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VLADIMIR : La casse du siècle

Publié le Écrit par La Rédaction
VLADIMIR : La casse du siècle
© Mathieu Bonnevie
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Vladimir m'explique que c'est chez lui et descend ouvrir le portail du château... Je savais bien que je n'aurais pas dû négliger la dernière station-service croisée sur mon chemin mais elle était de l'autre côté de la route. Le soir est tombé, la jauge clignote dangereusement suivant les mouvements de la voiture et je commence à regretter de ne pas avoir un jerrycan dans le coffre. Promis, je m'arrête au prochain village pour faire le point. Saint-Barthélémy-de-quelque-chose. Le nom inspire le drame à venir et je me pose sur la place de l'église pour constater que la 4G n'est pas encore déployée sur tout le territoire. A la sortie du village, je soupèse le nom des bleds inscrits sur les panneaux. Ceux de gauche me paraissent convenir à des bourgs importants mais je crains que cela ne soit qu'une réaction chimique de mon cerveau. Je démarre sur un filet de gaz en enroulant comme une grand-mère. Je me maudis d'avoir poussé la troisième comme un âne sur les beaux enchaînements de l'après-midi et je me flagelle en pensant à toutes les stations-service qui doivent être à ma portée sans que je puisse le vérifier. On a confié notre intelligence à des smartphones, voilà comment ils nous remercient. Maintenant que la nuit est là, la lumière orange de la jauge me nargue intensément. Combien de kilomètres vais-je pouvoir soutirer du fond de soute qui me reste. Sans compter que je risque bien d'envoyer quelques impuretés dans les injecteurs en allant aspirer les derniers centilitres de carburant. Au moment où je me dis ça, le flat 6 coupe une première fois dans une courbe. Ça repart mais ça signifie que le moteur est en train d'avaler goulûment plus d'air que d'essence...

Désolé, il n'y a pas de fin miraculeuse et le moteur coupe quelques centaines de mètres plus loin. Je mets la boîte au point mort et je laisse filer l'auto sur un chemin forestier qui s'offre à moi. Il fait nuit noire, le silence est épais comme une purée de pois chiches et il me reste un peu d'eau et une boîte de cookies entamée. Quelques gâteaux trop sucrés plus tard, je peux affirmer que dormir dans un siège baquet est très inconfortable. Heureusement, le coffre de la voiture de Zuffenhausen renferme un plaid que mon père a trimballé de voiture en voiture. J'ai l'impression de ne pas avoir dormi de la nuit quand quelqu'un frappe à la vitre. Mon cerveau réagit mais mon corps refuse d'obéir. J'arrive néanmoins à ouvrir la porte et à articuler un bonjour un peu enroué. Le monsieur me demande très poliment de déplacer ma voiture afin de lui céder la place. Quand je lui explique pourquoi je suis planté au milieu du chemin, il me propose de venir boire un café. Je m'installe dans sa vieille 205 XAD 1,9 l et on fait demi-tour, écrasant sans vergogne quelques fougères. Un ou deux kilomètres plus loin, on arrive devant l'immense grille d'un château. Vladimir m'explique que c'est chez lui et descend ouvrir le portail. Je découvre alors un château avec des douves, des dépendances, des poules et des canards. Vlad m'emmène vers la cuisine. Il prépare le café, sort du frigo une boîte de maquereaux et une bouteille de blanc à moitié entamée. Il m'explique qu'il habite ici depuis quarante ans, qu'il est médecin de campagne, qu'il a refait le château de ses mains, et qu'il vit seul depuis que sa femme est décédée.

Après s'être régalé, on part chercher un jerrycan d'essence dans une des granges, accompagné de Rocky (c'est juste le nom du petit chien qui court partout). C'est là que j'aperçois au fond du parc le cul d'une petite voiture orange. Quand je demande à Vlad ce que c'est, il me répond : « Ce n'est rien. C'est sans importance. » Je pose le bidon et je marche vers ce qui est une Matra Bagheera envahie par les ronces. Plus loin, il y a des Range Rover, une Mercedes, une 2CV, des DS, une R5 dévorée par les orties jusqu'aux vitres. C'est quoi ce binz ? Je l'interroge à nouveau et Vladimir avoue son péché. Quand certains ne voient que des épaves sans intérêt, Vladimir, lui, discerne des âmes à sauver. S'il croise une voiture dans un champ ou dans une grange pendant ses tournées, il propose de la racheter pour la ramener ici et lui offrir une fin paisible. « Je ne sais pas pourquoi je fais ça, avoue Vlad. Je le sens comme ça et j'ai les moyens de le faire. » Le toubib me conduit vers un bâtiment où sont alignées une Panda 4x4, une grosse Mercedes et une R25. « Celles-là, elles démarrent quand tu veux », déclare-t-il solennellement. Je ne le contredis pas mais l'épaisseur des crottes de poules qui tapissent le toit des trois autos me fait douter de ces propos. Vlad m'emmène dans une autre partie de l'immense parc qui entoure le château.

N'imaginez pas sauver une seule de ces automobiles, elles sont vouées à disparaître, lentement rongées par la rouille. Il ouvre une porte de grange branlante dans laquelle je pénètre, cherchant un quelconque trésor avec la lumière de mon téléphone. Un Ford Transit « comme neuf », une camionnette Hanomag, la Peugeot 104 avec laquelle il se déplaçait quand il habitait Paris et la Yamaha 125 AT2 qu'il avait quand il bossait à Kinshasa. Dans ce capharnaüm, j'aperçois ce que je crois être un Combi bleu en version pick-up. Je tente de m'en approcher mais il est comme emmuré. « Son mari est mort, elle voulait mettre le Combi à la casse alors je l'ai récupéré », explique Vladimir. Le Combi semble en bon état. Je me console en me disant que son moteur est certainement grippé et le soubassement en dentelles. Après avoir disserté des mérites de l'Alfasud, de la Yugo et d'une « rare » C15 vitrée, Vladimir me ramène vers le château. Deux chevaux blancs se précipitent vers pour nous chercher des caresses. Arthur et Sacha lui ont été offerts par un vieux monsieur qui ne pouvait plus s'en occuper. « Mon grand-père a fait sa déclaration à ma grand-mère sur un cheval blanc. J'ai toujours rêvé d'en posséder un. » Dix minutes plus tard, Vladimir a versé cinq litres d'essence pure dans le réservoir de la Porsche. Je repars en admirant ce monsieur un peu fou qui continue de soigner ses patients, tout en sauvant tout ce qui a roulé un jour.

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