Krimo-911 Montmartre : Flat 6 au Sacré-cœur

Au XXIème siècle, il est encore permis de faire des découvertes étranges qui vous mettent en joie, à la manière d'un Docteur Livingstone cherchant les sources du Nil. Cet article va vous plaire d'autant plus si vous avez un faible pour les flat 6 de Stuttgart. Ceux refroidis par air, bien sûr. Mais y en a t-il d'autres ? On pénètre dans un monde fait de chapelles et de croyances, de gens qui “savent”, de gens qui connaissent “quelqu'un qui...” Si un jour vous avez tenté d'acheter une vieille Porsche 911 (mais ça marche avec n'importe qu'elle autre voiture de collection), vous savez à quel point il est facile de se faire abuser, on est obnubilé par son achat, prêt à croire tout ce que le gars vous dit parce qu'il a l'air de s'y connaître ou parce qu'il est sympa. On connaît tous quelqu'un qui a fait l'acquisition d'un truc “choucrouté” de partout ou d'une auto beaucoup trop chère pour ce qu'elle est réellement. Si vous avez surmonté cette première épreuve sans vous traiter de tous les noms, il faudra ensuite trouver l'officine qui tentera de conserver votre patrimoine (car c'en est un, au prix où vous avez payé cette bagnole !) en état de fonctionnement. Il n'y a rien de plus pénible que les week-ends qui se terminent au bord d'une route de campagne dans l'attente de l'assistance, un dimanche soir sous une pluie battante. Sinon, ce n'est pas drôle... Aussi anachronique que merveilleux, le garage de Krimo est entièrement dédié aux vieilles Porsche.

D'une manière générale, le dimanche soir se termine avec des promesses de séparation “dès que l'auto sera réparée”. Et puis, on oublie ou on cherche une autre solution. Si vous avez du bol, on vous passera l'adresse d'un spécialiste dont le carnet de rendez-vous est rempli pour les quatre ou six prochains mois mais qui peut vous proposer un rendez-vous dans huit semaines parce que quelqu'un vient d'annuler le sien. Et puis, il y a les Porschistes heureux... D'abord parce qu'ils savent qu'ils possèdent la plus mythique des bagnoles de sport (voilà un terme aussi désuet qu'un klaxon italien) du XXème siècle. Ensuite, parce qu'ils confient les clés de leurs autos à un spécialiste comme on en fait plus. A l'heure des show rooms aseptisés, des hôtesses en tailleur gris qui vous appellent par votre nom de famille et des chefs d'atelier plus calés en marketing qu'en mécanique, Krimo est une erreur de casting, un bug de l'an 2000 à lui tout seul ou un mécano qui se serait échappé d'une photo en noir et blanc sans que l'on sache trop comment. Krimo est donc une anomalie aux commandes du garage Porsche le plus haut de Paris puisqu'il est situé juste derrière le Sacré-Cœur. Ne cherchez pas la vitrine ou la porte d'entrée de 911 Montmartre, il n'y en a pas ! Mais quand vous aurez trouvé le moyen d'y pénétrer, oubliez vos préjugés et pensez à l'amour que vous portez à votre Porsche. « Mon frère était mécano à Alger. J'adorais l'automobile alors je suis devenu mécanicien, explique simplement Krimo.

Mais moi, c'était le foot qui m'intéressait ! » Quand, en 1976, il quitte Alger la Blanche pour la région parisienne, Krimo va découvrir un autre monde. « Tout le monde me réclamait un diplôme », se souvient-il. Le mécano autodidacte se demandait si les gars travaillaient avec leurs diplômes à la main. Il trouve son premier boulot dans une concession Citroën où il ne reste que quinze jours. Il n'a pas d'atomes crochus avec la marque au Double Chevron pas plus que pour les Peugeot qui inondent l'Algérie. « J'ai commencé chez Henri Cachia, qui courait au Mans avec des 911. Il avait un garage qui faisait Porsche et Fiat », se souvient Krimo, qui a été embauché car le chef d'atelier était, comme lui, originaire d'Hydra, un quartier d'Alger. Il y reste trois années et commence son apprentissage des Porsche. « La première fois que j'ai utilisé un comparateur, c'était comme marcher sur la lune », s'exclame-t-il en rigolant. Ensuite, Krimo passe huit années sous les couleurs de Hurquin, une concession Porsche, situé dans le XVIème arrondissement. Quand le garage perd le panneau, l'ancien directeur commercial lui propose de le rejoindre comme chef d'atelier chez Marceau Automobiles. C'était à l'époque des 964 et Krimo suit toutes les formations qui font de lui un spécialiste du flat-6. Et puis, Sonauto rachète Marceau Automobiles. Rapidement, notre électron libre ne se sent pas à l'aise dans cette nouvelle structure. « On n'avait plus de contact avec les clients. Chez Hurquin, on voyait défiler tous les tennismen français de l' époque. Dans ce coin de Montmartre, la Porsche 911 et son flat 6 sont vénérés comme des idoles d'un panthéon mécanique.

Noah, Tulasne, Forget… Ils roulaient tous en Porsche et venaient discuter avec nous », se souvient Krimo. La goutte d'huile qui fait déborder le carter date de 2004 quand Sonauto réduit la taille de l'atelier. « C'en était fini du métier de mécanicien. On nous demandait de laisser notre cerveau au vestiaire », déplore l'amoureux des 911. A cinquante balais, avec un cursus de mécanicien spécialisé en flat-6, Krimo n'a pas d'autres choix que de se lancer dans la création de son “propre” garage. A cet âge, rien n'est simple surtout quand on a conscience que la mécanique, c'est une chose et la gestion d'un garage une autre. Un ami indique à Krimo un garage Citroën dont le patron part en retraite. Les deux hommes font affaire et Krimo ouvre 911 Montmartre au début de l'année 2005. « Quand tu te lances, les clients te disent qu'ils vont te suivre. Tu as envie de les croire mais on ne sait jamais ce qu'il va se passer. » Le garage en question, c'est quelques m2 au fond du parking d'un immeuble des années 70, avec quelques vasistas pour aérer l'endroit. Le reste appartient à Krimo mais quel bazar. D'un côté, vous avez le sourire et la tchatche de Krimo..., de l'autre, vous avez un entassement de vieilles pièces, de vieux cartons, de vieux bidons, sans oublier un capot arrière neuf de 911 S (Irish Green). Cet endroit rendrait dingue n'importe quel membre du service marketing (changer marketing par réseau ou qualité. ..) de la maison de Zuffenhausen. Mais Krimo est maître chez lui et il se complaît dans ce bazar caricatural où tout est à sa place. Mais est-ce important quand on a affaire à un homme qui connaît aussi intimement les 911 ? Avec plus de trente ans d'expérience au service des Porsche, Krimo connaît par cœur leurs faiblesses, leurs petits défauts et les pièces qui lâchent quand elles viennent à vieillir. Un coup d'œil dans le compartiment moteur et il sait si la voiture est saine et entretenue, une pression sur l'embrayage et il renifle si elle est en forme. « Au début, Royal Cars Company et Speed Star m'ont confié leurs autos » , se rapelle Krimo. Et puis, le bouche-à-oreille a fonctionné et 911 Montmartre est devenu une adresse incontournable pour les PPP (Porschistes Parisiens Passionnés).

Ses clients, qui vont du chauffeur de la RATP au PDG de grosse boîte, l'adorent. « Les anciennes ont besoin de beaucoup de compétences et d'attention, explique le patron du boui-boui. Une concession moderne va gagner de l'argent avec les pièces détachées et les ateliers doivent débiter. » Krimo déplore que les voitures modernes ne soient pas pensées pour qu'on intervienne dessus. On change, on remplace, on ne répare pas. .. Ça l'agace tellement qu'il ne répugne pas à se lancer dans des défis insensés comme refaire un moteur sur un coin de table pour dépanner un client. Si vous n'avez pas compris que Krimo était un sentimental, c'est que je n'ai pas réussi à retranscrire l'atmosphère incroyable de ce lieu qui ne devrait plus exister. A une époque où tout est standardisé, Krimo aime les Porsche d'un amour ingénu. « S'il faut aller donner un coup de boost un dimanche soir, je le fais », explique-t-il. Ses bonheurs sont simples : résoudre une panne, dépanner par téléphone un couple tombé en panne par une nuit sans lune (le relais DME) ou aller refaire un embrayage à Lyon. A sa manière, Krimo est un philosophe. « Il y a avant et après 1968, explique l'ancien lecteur de Libé qui portait des dreadlocks. C'est l'évolution. Tu ne peux pas l'arrêter. » Krimo explique que regarder Mes 100 Porsche et moi sur Arte lui avait filé la chair de poule tandis que voir les prix des vieilles 911 flamber l'énerve. D'ailleurs, l'argent est un sujet tabou en ces lieux. « Quand on me demande : “Combien ça va coûter ?”, je ne réponds pas », confie Krimo avec les mains. « Quand tu vas chez Fauchon ou Hermès, tu ne demandes pas combien ça coûte ? Tu pousses la porte parce que tu sais que le service va être parfait. Si tu t'enquiers du prix, c'est que tu ne sais pas ce que tu possèdes. » Après avoir passé un long moment avec le magicien d'Hydra, on n'est plus étonné de voir des GT2, des 2,4 l ou de basiques 3,2 l venir se faire chouchouter ici.