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Mekong : roman fleuve

Modifié le Écrit par La Rédaction
Mekong : roman fleuve
© Rivages du Monde et Henri de Lestapis
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Les dernières pluies de la mousson mitraillent à grosses gouttes le pont soleil du bateau de croisière La Marguerite. Il y a encore une dizaine de minutes, une poignée de passagers se prélassaient sur les transats, en refusant l'idée que le nuage d'apocalypse qui se pointait à l'horizon allait interrompre leur cuisson au soleil.

L'élégant navire blanc aurait bien pu tenter de tirer des bords sur le Mékong, il n'aurait pas échappé au rideau torrentiel. « Ça va vite passer, indique nonchalamment un serveur du bar en polissant son comptoir, la mousson est terminée. Bientôt, il va faire très chaud. » Il en faudrait plus à La Marguerite pour faire machine arrière. Sous ce nom délicat, qui rend hommage à la romancière française Marguerite Duras, native du Viêtnam, se cache une solide embarcation toute d'acier et de bois vêtue, emportant à son bord un maximum de 92 passagers, pour un peu plus de 40 membres d'équipage. Depuis 2009, date de sa construction, cet hôtel flottant de 71 mètres de long est devenu un familier du Mékong. Tantôt le descendant, tantôt le remontant, il effectue une série de sauts de puces pour laisser à ses hôtes le loisir de débarquer et visiter les sites les plus pittoresques du rivage. Construit dans un style néo-rétro par un armateur vietnamien, à Hô Chi Minh-Ville, le navire aux allures de paquebot miniature tente de faire replonger les voyageurs dans une atmosphère un tantinet coloniale. Les 46 cabines, dont les tailles vont de 21 à 42 m2 pour les plus cossues, sont belles à faire jalouser un amiral de la Royal Navy. Tapissées de bois, on trouve dans chacune d'entre elles un téléphone factice, copie d'un modèle d'entre-deux-guerres. Il ne sert à rien d'autre qu'à donner une touche de nostalgie. Idem sur le bar du salon intérieur, où trône un gramophone qui, s'il n'était tout à fait fantoche, pourrait diffuser du Charles Trenet. Plus anachronique encore ! Au départ de l'escalier en fer à cheval qui mène à la salle à manger, une grande carte scolaire de l'Indochine à l'échelle 1/500 000, venue de la librairie Armand Colin, projette quelques dizaines d'années en arrière en faisant renaître des noms comme le Tonkin, la Cochinchine ou le Siam. Pour un peu, on serait tenté de se coiffer d'un salacot et d'enfiler un pantalon blanc... Heureusement, le Wi-Fi et la cabine du capitaine équipée d'instruments de navigation dernier cri rappellent que l'on est bien au XXIe siècle.

Un rapide coup d'œil à la salle des machines révèle également que La Marguerite se meut grâce à deux magnifiques moulins six cylindres de la marque Yanmar, qui sirotent tranquillement leur petite centaine de litres de diesel à l'heure, avec à la clé un gros carton rouge au bilan carbone de la croisière. Traversant le Viêtnam et le Cambodge, elle dure une dizaine de jours et s'étale sur 500 kilomètres, en débutant par la visite de l'ancienne capitale khmère, Angkor Vat, et en s'achevant à Hô Chi Minh-Ville (ex-Saigon). Le capitaine mettant ses nuits à profit pour naviguer, les jours de flânerie à bord sont plutôt rares. Mais ils sont apaisants, et offrent aux regards un horizon uniformément composé d'arbres ébouriffés dont émergent de temps à autres les tuiles orange du toit retroussé d'un temple, ou quelques maisons perchées sur leurs maigres pilotis. Parfois, La Marguerite se fait doubler par une barque au moteur pétaradant, pilotée par une fine silhouette coiffée d'un chapeau conique en latanier. Il lui arrive également de faire la course avec des longues péniches en bois, dont la proue rouge ou bleue est joliment décorée d'une paire d'yeux noirs entourant un dessin d'ancre ou d'as de pique. La petite histoire raconte que le motif remonte à l'époque où il fallait faire peur aux crocodiles.

Comme il n'y en a plus, ces yeux ont aujourd'hui vocation à chasser les mauvais esprits. Durant les nombreuses haltes, les passagers sont invités à débarquer pour se mêler à l'activité des rivages de ce fleuve vivrier, qui prend sa source dans les hauteurs de l'Himalaya et s'étend sur plus de 4 500 kilomètres. Les grandes villes, comme Phnom Pen, engloutissent vite le touriste dans leurs fourmillements incessants. Le scooter y est roi. Leurs conducteurs les chargent comme des bourricots, en ridiculisant sans complexe les recommandations PTAC des constructeurs. Les amateurs de temples et de pagodes trouvent leur compte en visitant le palais du roi, qui révèle combien le peuple cambodgien est attaché à son souverain élu. Le règne de Norodom Sihanouk leur a ainsi laissé une marque d'autant plus affectueuse qu'il contraste avec la tyrannie des Khmers rouges, dont la visite du camp S21 rappelle les froides atrocités. 17 000 personnes y ont avoué des fautes absurdes sous des moyens de torture rappelant combien l'être humain ne manque jamais de raffinement pour trucider son prochain.

Derrière les murs de cette ancienne école balafrée de barbelés sont alignées des photos de captifs aux regards finis, prises avant qu'ils soient exécutés au son de chants traditionnels, pour recouvrir leurs cris. Depuis ces heures sombres, les rives du fleuve se sont bien apaisées. Les vendeurs de beignets, de friandises ou d'offrandes en tous genres portent même une affectueuse attention aux pigeons, perçus comme des symboles de paix. L'atmosphère est encore toute autre dans les petites villes du rivage, comme celle de Sa Dec, au Viêtnam, où vécut Marguerite Duras. Elle se capte notamment au cœur du marché qui jouxte le petit port, installé face à un chapelet de maisons sur pilotis dont on ne donnerait pas cher face à une vague trop haute. L'après-midi, les pêcheurs dorment dans des hamacs pendant que leurs épouses écaillent et guillotinent leurs victimes du matin. Ou encore sur l'île de Tan Phong, un Eden verdoyant, sans temple ou pagode étincelants, mais que la nature se charge de magnifier en faisant pousser des fruits à chaque bout de branche. C'est d'ailleurs le fleuve tout entier qu'elle sublime. Avec 20 000 espèces de plantes, 1 200 espèces d'oiseaux, des ribambelles de lézards, de tortues, de serpents, des singes qui s'égarent dans les villes et des chauves-souris à la pelle, le bassin du Mékong figure parmi les régions les plus riches du monde en biodiversité. Il faudrait une loupe et une longue-vue pour le visiter plus en détails. La Marguerite en livre déjà un bel aperçu.

Agence Rivages du Monde. 13 jours. “De Saigon aux temples d'Angkor”. À partir de 4 290 euros, vol inclus et pension complète.

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