Les Horlogers et l’architecture : Fans de Le Corbusier

Quand il s'agit de partenariat, les horlogers soutiennent en masse la Formule 1, le tennis, la gastronomie ou encore l'équitation. Ils sont en revanche très peu nombreux à opter pour l'architecture. Côté ambassadeurs, c'est la même chose. Roger Federer, Anne-Sophie Pic ou Georges Clooney, Lewis Hamilton ou Kelly Slater font plus recette que Santiago Calatrava, Frédéric Borel, Christian de Portzamparc ou feu Ricardo Bofill. Les architectes sont presque aussi rares dans le giron des horlogers que les non-grévistes à la SNCF.

Le Corbusier est le seul bâtisseur à trouver grâce aux yeux des manufactures.

La brique et le parpaing, la tuile et le mortier ne font pas trop rêver les manufactures. Pas assez glamour ? Pourtant, l'architecture a depuis quelques années la cote. Les plus connus : Renzo Piano, Rem Koolhaas, Jean Nouvel ou feue Zaha Hadid sont aussi célèbres que des pop stars. On parle à leur égard de “starchitectes”. Mais l'horlogerie semble imperméable à leur succès. Il y a bien eu par le passé quelques montres inspirées de grands noms de l'archi ou de bâtiments charismatiques/iconiques. On a vu ainsi Hublot rendre hommage au génial Oscar Niemeyer à qui l'on doit notamment la ville de Brasilia. Cet architecte brésilien, disparu en 2012 à 105 ans, est l'un des premiers à donner des formes souples et sensuelles au béton. En 2011, l'horloger de Nyons lui dédie l'Aero Bang Niemeyer. Cette série éditée à 104 exemplaires adopte des index et aiguilles colorés en jaune et vert, couleurs du Brésil. Son fond reçoit un décalque de la place des 3 Pouvoirs à Brasilia. Mido a également eu sa période archi. Au début des années 2000, la marque du Swatch Group se passionne en effet pour certains monuments iconiques comme le Colisée de Rome, le pont du port de Sidney ou encore l'ArtScience Museum de Singapour, étonnant bâtiment en forme de fleur de lotus. La manufacture édite des montres célébrant ces constructions. Las, elle a depuis un peu déserté ce domaine. L'horloger français Saint Honoré surfe sur l'architecture parisienne. Après une série tour Eiffel qui intégrait un élément provenant du célèbre édifice, les modèles actuels font référence au pont des Arts, à l'Odéon ou encore au baron Haussman (avec un seul “n”). Beaubleu est connu pour ses modèles poétiques, aux aiguilles rondes. Nicolas Pham, le fondateur, a choisi pour la Ecce Vesperal de se référer au courant “Brutaliste”. Ce style architectural, réputé froid et minimaliste, met en avant les matériaux bruts. Cette montre dont le bracelet se fond au boîtier semble sculptée dans un bloc d'acier, le matériau horloger de base.

Bulgari/Ando, épurée… forcément

La collection Octo Finissimo de Bulgari regroupe des pièces souvent sculpturales et avant-gardistes. En 2020, la manufacture est allée chercher le Nippon Tadao Ando. Le style minimaliste de cet adepte du béton brut fonctionne fort bien avec cette famille de montres. Il a imaginé deux versions de l'iconique Octo. La première en titane, éditée à 200 exemplaires, accueille une spirale sur son cadran. L'autre est un Tourbillon en carbone, limité à huit exemplaires, dont le cadran reçoit des cercles concentriques. Ces figures évoquent l'onde sur l'eau et aussi le temps qui s'enfuit. Réservés au pays du Soleil-Levant, ces modèles ont engendré une forme de frustration, ailleurs. Du coup, une seconde série limitée à 160 exemplaires, en céramique cette fois, est dévoilée en 2021. Le cadran laqué bleu nuit arbore un croissant de Lune, symbole poétique et délicat du temps qui passe. Ces quelques réalisations exceptées, les collab horlo/archi restent rares.

Le Corbu inspire les horlogers

Le Corbusier est le seul bâtisseur à trouver grâce aux yeux des manufactures. « Sans doute parce qu'il est connu dans le monde entier. Il a travaillé dans plus de onze pays », rappelle Adrian Bosshard, président de Rado. Il a, qui plus est, des racines helvètes. Il est né en 1887, à La Chaux-de-Fonds. C'est d'ailleurs là qu'il réalise ses premières maisons. Il crée en outre une montre de poche en 1906, alors qu'il est encore étudiant. Plusieurs horlogers sont des admirateurs du grand architecte. Mais ils n'ont pas la tâche aisée. Le grand homme est réputé pour l'usage du piloti, du toit terrasse, de la fenêtre bandeau ou encore de la façade libre, autant d'éléments pas faciles à restituer sur une montre. Rado a trouvé la parade en s'inspirant de sa palette chromatique. « Le Corbusier est connu pour ses études sur la couleur et les matériaux. Il fonctionne merveilleusement avec notre maison horlogère experte en céramiques colorées », expose Adrian Bosshard. L'architecte définit en effet une “polychromie architecturale” qui comporte 63 couleurs qu'il utilise pour ses “unités d'habitation” de Marseille, Lyon ou Nantes, notamment. « En 2019, nous avons lancé une première série Les Couleurs, basée sur la montre True Thinline à quartz, à boîtier extraplat en céramique. Elle compte 9 pièces, arborant chacune une teinte qui s'insère dans la palette Le Corbuséenne », expose le président. Chaque référence est fabriquée à 999 exemplaires. Cette année, rebelote, l'horloger de Longeau présente une deuxième collection Les Couleurs Le Corbusier. Cette fois, c'est la collection True Square Thinline à boîtier de forme qui sert de base. Elle comprend trois modèles, toujours à quartz et limités à 999 exemplaires. Elles s'inspirent aussi de la polychromie du célèbre architecte. Girard Perregaux rend aussi hommage à l'architecte. La manufacture du groupe Kering lance une trilogie de montres en 2012, puis un modèle unique en 2016.

Toutes sont basées sur le modèle Vintage 1945.

Sur le cadran de la dernière sortie, on découvre l'image du Modulor, unité de mesure idéale de Le Corbusier. Le cadran est en béton, matériau fétiche du bâtisseur. Cet élément n'a paraît-il pas été une sinécure à élaborer. Ebel voue une grande admiration à l'architecte. La marque, qui se présente comme l'horloger “Architecte du Temps”, a acquis la Villa Turque à La Chaux-de-Fonds, en 1986. « Elle est devenue notre centre de relations publiques, notre écrin, se félicite Flavio Pellegrini, président Europe Movado (groupe horloger auquel la marque appartient) . Cette villa est une inépuisable source d'inspiration. » L'édifice, œuvre de jeunesse de Le Corbusier, est édifié en 1916 pour Anatole Schwob, un horloger, déjà. Elle s'inspire de l'architecture byzantine et met en œuvre une conception très novatrice. Sa structure, qui repose sur 16 piliers de soutènement, élude les murs porteurs, ce qui autorise la présence de larges baies vitrées et d'un intérieur modulable. « Nos montres sont proches des fondements de Le C o r b u s i e r, rappelle le président Europe. Elles marient fond et forme, beauté et fonctionnalité avec une exigence d' élégance, d'innovation et d'intemporalité. » Le modèle iconique Sport Classic de 1977 adopte ainsi un bracelet en forme de vague, entièrement intégré au boîtier. Espérons que le cas Le Corbusier stimule les horlogers. Il existe tant d'architectes talentueux qui pourraient inspirer leurs garde-temps. Une montre est l'archétype de l'objet architecturé. Le rapprochement archi/horlo semble donc logique, sauf aux yeux… des manufactures.« Notre collection True Square Thinline Les Couleurs arbore des teintes issues de la palette Le Corbuséenne. »