Nikita et Iliya Bridan – Dropped_Alfa : quand t’es dans le desert

Coup de génie ou sacrilège ? Les Alfistes les plus puristes opteront probablement pour la seconde option mais pour tant d'autres, la version trash en mode safari de la GTV des frères Bridan est simplement devenue une icône. .. Au point que Nikita nous l'assure, sa photo est épinglée au mur comme inspiration dans les “mood boards” d'au moins trois ou quatre studios de design, et pas des moindres ! D'ailleurs, il évoque dans un sourire l'Alpine A110 SportX présentée au début de l'année au Festival International Automobile à Paris, entre autres modèles reprenant ce type de silhouette perchée sur la base d'un coupé sportif. Un style qui vient de loin, des versions de voitures de rallye préparées pour les épreuves africaines comme le Safari Rally, mais aussi le Dakar et ses Porsche 911. « As-tu déjà conduit une 911 Safari ? Tu peux faire tout ce que tu veux avec, tu vois un obstacle, tu peux rouler dessus ! » , explique Nikita. Il faut resituer un peu le contexte : nos deux frères vivent près du désert californien où tout est possible. Les préparations les plus improbables ont le droit de rouler, aller faire un tour dans les dunes ou pour du “canyon driving” est un loisir commun et faire des “doughnuts” dans le sable, tout à fait toléré. Pas de limites de vitesse, pas de lignes blanches, de règles, la liberté totale ! Pour ce faire, aux côtés des 4x4 préparés se trouvent toute une flopée de safari cars de plus ou moins bon goût, souvent proches de “monster trucks” sur base de vieilles “muscle cars”. D'ailleurs, Nikita Bridan raconte avoir toujours trouvé ces engins plutôt basiques, typiques des “rednecks”, des “hillbillies”... Une forme de contre-culture mise en exergue par les réseaux sociaux où les nouvelles préparations s'exposent, et transformée en déficool par des événements comme le Gambler 500 (course de ce type de véhicules : n'importe lesquels tant que le budget est à 500 $) en Oregon ainsi que l'influence de Hoonigan (le garage de Ken Block) qui s'amuse à construire de tels engins, participant à la croissance de cette tendance en mode second degré. Bref, ici, le fun est roi. Mais comment deux frangins designers surdoués, à la carrière brillante, en sont venus à construire une auto de ce style ? Une histoire faite de hasards et aussi d'un joli “storytelling”. Cette Alfa Romeo 2000 GT Veloce (ou GTV) de 1974 était un de leurs “daily drivers” pendant cinq ans. Ils l'avaient faite à leur goût mais elle avait à cette époque encore sa silhouette d'origine.

Parfois capricieuse, elle avait besoin d'une bonne révision et, en chemin sur le plateau du camion de l'automobile-club, mal fixée, elle est. .. tombée sur la route. Voilà pour le “dropped”.

Puis elle est restée parquée car l'assurance ne voulait pas payer. Après plus d'un an de négociation, ils ont pu enfin en disposer. La suite, c'est Nikita qui la raconte : « Un ami designer automobile venait de divorcer et il vivait chez moi. Je l'aidais à faire une 911 Safari, sa voiture était dans mon salon.

J'aimais bien l'idée car Porsche a là une légitimité avec le Dakar. Mon frère voulait faire de l'Alfa une voiture de course avec un moteur rotatif (le moteur était cassé). On pouvait en faire ce qu'on voulait. De mon côté, je voulais en faire une version Safari pour aller rouler avec mon pote et sa 911. On a pensé à lui mettre une suspension à hauteur variable pour faire du circuit et de la piste, couper la poire en deux. .. Puis j'ai convaincu mon frère. On a tout dessiné sur ordinateur avant de commencer quoi que ce soit. Puis on l'a faite ! Et pour finir, on a réparé le moteur d'origine, mais il lui faut toujours monter dans les tours, ce qui n'est pas vraiment idéal en tout-terrain, donc on doit aller vite dans les obstacles, ce qui fait qu'on casse des choses. Mais à chaque élément cassé, on se dit qu'on doit aller plus vite ! C'est une auto vraiment particulière pour nous, nous ne la vendrons jamais... »

Quelques caractéristiques : la Dropped_Alfa pèse autour d'une tonne, elle peut rouler à 130 km/h, mais attention, ses pneus ballons aux tétines XXL sont fait de gommes très tendres conçues pour les “side by sides”, des buggies faits pour rouler sur les dunes. Du genre à glisser plutôt qu'à tourner, un bateau à conduire, comme les vieilles Cadillac, d'après son fier propriétaire. « On a pensé au début que les gens ne l'aimeraient pas. Mais en fait, elle attire presque trop l'attention maintenant. » La couleur jaune et gris est un hommage à une Ferrari 250 GTO que les frangins ont vue dans la rue. Et les amortisseurs, capables en théorie d'assurer des sauts, sauf le jour où, en visite chez Hoonigans, dans une vidéo devenue virale, une réception de saut un peu hard core a ouvert le carter moteur. Depuis cet incident, ils ont intégré un protège-carter marqué « always use protection », changé la géométrie des suspensions, multiplié les renforts et adopté de solides amortisseurs ajustables signés Fox Racing.

Mais revenons sur les débuts pas banals de ces deux jumeaux aussi doués l'un que l'autre en design pour mieux comprendre ce qui a pu les mener à créer leur propre label Oil Stain Lab, capable de mener à bien n'importe quel type de projet automobile, pour lequel ils peaufinent leur manifeste nommé Half11, un étrange mix de 911 et monoplace ouverte de circuit à l'histoire ténébreuse. Des autos et dinosaures que, petits, ils dessinaient, ils décident de s'orienter vers celui des deux qui est encore produit aujourd'hui. .. C'est un catalogue de toutes les autos du marché acheté par leur père qui a éveillé la passion automobile des deux garçons, dont la petite ville canadienne de leur enfance ne présentait aucune culture auto en dehors des pick-up. Ils prennent de l'avance sur leur scolarité et sortent du bac à... quatorze ans et décident de postuler dans des écoles de design. Ils décrochent l'Instituto Europeo di Design à Turin et voilà la petite famille en vadrouille dans le Piémont ! Des parents capables d'accompagner ce genre de parcours, voilà qui est rare. De quoi forger une sacré culture du design automobile : « Avec le recul, je me rends compte comme les Italiens sont passionnés et émotionnels dans leur vision du design, guidée par la vue de profil. Nous avons rencontré à Turin Giugiaro, Frank Stephenson (Mini, Ferrari, McLaren. ..) et c'est lui qui nous a suggéré de rejoindre le Art Center College of Design de Pa sadena, une culture de design complètement différente », explique Nikita. À l'issue de ces études, il est entré en stage chez VW, son frère chez Honda. « A ce moment là, on ne regardait jamais les voitures anciennes, on ne voyait que le futur. On voulait travailler ensemble. Toyota nous a embauchés tous les deux dans leur studio de design avancé.

La photo de la Dropped_Alfa est épinglée au mur dans les mood boards d'au moins trois ou quatre studios de design...

Puis nous sommes passés chez Honda. Notre 25ème anniversaire a marqué le début de notre relation aux voitures anciennes, avec l'achat d'une Porsche 911 de course de 1972. Nous ne savions même pas conduire avec une boîte manuelle ! La voiture était tellement bruyante dans les rues de Los Angeles. .. » Puis leurs parcours se sont dédoublés, avec des passages dans des marques comme Hyundai, General Motors ou le Chinois GAC, actuel employeur de Iliya. Les Bridan ne sont donc venus aux anciennes que sur le tard, après avoir compris les limites créatives qu'imposent les grands constructeurs. D'où l'initiative de fonder leur studio Oil Stain Lab, leur rêve depuis longtemps : être leur propre boss, faire les projets dont ils ont envie. Un projet né d'une frustration car dans les studios des constructeurs, les designers, aussi talentueux et visionnaires soient-ils, voient trop de magnifiques projets finalement jetés aux orties par crainte que les clients n'en veuillent pas. Oil Stain Lab est là pour prendre des risques, réaliser les projets un par un : une voiture, un client. Une démarche qui rappelle les carrossiers italiens tout comme la culture californienne du hot rod. Du “coach building” en somme, comme à leur époque les Packard ou Duesenberg. « Nous aimons l'âme et le caractère des anciennes, en les modifiant, les fiabilisant, les modernisant, on peut faire beaucoup, d'autant qu'on n'a pas les limites de la législation pour les voitures de grande série, » résume Nikita.

Une envie bien particulière ? Il faudra compter environ quatorze mois pour réaliser un projet complet. Un laps de temps probablement aussi fun que la conduite promise après.