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Chris – Craft : Le pionner du runabout

Publié le Écrit par La Rédaction
Chris – Craft : Le pionner du runabout
© Marc de Tienda et DR
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Né le 20 mai 1861, Christopher Columbus Smith a construit son premier bateau à l'âge de treize ans (!), au point que 1874 est tenue pour la date de naissance des Chris-Craft, et cet adolescent considéré comme le père de cette marque prestigieuse, à laquelle il a donné la première moitié de son prénom. Mais laissons de côté les toutes premières décennies de ce chantier qui a vu le jour à Algonac, dans l'État du Michigan. .. et ce modeste atelier qui a longtemps fabriqué des bateaux de servitude, des barques à rames, à voiles ou à moteur, notamment pour la pêche et la chasse au canard très en vogue sur les lacs environnants. Ce n'est que vers le début des années 1900, qui vit en 1904 la création de la Gold Cup, prestigieuse course motonautique américaine, que la clientèle des bateaux motorisée, avide de vitesse, poussa les constructeurs à lancer des unités plus sportives. Chris Smith et son équipe ne manquèrent pas l'occasion de satisfaire ces plaisanciers téméraires avec un type de canot automobile nommé “launch”. Cet ancêtre du runabout approchait les 30 km/h... La suite fut le cadre d'une course effrénée à la performance, avec des racers qui approchèrent puis dépassèrent les 50 km/h dès 1910, grâce à des moteurs multicylindres venant de l'automobile, adaptés pour entraîner une hélice et positionnés à l'intérieur de la coque. En 1921, le record du monde est établi à 129 km/h par un racer de chez Chris Smith, propulsé par deux V12 Liberty de 400 chevaux chacun ! À son volant, auteur de cette performance purement exceptionnelle pour l'époque, Garfield Wood, dit Gar Wood, légendaire pilote et industriel de Detroit devenu actionnaire principal du déjà réputé CC Smith Boat & Engine Company (le chantier ne s'appelait pas encore Chris-Craft). Le constructeur d'Algonac va profiter à plein de ses succès en compétition pour attirer une clientèle à la fois fortunée et à la recherche de sensations fortes. Certains de ces racers destinés à la compétition ont vu leur coque en bois peinte en deux couleurs, off ra nt un spectacle très photogénique.

En 1922, après le lancement raté d'un premier runabout de plaisance de 26 pieds avec moteur à l'avant, Chris Smith revoit sa copie et présente dans la foulée un nouveau modèle avec moteur central, situé entre le cockpit de pilotage et le cockpit arrière garni de sièges en osier. Ce bateau, inspiré du Belle Isle Bearcat dessiné par John Hacker, architecte réputé, va poser les bases du runabout de loisir américain pour une bonne vingtaine d'années. Rapidement apparaîtra un pare-brise, et disparaîtront les sièges en osier, remplacés par une sellerie. À la fin des années 1920, Chris-Craft va même ajouter une troisième banquette, juste derrière les sièges du poste de pilotage. La sellerie capitonnée, se mariant avec l'acajou verni et les nombreux chromes, est du meilleur effet. L'étrave, toujours verticale, est armée d'une ferrure sur toute sa hauteur. Dans les années 1920, la demande pour des bateaux de plaisance à carène planante croissant rapidement, les Smith (les fils travaillaient avec leur père), conscients de l'impatience de cette clientèle aisée vivant au rythme des “années folles”, furent les premiers constructeurs de bateaux à utiliser la production à la chaîne. Il est vrai que durant cette décennie, avant la crise de 1929, la production du chantier d'Algonac était passée de 4 bateaux à... 946, tandis que le chiffre d'affaires s'envolait de 53 825 $ à 3 254 932 $ ! Une progression stratosphérique qui allait de pair avec l'extension du réseau de distribution. Déjà importée dans une trentaine de pays, la marque vendait alors 15 % de sa production à l'étranger. Si bien qu'à la fin des années 1920, le chantier de Chris Smith produisait plus de bateaux que l'ensemble de ses concurrents ! Chris-Craft s'est ainsi rapidement positionné comme le premier constructeur mondial de runabouts en acajou, consommant plus de 300 kilomètres de planches de ce bois précieux à l'année ! Un matériau qu'il utilisera durant cinquante ans avant de succomber, lui aussi, à la fibre de verre. Ce succès commercial reposait bien sûr sur la qualité des bateaux, mais aussi sur leur rapport qualité/prix attractif, un réseau commercial très développé, un marketing dynamique et un service après-vente digne de confiance. Pour répondre à la crise de 1929, le chantier américain créa une ligne de runabouts dits économiques. Loin de s'endormir sur ses lauriers, Chris-Craft surfa aussi sur une nouvelle mode : la coquetterie des businessmen américains à vouloir faire la navette en bateau entre leur domicile et leur lieu de travail. C'est ainsi qu'entre 1929 et 1931 Chris-Craft livra 65 exemplaires d'un luxueux “commuter” de 38 pieds (11,50 mètres). Ce genre de vedette, des plus confortables et néanmoins rapides, préfigure les cabin-cruisers et yachts que le chantier produira dès les années 1930. Pourtant, la crise de 1929 va plomber une large partie du marché. À cette dépression économique, Chris-Craft va s'adapter, notamment avec une gamme de bateaux à moteur de 15 à 29 pieds (4,50 à 9 mètres) très dépouillés. Pour satisfaire une clientèle impatiente, Chris-Craft va appliquer le travail à la chaîne. Une production pléthorique, du dinghy de 3 mètres au yacht de 22 mètres !

Dénommés “Utility”, ces runabouts, moins luxueux mais plus polyvalents, bénéficiaient d'un tarif très contenu. Ainsi, aucun segment du marché du canot automobile en bois n'échappe à Chris-Craft. En 1929, sa liste des prix ne comporte pas moins de 18 modèles, de 2 235 à 15 000 $. C'est aussi le temps où le chantier du Michigan se met à produire des bateaux taxis pour véhiculer la clientèle des hôtels, ainsi que des tenders, pour celle des yachts et des paquebots. Au début des années 1940, l'architecture des runabouts évolue, avec la disparition progressive du cockpit en arrière des moteurs. Ces derniers, dont les blocs ont longtemps été “marinisés” dans le département mécanique du chantier, sont désormais reculés près du tableau arrière de type “barrelback”, enveloppés dans une poupe frégatée, au profit de l'élégance. Les grandes unités ne sont pas en reste et l'on peut admirer le Challenger de 1941, un grand cabin-cruiser de 40 pieds (12 mètres) avec sa timonerie surélevée, abritée par un pare-brise et un hard-top, en quelque sorte l'ancêtre du flybridge. Par ailleurs, entre 1942 et 1945, durant la guerre du Pacifique, Chris-Craft fournira la bagatelle de plus de 12 000 barges de débarquement à l'armée américaine. Un effort de guerre qui a requis le temps plein de l'usine, mais a aussi fait sa grande fierté. Fameux historien du yachting outre-Atlantique, Joseph Gribbins situe l'âge d'or de Chris-Craft entre 1922 et 1942.  Toutefois, il ne faudrait pas omettre de saluer le travail effectué par le chantier floridien avec la gamme polyester, notamment depuis le début des années 2000 avec la reprise de l'entreprise par deux investisseurs passionnés : Stephen Julius et Steve Heese. Le grand Carlo Riva lui-même n'a pas caché son admiration pour la marque américaine : « Au cours de mon voyage aux États-Unis, j'ai bien entendu observé les Chris- Craft en acajou et ils ont été pour moi une source d'inspiration. » Et pour cause, il suffit de dérouler l'histoire du chantier américain pour prendre conscience de son immense contribution au nautisme, qu'il soit de compétition (surtout avant les années 1930) ou de plaisance, à moteur surtout mais aussi à voile, avec pour navire amiral le Comanche 42, un sloop lancé en 1968, sur plan Sparkman & Stephens. Fort d'une créativité et d'une productivité hors norme, Chris-Craft était capable de développer des gammes pléthoriques (jusqu'à 159 modèles !), et ce dans toutes les catégories de bateaux, du dinghy de 3 mètres au yacht de 22 mètres, en passant par les runabouts, day-cruisers, cabin-cruisers et autres sportfishing, pour la pêche sportive. .. Pendant longtemps en bois verni, avec une clientèle prestigieuse : Henry Ford, Franklin Roosevelt, John Fitzgerald Kennedy, Frank Sinatra, Katharine Hepburn, Elvis Presley. .. Puis en polyester, avec un regain de talent à partir des années 2000 - les modèles des années 1980 et 1990 ne resteront pas dans les mémoires -, notamment les gammes Corsair et Launch, aux rappels délicieusement rétro. Concernant l'identité forte de ce chantier considéré comme spécialiste du runabout, il est intéressant de constater que Chris-Craft, en dépit d'une prise de pouvoir sans précédent des hors-bord de fortes puissances ces dix dernières années, continue de produire quelques runabouts alors que de nombreux chantiers concurrents ont tourné la page de ce bateau emblématique de la plaisance élégante. En effet, si ses séries Catalina (coques open) et Calypso (bowrider) sont exclusivement vouées au hors-bord, avec sa gamme Launch (27 à 35 pieds) Chris-Craft s'autorise à faire perdurer cette architecture du canot automobile qui a contribué à sa renommée. Coque effilée, pare-brise profilé, confortables banquettes, moteur central... le runabout était né !

CHRIS-CRAFT Les dates marquantes

Depuis la disparition de Christopher Columbus Smith, le chantier a connu une histoire mouvementée.

1874 : fondation du chantier à Algonac (Michigan) par Christopher Columbus Smith

1916 : le pilote Gar Wood devient majoritaire dans le capital de Chris Smith Boat & Engine Company

1922 : premier canot automobile de plaisance construit en série chez Chris Smith & Sons Boat Co

1923 : Gar Wood revend ses parts à Chris Smith

1930 : l'entreprise prend officiellement le nom de Chris-Craft Corporation

1939 : décès de Chris Smith

1942-45 : Chris-Craft participe à l'effort de guerre avec la fourniture à l'armée US de 12 000 barges

1955 : premiers bateaux en polyester

1971 : derniers bateaux en acajou verni

1984 : le Stingher 390X présent dans la série booste les ventes

1988 : première faillite aux mains de Murray Industries - rachat par Ghaith Pharaon - puis déménagement à Sarasota (Floride)

1989 : reprise par Outboard Marine Corporation

2000 : seconde faillite avec la disparition d'OMC

2001 : rachat par Stellican Ltd (investisseurs londoniens)

2018 : Winnebago Industries fait l'acquisition de Chris-Craft Corporation

Club Chris-Craft France

La marque américaine est l'une des rares dans le nautisme à avoir engendré la création de clubs de propriétaires qui lui sont dédiés. C'est le cas chez nous, avec le Club Chris-Craft France, fondé en 2018 et basé à Bordeaux. Le club prévoit chaque année plusieurs sorties, où même les possesseurs d'autres canots US en bois verni sont conviés. Cet été (date à déterminer) verra notamment un grand rassemblement sur le bassin d'Arcachon.

www.clubchriscraft.com ou e-mail : clubchriscraft@hotmail.com

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