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Christopher Coutanceau : Un chef à bord

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Christopher Coutanceau : Un chef à bord
© Olivier Schindler
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Sa première rencontre avec les Affaires maritimes, Christopher Coutanceau s'en souvient très bien. « Je remontais des casiers à crabes », raconte le chef rochelais, quand il a été interpellé, peu loin du rivage sur l'île de Ré où vivait alors la famille de Richard Coutanceau, chef étoilé lui aussi avant son fils. « J'étais avec le bateau de mon père, tout seul à bord », se marre aujourd'hui Christopher. Les “aff'mar” ont moins ri. Il faut dire que le gamin d'alors avait « juste douze ans » ! Papa Coutanceau a été convoqué au tribunal et le rejeton précoce a passé le permis bateau dès l'âge légal atteint. Et il n'a jamais redébarqué. « Je sors une à deux fois par semaine, toute l'année, résume ce passionné de bateau et de pêche en mer. Les deux sont liés. » Son “outil” : un Searib's, « en 670 motorisé avec un hors-bord Suzuki de 200 chevaux », détaille ce spécialiste en justifiant tous les choix de ce “4 x 4 des mers”. « La taille est parfaite, on a un réservoir central qui participe à l'équilibre du bateau et un tirant d'eau de 40 centimètres. » Celui a qui a usé avant cela un Guymarine Antioche 700 ou un semi-rigide à coque alu avec un 115 chevaux a aujourd'hui affiné son choix et opté pour une motorisation « à la puissance suffisante pour aller chercher des spots à 1 heure 40 du port de La Rochelle. Avec un gros avantage, il est relativement silencieux, on peut se parler sans hurler ! » Important car le cuisinier pêcheur ne sort jamais sans un ami, au moins un... « Pour la sécurité déjà car on ne sait jamais ce qui peut arriver, et puis pour le partage. »

La convivialité de la pêche et du moment passé ensemble dont celui du « gueuleton au retour, et un peu à bord aussi selon les jours » lâche le chef sans trop en dire sur les copains de pêche. C'est qu'il partage une passion aussi pour le rugby en général et en particulier pour le Stade Rochelais. Comme le chef doublement étoilé, le club à la caravelle auréolé de deux coupes d'Europe a deux étoiles, et compte dans son équipe des passionnés de pêche. Et non des moindres puisque le capitaine rochelais - et des Bleus - Gregory Aldritt en fait partie. « Il a acheté le même bateau que moi », sourit Christopher. Les deux hommes s'estiment et sortent souvent ensemble. Au large des tours rochelaises, ou plus loin comme au Costa Rica où ils sont allés pêcher des poissons différents cet hiver. « Christopher a besoin de ces moments de pêche, ce sont les seuls où il ne pense à rien d'autre. » Avec leurs épouses respectives. « Christopher a besoin de ces moments de pêche, ce sont les seuls où il ne pense à rien d'autre », observe son épouse Alice. « Quand elle me dit d'aller à la pêche c'est que je suis tendu », rigole le chef, qui ne se fait pas prier. « “Greg” apporte des foies gras du Gers et moi je leur prépare une petite bouillabaisse », marque-t-il d'un sourire entendu. Mais l'échange va plus loin. Non seulement avec “Greg” mais aussi avec d'autres coéquipiers, dont Bourgarit par exemple, ils font leurs « petits bocaux de maquereaux ou autres mais en plus ils partagent leurs» coins de pêche et leurs conseils en matériel. Sur ce point Christopher est autant attaché à la qualité de ses cannes qu'à celle des produits, qu'il envoie avec une attention extrême et sa pince à épiler (!) pour dresser au moindre détail sur les tables de ses clients aussi gourmets qu'exigeants.

Et si on ne va pas lister ici les maraîchers, vignerons et autres ostréiculteurs du chef, on ne peut pas passer sous silence son attachement aux cannes Ultimate fishing, de Yannick Cordier, le faiseur de Belle-Île-en-Mer. « Les meilleures » salue l'expert qui travaille même aujourd'hui avec la société vendéenne pour faire une canne à son nom. Une exigence qui n'a d'égale que son attachement au respect de la faune et de la saisonnalité pour pêcher “durable”. « Ah ne me mets pas cette expression d' écoresponsable, c' est complètement con, c'est juste être responsable et respectueux de la nature. Est-ce que le vigneron fait son vin avec des raisins pas mûrs ? Est ce qu'on peut manger des tomates en décembre ? Non, et non, avec le poisson c' est pareil. » Le ton monte, et le chef-pêcheur déroule comme un moulinet emporté par un bar qui se défend. « Je vois trop de restaurants qui servent n'importe quoi n'importe quand ! », regrette le double étoilé sans citer ses homologues aussi distingués que lui sinon plus (lui qui a eu un temps 3 étoiles que sa table mériterait encore) mais qui ont moins sa connaissance du poisson. « Je n'ai pas de mérite : j'allais à la pêche avec mon grand-père André que je n'' étais pas encore à l'école primaire », sourit Christopher, 46 ans dont plus de 40 années d'expérience dans les cannes. « Aujourd'hui, pour pêcher les mêmes poissons que ceux que l'on sortait depuis le bord à l'époque, il faut que je fasse une heure de bateau, c'est un signe non ? » Sans parler du réchauffement climatique que ce militant observe depuis son Searib's. « Ici on voit de moins de bars alors que les pêcheurs de Norvège ou de Suède qui n'en avaient pas en sortent maintenant régulièrement ! » À l'inverse, d'autres espèces surprennent les pêcheurs rochelais. « Je vois trop de restaurants qui servent n'importe quoi n'importe quand. »

« On a eu une année de dingue il y a peu avec les poulpes qui étaient plus au sud avant, et on a même des dorades cor yphènes chez nous ! Une journée on en a vu quinze ! Elles n' étaient pas paumées », regrette-t-il au sujet de cette espèce normalement plus habituée à la Méditerranée et à l'Atlantique sud. « Même mon pote à Belle-Île en a eu », insiste Christopher, observateur mais pas impuissant. Il milite et combat. En 2018, il embarque des grands noms de la cuisine française avec près de 200 experts pour demander l'arrêt de la pêche électrique. Combat gagné : le Parlement européen interdit cette pratique. Mais beaucoup reste à faire et le chef-pêcheur a encore des idées qu'il pousse en tapant de la main sur la table devant sa cuisine où s'active sa brigade. « Aujourd'hui personne ne bouge pour sauver le plancton. Si demain on n'a plus de plancton on n'aura plus de poissons ! » Et de citer des exemples à imiter rapidement si possible. « Pour la saint-jacques ou le thon rouge, on a des dates de pêche, de la protection des espèces... il faut continuer », invite fermement ce passionné qui montre l'exemple. Un de ses plats signatures comme dirait le Michelin qui n'est pas le livre de chevet préféré de Christopher Coutanceau est « la sardine de la tête à la queue ». « Ça fait râler certains inspecteurs mais moi je ne mets pas ce plat toute l'année à la carte. Je ne vais pas acheter de la sardine à la criée le matin quand c'est la période de reproduction, non.

Faut respecter l'espèce et puis dans l'assiette ça ne ressemble à rien, elle n'a pas de gras... », râle le chef qui là aussi fait l'effort d'un plat “zéro déchet”. Tout est cuisiné, transformé. Pour ne pas gâcher. « Un filet de sardine mariné avec jus de citron, huile d'olive, fleur de sel et poivre, servi avec un tartare de sardines aux échalotes, fines herbes, jus de citron, huile d'olive, et une quenelle de sardine. Avec entre ces éléments des points de crème vinaigrée de têtes de sardines grillées. Et pour ne rien gâcher, il y a quelques arrêtes de sardines croustillantes, le tout saupoudré au dernier moment d' écailles... de sardines évidemment. » Mieux : c'est servi dans une assiette spécialement fabriquée pour ne pas utiliser de kaolin, le secret du blanc de la porcelaine, « mais extrait de façon mécanique et avec des pompages » regrette le chef. Du coup il a travaillé avec une entreprise vendéenne pour remplacer le kaolin par les coquilles d'huîtres récupérées au restaurant. Une recette qu'il applique aussi à ses huiles de cuisine qui partent pour du carburant végétal, et à tous les déchets bio de ses établissements(1). N'est-ce pas paradoxal alors d'aller pêcher au moteur ou d'aimer les motos et autos de grosses cylindrées pour lesquelles le chef a aussi une passion non dissimulée ? « Mon Suzuki est d'une puissance raisonnable et je suis attentif à ma vitesse pour limiter la consommation. » « Mon Suzuki est d'une puissance raisonnable et je suis attentif à ma vitesse pour limiter la consommation, répond le pêcheur qui croit aussi à la transmission de ses convictions. On doit former davantage, mieux expliquer », note le chef qui n'hésite pas à aborder ces sujets de table en table, devant des clients attentifs. Et à transmettre le message à sa fille Athéna. Pour que les générations futures aient encore le bonheur de manger du poisson. Christopher Coutanceau gère avec son associé sommelier Nicolas Brossard la table gastronomique, le bistrot la Yole de Chris et l'hôtel L a villa Grand Voile. Trois établissements installés à L a Rochelle, sous le label Relais & Chateaux.

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