqu'à la bien nommée “bourse d'encouragement” aux métiers d'art. Après plus de deux décennies passées dans l'univers des pendules, celui qui s'est installé en 1999 sous le nom du “Diable au cadran” a vu passer dans son atelier de nombreux stagiaires. Il en tire la conclusion qu'il est plus facile, aujourd'hui, de transmettre l'esprit d'un métier que le métier lui-même. Combien de temps faut-il pour façonner un bon pendulier ? « Deux ans dans un atelier, c'est bien. Mais le plus important est de réussir un mariage. Bernard Pin m'avait choisi comme apprenti parce que j'étais capable de lui parler d'autre chose que de l'horlogerie. Il aimait mon ouverture d'esprit. Le lien entre l'élève et le maître était riche de conversations. C'était génial ! », se souvient le spécialiste normand. Au fond, à entendre maître Lefèvre, qui est aussi apiculteur, artiste peintre et chanteur, le secret du pendulier serait peut-être ici : savoir travailler dans l'univers des mécaniques minuscules tout en étant capable de voir le monde en grand.

La main et les outils

« Nous sommes de vrais mécaniciens doublés d'une grande sensibilité. Nous avons les yeux au bout des doigts. Il faut sentir les choses… », confie l'ancien journaliste, avant de vanter l'importance cruciale d'un atelier bien rangé sur deux niveaux : en bas les horloges et leurs cabinets, en haut les mécanismes. Ce n'est pas un hasard si “Le Diable au cadran” est organisé comme un cabinet de chirurgien. Tout est au clair et la main retrouve toujours ses outils sans les chercher : loupe, brucelles, équarrissoirs, pinces, lime, scie bocfil, touret à polir… « Nous ne sommes pas simplement des laveurs de pendules, nous sommes aussi réparateurs ! », soutient fièrement l'artisan. Le fait d'avoir travaillé sur une pendule Breguet ou un régulateur de Janvier ne lui monte pas à la tête. « Comme des médecins, nous voyons passer des patients très différents, parfois même des éphèbes ou de belles minettes, mais nous soignons tout le monde de la même manière », précise-t-il. En un éclair de mémoire, il se souvient d'une pendule extraordinaire, sa préférée. Signée Leroy, elle fut longtemps posée dans un château de la côte normande. « Son petit cadran argenté donne le sens du vent et les mouvements de sa girouette permettent de la remonter », s'enthousiasme encore l'orfèvre des minutes, passionné de pièces populaires.

D'ailleurs, l'artisan-réparateur, qui voyage de chaumières en demeures, a un petit faible pour ces « petites grands-mères modestes qui s'accrochent à leur horloge comme elles s'accrocheraient à leur chien malade ». Il les trouve très émouvantes et les considère comme sa « plus belle clientèle » parce qu'elles connaissent le « prix des choses » et la valeur du travail bien fait. « Chez nous, on dit toujours que le plus beau à voir c'est la mécanique. Il faut toujours respecter la règle : ce qui est à l'intérieur doit être plus beau que ce que l'on voit à l'extérieur. » Dans son refuge de 30 mètres carrés, les plus attentifs auront remarqué un petit diable assis sur un tambour.

Le personnage casse le temps avec un marteau. Mais il faut écouter les belles histoires de l'horloger pour comprendre que derrière le symbole se cache un joli rêve d'enfant. L'étonnant pendulier d'Argentan est heureux de l'avoir réalisé, peut-être grâce à ses parents qui lui ont transmis l'art de réussir sans avoir peur et cette passion du défi perpétuel qu'il a osé relever vingt-cinq années durant. C'est vrai : il n'est jamais facile de faire marcher une horloge qui a tourné deux siècles. Mais Jean-François Lefèvre ne renonce jamais. Souvent, dans le silence de son bel atelier, on l'entend murmurer comme une horloge : « C'est le plus beau métier du monde. »

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