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L’épopée de la Bugatti 57160 :  La princesse de Molsheim 

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L’épopée de la Bugatti 57160 : La princesse de Molsheim
© Mathieu Bonnevie
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L'histoire de cette Bugatti 57 débute au printemps 1934. Alors que les effets de la crise de 1929 sont loin d'être dissipés, (seulement 66 voitures ont été vendues en 1933), Jean Bugatti se retrouve aux commandes de la firme. Créateur de génie, Monsieur Jean est l'artiste qui a dessiné le Coupé Napoléon, les sublimes versions coupés et cabriolets Type 55, la révolutionnaire Atlantic aux allures d'avion de record... Il décide de concentrer les moyens de l'usine sur un seul modèle, le Type 57, qui va renvoyer au placard les Types 46, 50 et 55. Apparue en 1934, la 57 possède de nombreux perfectionnements techniques qui ne déclenchent pas l'enthousiasme du “Patron”, traditionnaliste jusqu'au bout des essieux. Mais la 57 est une réussite et Bugatti en produira 685 exemplaires jusqu'à 1940, ce qui en fera le modèle le plus vendu de la marque. Sortie de chaîne en mai 1934, cette 57 Galibier est une honnête berline à quatre portes sans montant central et sans poignées aux portes arrière. Cet artifice tend à la rendre plus élégante, tout en offrant aux passagers un accès facilité par ses larges portes. Si la 57 Galibier ne se distingue pas par des lignes renversantes, elle se rattrape par sa noble motorisation, un huit cylindres en ligne double arbre qui a remporté à deux reprises les 24 Heures du Mans (en 1937 et 1939). D'une beauté sculpturale, ce moteur de 3,3 l, alimenté par un unique carburateur, développe 140 chevaux et est associé à une boîte à crabots à 4 rapports. En août 1934, cette Bugatti Galibier répertoriée sous le numéro 57160 est livrée à M. Thuile par Descollas, l'agent Bugatti marseillais, et elle passe ses premières années sous le ciel bleu de la Méditerranée.

Comme toute belle Bugatti qui se respecte, la 57160 a connu une existence mouvementée...

Comme la plupart des Bugatti encore existantes, la 57160 a eu de nombreuses vies et autant de propriétaires. Démodée, délaissée puis abandonnée, la Galibier finit par atterrir en 1964 chez Jean de Dobbeleer, un négociant bruxellois. Avec Gene Cesari, son complice installé à New York, de Dobbeleer a été un acteur important de l'exportation des Bugatti vers les États-Unis. Dans ses mémoires, Gene Cesari se remémore la transformation de cette Galibier en une évocation de Bugatti de Grand Prix à la demande d'un industriel américain. Ayant fait fortune dans les générateurs électriques portatifs, Robert Onan promenait une corpulence qui ne lui permettait pas de se glisser dans le cockpit d'une frêle 35. Le châssis est raccourci (l'empattement passe de 3 300 mm à 2 700 mm) et une carrosserie évoquant une Type 59 est réalisée par Jean-Marie Bats (qui travaille en face de l'officine de Dobbeleer) mais le magnat américain meurt avant la fin des travaux. La 57160 passe alors entre les mains de plusieurs collectionneurs avant d'être rapatriée en Europe au début des années 80 par Dan Margulies, un marchand anglais réputé. En 1985, Werner Oswald, un sujet britannique, en fait l'acquisition avec l'idée extravagante de transformer cette machine en une inédite version roadster de l'Atlantic. Le défi est énorme car le métier de carrossier tel qu'il existait dans les années vingt ou trente a complètement disparu et, par ailleurs, qui oserait se mesurer au talent de Jean Bugatti ?

L'Atlantic possède des lignes baroques, uniques et déroutantes qui font d'elles la plus désirables des Bugatti. Son dessin dérive de celui de l'Aérolithe, un prototype présenté aux salons de Paris et de Londres 1935. La carrosserie de cette auto aurait été réalisée en Electron, un alliage d'aluminium et de magnésium aussi léger qu'inflammable. Ceci expliquerait l'assemblage par rivets des deux demi-coques et des ailes, impossibles à souder. Les Atlantic, délaissant l'Electron, conservent les rivets pour des raisons stylistiques évidentes. Décliner une version roadster de cette diva construite à quatre exemplaires, c'est comme vouloir ajouter des bras à la Vénus de Milo ou des jambes à la Joconde. Mais Rod Jolley, qui n'avait jamais dû visiter le Musée du Louvre, accepte de se lancer dans cette aventure avec quelques esquisses comme lignes directrices. L'opportunité de renouer avec le travail des grands noms de la carrosserie a sûrement été terriblement motivant pour un homme de l'art reconnu pour ces immenses talents de restaurateur.

La Bugatti 57160 est enfin prête

Au bout d'un interminable chantier de sept ans, la Bugatti 57160 de Werner Oswald sort des ateliers de Rod Jolley dans sa nouvelle robe de princesse. Elle est indéniablement réussie et personne ne crie au crime de lèse-majesté, même si la controverse anime encore les soirées des Bugatisti. Essayée dans Classic & Sports Car en janvier 1993, la Bugatti grise change de propriétaire au milieu de cette décennie. Le nouveau s'appelle Stéphane Falise, un aristocrate belge fortement apparenté à la fameuse Bugatti type 59, dite “Léopold III”. Ce monsieur emprisonne la princesse de Molsheim dans son garage bruxellois et se contente de l'admirer chaque jour, pendant près de deux décennies. À la fin de sa vie, Stéphane Falise confie la vente du roadster à Marreytt Classic. C'est à ce moment-là qu'Olivier, le propriétaire actuel, succombe au charme de cette auto magique. Citroëniste convaincu, c'est un amoureux de l'automobile (sauf les Opel précise-t-il) et il aime faire rouler celles qu'il possède. Avec un grand-père bugattiste dans les années 30, Olivier explique que sa passion pour les voitures de Molsheim est née avec l'acquisition de sa première Bugatti vers l'âge de sept ou huit ans : une Type 51 de chez Burago. Après avoir découvert l'auto dans la rubrique “Petites annonces” d'un magazine, Olivier se rend sur le stand de Rétromobile où elle est proposée aux éventuels acquéreurs. Il est accompagné de René, son “garagiste” attitré sans qui il ne se lancera pas dans l'aventure. Mais un autre acheteur potentiel est en de train tourner autour de l'auto alors Olivier regarde René droit dans les yeux et lui demande le cœur battant : « Si j'achète cette voiture, peux- tu la restaurer ? » Sans même réfléchir, René répond « oui » et demande à Olivier de prendre le volant de la voiture pour voir comment il est installé dedans. « Le volant était à repositionner plus haut mais ce n' était rien par rapport au reste de la tâche qui nous attendait », explique René en apprenant que la 57160 avait été longuement remisée sans rouler. Aujourd'hui réputés pour leur savoir-faire en matière de Jaguar, les Ateliers Sontrop connaissent bien les mécaniques alsaciennes.

S'offrir une Bugatti à 50 ans n'était pas un but dans la vie d'Olivier.

S'en servir à chaque fois qu'il le souhaitait était son véritable graal. « Au début des années 70, mon père s'occupait de Bugatti et j'ai appris la patience en œuvrant sur ces voitures, aussi belles que capricieuses et difficiles à mettre au point. » Et puis, René avait soigneusement conservé l'outillage et les clefs Bugatti de son père... Une fois négociée, la 57160 est entièrement démontée pour être “révisée” jusqu'au moindre boulon. René constate que, si la carrosserie est parfaite, le reste de l'auto réclame énormément d'attention. Le moteur a nécessité une sérieuse remise en état, le bloc cylindre a été refait et l'embiellage a laissé place à une version allégée. Le graissage de la pompe à eau a été optimisé à cause de la proximité de la longue tubulure d'échappement qui dégage énormément de chaleur. Récemment, la sculpturale tuyauterie a reçu un traitement céramique qui résout définitivement les problèmes d'aspect tout en améliorant le rendement du moteur. Les Ateliers Sontrop ont réalisé un tablier en alu bouchonné et conçu un nouveau tableau de bord, le précédent était réalisé avec des instruments anglais récents et peu conformes. René a également pisté une clé de contact Scintilla d'époque, indispensable et rarissime, ce genre de pièce s'échange au prix d'un kilo de bon caviar ! Le circuit électrique a été refait, les optiques de phares Lucas, trop petites et trop modernes, ont été remplacées par d'authentiques Auteroche, nécessitant la fabrication de tours de phare réalisés par un repousseur. La suspension arrière, beaucoup trop souple, a laissé place à des lames de ressorts neuves et plus fermes réalisées par les établissements Chassin. Etalée sur trois longues années, la remise en route de la 57160 a réclamé près de 2 000 heures d'un travail d'orfèvre, mais le jeu titanesque en valait la chandelle. Née Galibier, cette Bugatti avait, par une chance inouïe, conservé l'ensemble de ces organes mécaniques d'époque (moteur, boîte de vitesses, boîtier de direction, pont) dûment numérotés et expertisés. Magnifiquement carrossée comme cela aurait pu être fait au milieu des années 30, la 57160 est devenue une Bugatti capable de rendre sensuel le plus noir des bitumes.

Il est temps de la sortir du garage avec un cérémonial digne de cette aventure. Ôter la confortable bâche, pousser la machine avec élégance pour la sortir du garage, écouter le crissement des Michelin sur le gravier, régler l'avance, envoyer de l'essence dans le carbu et contact. Née à Molsheim, carrossée à Lymington, chouchoutée par les Ateliers Sontrop, la 57160 est prête à vivre de nouvelles aventures. Au bout de quelques minutes, la 57160 ronronne comme un grand fauve dans une inégalable odeur d'essence et d'huile chaude. Olivier a déjà effectué près de 3 000 km à son volant, la poussant à près de 170 km/h de l'autre côté de la frontière tandis que René solutionnait mille et un petits tracas. On aimerait que la séance photo ne s'arrête jamais. Mathieu pour profiter de la lumière dorée et moi pour jouir encore du son du 8 en ligne dans la campagne vallonnée de ce coin de France. En 2019, Olivier et les Ateliers Sontrop sont récompensés de leurs efforts en prenant la route de Molsheim pour les 110 ans de la marque. Accompagné de son fils Paul, Olivier et la 57160 ont pris part à cet événement réunissant Bugatti anciennes et contemporaines dans les lieux emblématiques autour de Molsheim. A l'issue de ce week-end de rêve, la marque a offert un prix à la 57160 car elle célébrait la philosophie retenue pour la réalisation de la Bugatti Divo : design, élégance et sportivité. Tout à son bonheur, Paul déclarait à son père : « Ce trophée, c'est comme être baptisé par le pape ! »

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