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Semper & Adhuc : Obsolescences reprogrammées

Publié le Écrit par La Rédaction
Semper & Adhuc : Obsolescences reprogrammées
© Éric Corlay & DR
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Il y a de l'humour - le rire n'est jamais loin -, de la sagesse et une certaine forme de tendresse aussi dans la voix de Colin de Tonnac quand il raconte l'histoire de ces calibres orphelins, oubliés dans les tiroirs des horlogers au fil des aléas de l'histoire et de la cote d'amour de la montre mécanique. Combien de merveilles croupissent encore dans les oubliettes des arrière-boutiques, victimes des fontes de ces délicieuses petites montres de dames en métal précieux passées de mode ou pire encore, du remplacement du mouvement mécanique d'origine par une version “moderne” à quartz dans les années 70 ? Certains attendent là depuis 50 ans, voire bien davantage, que Colin vole à leur secours. « Pour eux, c'est comme une seconde chance » concède Colin de Tonnac en admettant une tendance à l'anthropomorphisme quand il s'agit de ses chers calibres, qu'il sauve depuis ses années d'études. « Je faisais le tour des antiquaires afin de trouver de vieux mécanismes orphelins, pour continuer à m'entraîner à l'établi le soir » se souvient-il. « Je ne vais pas vers le toujours plus, j'essaie pour le moment d'aller vers le toujours mieux. » Ses études d'horlogerie à Paris puis à Morteau terminées, un brevet des métiers d'art en poche, le jeune horloger intègre la prestigieuse manufacture Patek Philippe. Après deux années au service qualité - une expérience très formatrice - il travaille sur la mise au point des prototypes des nouveaux modèles de la maison. Un poste de rêve pour ce créatif qui aime passer de longues heures à l'établi.

« C'est un peu le graal du métier pour moi » dit-il et pourtant… À 28 ans, Colin quitte le job de ses rêves pour tenter sa chance et lancer son projet. « Je me disais qu'un jour ce serait chouette de faire mes propres montres. J' étais à la recherche d'un concept différenciant… je l'avais dans mes tiroirs, à la maison. » Une légère tendance à la collectionnite aidant, le jeune homme se retrouve à la tête d'un joli contingent de calibres miniatures, pas plus gros qu'un ongle, qui le fascinent. L'idée s'impose : Colin de Tonnac va les restaurer, pour leur rendre leur fonction première, donner l'heure, tout simplement. C'est ainsi que naît Semper & Adhuc, qui signifie en latin « depuis toujours et jusqu'ici ». Une sorte de philosophie “slow life”, adaptée à l'horlogerie : donner une nouvelle vie aux objets anciens, réparer plutôt que jeter, privilégier une production maîtrisée et le made in France, voilà qui résonne particulièrement juste. Colin travaille seul dans son atelier de Labouheyre, un petit village de 2 736 âmes situé dans les Landes, où il assemble 50 montres par an. C'est peu, mais cela lui laisse le temps de travailler comme il le souhaite et de tisser une relation avec ses clients, « à hauteur d'artisan » dit-il. Derrière une montre Semper & Adhuc, il y a un projet de vie, une manière de vivre le temps, le rapport à l'objet, le rapport à l'autre. « Je ne vais pas vers le toujours plus, j'essaie pour le moment d'aller vers le toujours mieux. » Tout est dit.

Il lui aura fallu deux années pour trouver ses partenaires, tous français. Les aiguilles viennent de Morteau, les verres sont taillés à Montségur-sur-Lauzon (Drôme), les boîtes comme les couronnes, les carrures et la base des cadrans sont usinés à un peu plus de deux heures de chez lui. « Ils ne travaillaient pas pour l'horlogerie, mais ils ont un parc machine qui correspond à mon besoin, précise l'horloger, qui explique qu'il a dû se former pour réaliser ses cadrans, faute de cadraniers en France. Je suis reparti de zéro, j'ai dû reprendre certaines opérations à mon compte. » « Le temps a laissé des cicatrices différentes sur chacun des mouvements et je peux passer 8 heures comme8 jours sur une montre » commente-t-il, placide. On est loin de la production en série et Colin de Tonnac ne semble pas vraiment courir après la fortune. « O n s 'e n sort quand on est sobre, dans sa vie comme dans son design horloger. » Rondes, coussin ou ovales, les montres Semper & Adhuc arborent des cadrans aussi minimalistes qu'originaux inspirés de l'horlogerie allemande et du Bauhaus. Modernes et rétro à la fois, elles appartiennent à un espace-temps suspendu. « J'aime l' élégance par la sobriété. Je ne veux pas m'inscrire dans une tendance en cours. De loin, on pense que c'est un garde-temps assez classique. De près, on remarque des détails plus modernes et vraiment différenciants. » L'Instantanée, l'Inopinée, l'Immédiate - des noms qui suggèrent des ruptures dans l'écoulement du temps - mettent en valeur leur petit cœur à travers une ouverture ménagée sur le fond de leur boîtier. Le prix ? 2 160 euros, prix unique. Colin admet avoir vu un peu juste, ce qui l'empêche de travailler avec des détaillants, mais il en prend son parti et le bouche-à-oreille fait son office. « J'ai choisi un métier et aujourd'hui je fabrique mes propres montres, je suis en contact avec chacun de mes clients, cela me va très bien. » Travailler à « hauteur d’artisan » et donner une nouvelle vie aux calibres « orphelins » : une autre vision de l’horlogerie.

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