Volvo P1800 Cyan : la mutante

Les intégristes de l' automobile ancienne vont encore tousser, s' étrangler, suffoquer, pousser des cris d' orfraie, hurler au scandale, à l' indignité, au crime de lèse-majesté. .. On se calme... La Volvo P1800 n' est pas une Bugatti 35. Cette bande d' ingénieurs passionnés qui ont voulu faire d' un cheval de trait un pur-sang ne méritent pas d' être mis au pilori.

Cyan Racing a ressuscité une Volvo P1800 de 1966, transformant un coupé placide en une bête féroce...

La P1800 n' était pas un inoubliable chef-d' œuvre de style, pas plus un tour de force technologique. Elle avait eu pour principal mérite de briser la monotonie chez un constructeur enfermé dans des productions fonctionnelles. L'équipe de Cyan Racing a choisi de magnifier la Volvo P1800 en lui octroyant des composants et des aptitudes modernes. À la base du projet, qui se présente comme le prototype d' autres réalisations, il y a un modèle de 1964 qui a été démonté, désossé, débarrassé de tout ce qui l' ancrait dans la désuétude : exit son moteur culbuté et poussif, ses trains roulants archaïques, ses petites roues. .. Mais l' essentiel a été préservé, c' est-à-dire la ligne plaisante et la note de latinité que le styliste Pietro Frua avait insufflé à la silhouette. Ole Granlund, responsable du design chez Cyan Racing, a respecté cet héritage. Le style général a été conservé et la carrosserie n' a été retouchée qu' au niveau des passages de roues, joliment ourlés, pour accueillir des pneumatiques modernes, plus grands et plus larges, des Pirelli P Zero de 235/40 à l' avant et de 265/35 à l' arrière, montés sur des roues de 18 pouces. La P1800 y gagne en esthétique et en assise. Halte aux mauvais esprits qui seraient tentés d' assimiler ce travail à du vulgaire “tuning”. La P1800 est destinée aux connaisseurs et aux esthètes, pas aux rouleurs de mécaniques qui effraient les bourgeois dans les quartiers livrés au désœuvrement. Le tuning, c' est la culture de l' excès et du paraître, le goût du clinquant et du superflu, une dérive que fuit et contourne la P1800 de Cyan tout en subtilité. Le pare-chocs a été allégé, remplacé par de délicates barrettes chromées. Un gros bouchon a été encastré sur le coffre arrière pour le remplissage du réservoir de carburant. On peut discuter le choix des coloris, mais ils reprennent les tonalités du drapeau suédois, bleu et jaune.

Au-delà du style, les changements sont beaucoup plus conséquents et plus du tout cosmétiques. Le moteur n' est rien moins que celui qui anime la Volvo S60 TC1 qui avait remporté le championnat WTCC (World Touring Car Championship) en 2017. Il s' agit d' un quatre cylindres de deux litres, doté de deux arbres à cames en tête et turbocompressé pour fournir 420 chevaux à 7 000 tr/min et 455 Nm de couple, c' est quatre fois plus que le modèle original. .. Pour faire passer cette cavalerie, on a choisi une boîte Holinger à cinq rapports qui est censée restituer les sensations anciennes. Un différentiel autobloquant garantit lui aussi un comportement dynamique qui fleure bon les années 1960. Les trains roulants se mettent au diapason des performances. L' essieu arrière rigide de l' antique P1800 est remplacé par des roues indépendantes. Les suspensions dérivent directement de celles des berlines de course que prépare Cyan, elles sont réglables et composées de pièces ultra légères en aluminium. Le freinage est assuré par des disques de dimensions généreuses, pincés par des mâchoires à quatre pistons, mais il n' y a pas de dispositif anti-blocage, histoire de préserver une perception d' un autre temps. La structure a été renforcée par des éléments en carbone. Cyan Racing est passé maître dans l' art de la préparation. Dans le championnat des voitures de tourisme de 2019 et 2020, l' entreprise est chargée de mettre au point les berlines “03” de Lynk & Co.

Cyan Racing s'est penché sur le patrimoine de Volvo mais son activité principale est de préparer les berlines du WTCR

Cette nouvelle marque appartient à la tentaculaire galaxie du Zhejiang Geely Holding Group. Elle a été officiellement lancée à Berlin en octobre 2016, son concept consistant à proposer à l' achat ses véhicules en ligne qui seront ensuite partagés avec d' autres clients. L' origine de Cyan remonte à 2005 lorsque Christian Dahl racheta la société Flash Engineering qui avait été créée par Jan Nilsson et qui faisait courir des Volvo. Christian Dahl changea le nom de la société en “Polestar Racing” puis, en 2009, il créa la branche Polestar Performance. C'est en 2015 que Polestar Racing est devenue Cyan Racing tandis que Polestar Performance était revendue à Volvo. Polestar est bientôt devenu un nouveau label en marge de Volvo, dédié aux voitures électrifiées. Le prototype de la Polestar 01 a été présenté en octobre 2017. De son côté, Cyan Racing a continué son œuvre sur le front de la compétition.

En 2016, l' écurie s' est engagée dans le WTCC. Deux ans plus tard, une nouvelle réglementation a donné un coup de jeune au championnat dorénavant remplacé par une coupe qui depuis s' intitule WRTC-FIA World Touring Car Cup, devenu depuis WTCR avec des modèles plus proches de la voiture de Monsieur tout-le-monde. Cyan Racing a développé la Lynk 03 dans ce cadre. Alors, que penser d' une telle transformation qui est faite sans l' implication de Volvo qui a seulement autorisé l' exploitation de son nom et de son modèle ? La question de la modernisation d' une création ancienne ne cesse de se poser dans tous les domaines. De la flèche de Notre-Dame de Paris au Dôme du Reichstag à Berlin, les conservateurs n' acceptent pas que les reconstructions contemporaines épousent le style de notre temps. Ils préfèrent la copie à l' actualisation, le faux-semblant à l' engagement. La Volvo P1800 Cyan n'est pas pour eux mais pour les amateurs éclairés qui devront s' adresser directement à Cyan Racing pour se faire concocter cette réjouissante provocation.