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Le Range Rover Chapron de Pierre Jamais : Out of Africa

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Le Range Rover Chapron de Pierre Jamais : Out of Africa
© photos Mathieu Bonnevie
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Après avoir sévèrement testé de nombreux prototypes entre 1968 et 1970, Land Rover lâche une bombe en présentant le Range Rover. La marque venait juste d'inventer un nouveau concept qui allait connaître un véritable engouement. Le Range Rover reprend les capacités de franchissement du Land Rover auxquelles est associé le raffinement des belles anglaises. Le Range Rover n'est plus un 4x4 tout juste bon à traîner dans les chemins boueux des Highlands mais un engin beaucoup plus élégant destiné aussi bien aux gentlemen farmer qu'aux cadres de banque quittant la City pour un week-end dans le Devon. Le “Range” connaît un succès instantané et, pour ceux qui ne le trouvent pas assez snob, de nombreux carrossiers imaginent des versions exotiques à cinq portes, six roues ou bien cabriolet, comme le Rapport Huntsman, célèbre grâce à son apparition dans un James Bond. En 1976, c'est la canicule sur toute l'Europe et c'est aussi à ce moment-là que Pierre Jamais décide de confier son Range Rover à la carrosserie Henri Chapron. « Mon oncle travaillait en Afrique, se souvient Anne, sa nièce. Il était professeur de lycée et a fait toute sa carrière là-bas, du Sénégal au Zaïre. Il revenait en France avec sa femme et son fils deux mois par an, pour passer les vacances d' été sur le continent européen. » British and smart, le Range Rover aurait pu jouer dans la série “Chapeau Melon et Bottes de Cuir”. Pierre Jamais est propriétaire d'une maison du côté de Dijon, sa région d'origine. C'est ici qu'il remise son automobile et sa caravane dix mois de l'année. Il faut préciser que Pierre est un adepte du caravaning et ne conçoit ses vacances que dans un terrain de camping à la montagne. La montagne est une de ses autres passions.

Peut-être que résider en Afrique dix mois de l'année lui donne des envies de fraîcheur, d'alpages verdoyants et de vaches broutant une herbe grasse. Anne se souvient de son oncle d'Afrique comme d'un personnage étonnant, parlant fort, friand de gadgets et de nouveautés technologiques. « Il se moquait de moi comme un adulte peut se moquer d'une petite fille. Je ne comprenais pas son humour et il m'impressionnait, se rappelle Anne. Mais il me faisait rêver aussi. L 'Afrique, c' était mon oncle, les lions, les éléphants et les girafes. » Ce personnage truculent gagne très bien sa vie et a des idées précises sur beaucoup de sujets, notamment l'automobile. Il aime les autos et se complaît à posséder une voiture faite à sa mesure. Quand il a commandé le Range Rover chez le concessionnaire Leyland de Chalon-sur-Saône, il a choisi quelques options comme la direction assistée, les vitres teintées et le compte-tours. L'oncle d'Afrique a également demandé le montage de phares à iode, de phares antibrouillard, d'un avertisseur “Rallye Flash” avec de belles trompes rouges, d'un crochet de remorque “sécurité”, d'un énorme feu arrière rouge monté sous le pare-chocs arrière et associé à un phare longue portée jaune. On n'est jamais trop prudent et Pierre Jamais a imaginé son Range Rover à la façon d'un petit garçon qui dessine sa voiture “idéale” sur un cahier à grands carreaux. Mais ce n'est que la première étape de la “réalisation” de son Range Rover “personnel”. Avant l'acquisition de cette Anglaise moderne et décalée, Pierre a possédé une Frégate passée entre les mains d'un carrossier. La Renault, un peu pataude, était devenue un élégant cabriolet. Le professeur a l'expérience de ce genre de travaux et il ne va pas hésiter une seconde à contacter la Carrosserie Chapron pour réaliser ce dont il a besoin. Chapron, c'est le dernier carrossier français à subsister au milieu des années 70.

En 1976, s'offrir un Range Rover sur-mesure chez Chapron relevait d'une certaine nostalgie automobile. Pendant plus de soixante ans, Henri Chapron a maintenu sur le devant de la scène le bon goût français en matière de carrosserie automobile. Il a commencé en 1919 en bricolant des Ford T abandonnées par l'armée américaine à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1923, la Carrosserie Chapron s'installe à Levallois-Perret dans un vaste hall construit par Gustave Eiffel au siècle précédent. L'entreprise, qui restera dans ces locaux jusqu'à sa liquidation en 1985, ne connaît jamais d'époque facile. La crise de 1929, la fin des voitures de luxe françaises, la Seconde Guerre mondiale et la démocratisation de l'automobile ne facilitent pas la tâche du carrossier. L'apparition de la DS de Citroën en 1955 va permettre à la Carrosserie Chapron de prolonger son histoire pendant quelques années avant de lentement sombrer. La DS va être déclinée en de nombreuses variantes de coupés et de cabriolets élégants et raffinés. Ensuite, l'entreprise vivotera grâce aux transformations de Citroën SM (notamment les versions présidentielles) et de Peugeot 604 avant de travailler à l'élaboration de prototypes pour les constructeurs français. Mais, en octobre 1985, Françoise Chapron, seconde femme de Henri Chapron disparu en 1978, dépose le bilan du dernier grand carrossier français. En 1976, la Carrosserie Chapron est encore auréolée du prestige de ses réalisations sur base de DS et un client ne peut pas se tromper en s'adressant à eux. C'est ce que fait Pierre Jamais lors d'un rendez-vous, le 29 juillet 1976 à 15h. Pierre Jamais a une autre lubie : il consigne “tout” dans un style purement administratif, aussi précis qu'ennuyeux. Mais une lettre parfaitement dactylographiée de cinq pages, adressée à Monsieur Janty, directeur de “Chapron Carrossier” nous permet d'imaginer la rencontre. La lettre détaille avec une extrême minutie ce que les ouvriers de Chapron devront faire. « Le sous-toit isolant sera démonté, il se compose d'un garnissage de pavillon, section avant et section arrière. Le toit actuel, simple plaque galbée d'aluminium fixée à l'aide d'une quarantaine de boulons, sera enlevé pour être remplacé par un toit découvrable en simili cuir de couleur noire. » Pierre Jamais poursuit ses recommandations en demandant que : « La pièce transversale de renfort et d'appui permettant aux replis de toit en toile de trouver un appui à l'arrière sera de couleur identique au véhicule, à savoir Blanc Davos. » 

Mais le meilleur est à venir quand Pierre Jamais précise que : « Il est bien entendu entre nous que ce toit découvrable en simili cuir, de largeur et longueur maximum, ne sera en aucun cas d'un maniement rapide et instantané. L 'ouverture et la fermeture de ce toit se fera à l'arrêt avec les mêmes précautions que celles qui doivent être prises pour la capote d'un grand cabriolet. Le but de ce toit n'est pas de fournir de l'air à la demande en cours de route, mais de faire de ce véhicule un engin de plein air permettant de profiter du soleil ou d'un paysage de montagne dans son ensemble. » On se contentera de conclure par une phrase courte : « Le client est roi. » Le Range Rover réalisé par l'oncle Pierre ressemble à un rêve d'enfant qui serait devenu réalité. Pierre Jamais commande également un aménagement complet du coffre arrière, une amélioration du confort des sièges et de la banquette ainsi que leur garniture du meilleur cuir, un habillage des montants arrière autour du hayon supérieur, un éclairage du compartiment moteur, l'installation d'une boîte amovible, munie d'une poignée et fermant à clé dans ce même compartiment moteur. L'installation d'un lecteur de cassette stéréo Blaukpunt ACR920 dans une console réalisée à cet effet vient clore cette commande. Pierre Jamais précise que cela nécessite le déplacement du cendrier. Détail insignifiant sauf si l'on sait que Pierre ne fumait pas. Habituée aux exigences les plus extravagantes, la Carrosserie Chapron exécute ces demandes précises qui se traduisent en avril 1977 par une facture conséquente d'un montant de 41 590,23 F. C'est pharaonique quand on sait que le Range Rover et ses options ont coûté 69 400,75 F ! Mais le savoir-faire d'un grand carrossier est à ce prix et, 45 ans après, le Range Rover est toujours frais et dispo, dans son jus d'origine, avec 97 960 km au compteur. Par chance, après le décès de son extravagant propriétaire, ce Range unique est resté dans la famille, avec la totalité des documents permettant de retracer son existence : factures d'entretien, vignettes, dépliant d'origine, courriers, manuel d'utilisation protégé par une véritable reliure... L'iconique 4x4 est prêt pour de nouvelles aventures.

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