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Gulf Connection : une nuit au musée

Modifié le Écrit par La Rédaction
Gulf Connection : une nuit au musée
© Frederik Dulay
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Inconsciemment, nous savons des choses. Y compris dans des domaines qui ne nous sont pas forcément familiers. L’impact visuel et la mémoire qui en découlent reposent là, quelque part, dans les complexes canaux de notre unité centrale. « Ah oui, ça me dit un truc… C’est des voitures de course non ? » C’est tout l’art du sponsoring. Imprimer une identité, placer des repères que nos yeux humains sont capables de stocker. Faites le test. Parlez de Gulf Oil à vos amis novices en sport automobile, et vous n’aurez probablement aucune réponse pertinente.

Montrez-leur ensuite une “track car” dans une livrée bleu layette et orange et vous éveillerez, la plupart du temps, un lointain souvenir, venu d'on ne sait où. On s'égare… Mais le propos repose précisément là-dessus. A l'image de Marlboro, Castrol ou Martini, Gulf Oil s'est imposé aux yeux de tous. Le tout, sans être une marque de grande consommation éveillant les sens. Une puissance de frappe permise par le plus grand, le plus célèbre et le plus fructueux mariage commercial que l'industrie automobile ait connu. Une union désormais célébrée par l'exceptionnelle ROFGO Gulf Heritage Collection. Un superbe bouquet assemblé par Roald Goethe, un homme d'affaire allemand, passionné d'automobile évidemment et qui détient aujourd'hui la plus grande collection de voitures de course ayant couru sous les couleurs Gulf. Une quarantaine de pièces, parmi les plus prestigieuses qui existent sur terre, que l'on a pu voir récemment lors du salon Retro Classics à Stuttgart.

Ce fut la première fois qu'autant de représentantes de cette collection étaient rassemblées en dehors de leur tanière, située en Angleterre. L'occasion était trop belle pour ne pas en profiter. Nous leur avons tiré le portrait, et nous avons pu discuter avec Roald. L'histoire débute il n'y a pas si longtemps. A la fin des années 2000, Roald se met en tête de prendre le volant de voitures de courses historiques. Il se rapproche de Adrian Hamilton, fils de Duncan, fondateur d'une entreprise spécialisée dans la vente de voitures de compétition pour les écuries (une autre branche est également en charge de trouver la perle rare pour les amateurs de “daily“ pour la route). A l'époque, l'objet de la transition est une Ferrari Dino GP.

Via le sport auto, Gulf s'est imposé aux yeux de tous, sans être une marque de grande consommation pour les individus

Mais l'idée de démarrer une collection n'est pas encore complètement mûre dans la tête du businessman allemand, et encore moins la direction à prendre. Les discussions avançant avec son nouvel ami Adrian, le projet fait son bout de chemin, nourri par les souvenirs d'un Roald enfant et déjà fan de ces voitures bicolores.

Petit retour en arrière. Si les équipes marketing de Gulf Oil se sont lancées dans le sport automobile dans les années 30, il faudra attendre la fin des années 60 pour voir ce sponsorship connaître le succès. En 1966, Grady David, alors vice-président de la compagnie spécialisée dans l'huile, acquiert une Ford GT40 et s'allie à John Wyer, ingénieur et chef d'écurie britannique. S'en suivirent plusieurs années de réussite en compétition, entérinant définitivement la renommée mondiale des écuries Gulf.

Partout dans le monde, les Ford GT40, les Porsche 917, les Mirage, pilotées par les talentueux Pedro Rodriguez, Jo Siffert, Jacky Ickx, Derek Bell, raflent tout sur leur passage, tout en explosant les records. La mémoire remplie de ces bolides bleu et orange, Roald affine son idée sous les conseils d'Adrian. Une collection doit avoir un sens, un but, une histoire à raconter. Et selon Roald, on n'imagine jamais une voiture, un rêve, sans une couleur, une livrée, qui peuvent avoir un impact important sur la stature de l'auto. Et la Ford GT40 Gulf miniature de son enfance est probablement à l'origine de cette vision. Banco, la collection se bâtira sur le patrimoine bicolore de cette célèbre écurie ayant contribué à l'âge d'or du sport auto. En parallèle, Roald continue sa carrière de pilote à la fin des années 2000. Il prend désormais place dans le baquet de voitures modernes, comme les Lamborghini Gallardo GT3 (1 000 km de Spa) puis les Aston Martin GT2 et GTE à bord desquelles il participa aux 24 Heures du Mans en 2011, 2013 et 2015, sous les couleurs Gulf, évidemment. Petite anecdote, ses bolides ont pu s'afficher dans cette livrée grâce à un pacte signé avec le patron de Gulf : « Tu me laisses utiliser tes voitures pour des photos et de la promotion, et je te laisse courir sous nos couleurs. » Deal.

La Ford GT40 miniature aux couleurs Gulf de son enfance est probablement aux origines du projet

Les recherches pour construire la collection se poursuivent. Et pour Roald Goethe, Adrian Hamilton est le chasseur de tête qu'il faut avoir pour un tel projet. « Dans la plupart des cas, les voitures ne sont pas juste publiées sur un site d'annonces, ou mises aux enchères. Il faut s'appuyer sur une immense connaissance du marché, de ce qui existe encore et activer son réseau pour déceler la bonne information. » Et le tout, discrètement. Il poursuit : « Si on ébruite notre idée de vouloir construire une telle collection, notre désir pour obtenir telle ou telle voiture devient évident pour les propriétaires. Résultat, les prix s'envolent. » Et l'on parle ici de modèles pouvant s'échanger contre des sommes à huit chiffres… Nous ne parlerons pas de valeurs ici, mais cela permet de mettre en évidence l'éminent travail de recherche réalisé par Roald et Adrian. « Il ne s'agit pas simplement de mettre la main sur une 917, ou une Mirage GR8. Il faut rechercher un exemplaire précis, en s'appuyant sur un numéro de châssis et un historique. C'est ce qui fait toute la valeur de la voiture, et sa pertinence au sein de cette collection. » Roald fait un parallèle avec l'art, en estimant que ces acheteurs d'œuvres recherchent la pièce unique, celle que l'on veut pour une raison bien précise. La plupart des voitures n'existent plus, et les rares modèles restants sont souvent dans des musées qui n'ont qu'un intérêt très limité à revendre ces véhicules. L'autre force de cette ROFGO Gulf Heritage Collection, c'est de rassembler des voitures de toutes époques, toutes catégories confondues. Qu'il s'agisse de prototypes dédiés à l'endurance, de Formule 1 ou même de Can-AM. Parmi les modèles plus exceptionnels, on remarque évidemment la spectaculaire Porsche 917K châssis 26, ayant notamment couru les 12 Heures de Sebring en 1971 (5ème ) et finissant deuxième des 24 Heures du Mans la même année. De son côté, la Mirage GR8 a elle aussi connu son plus grand succès sous les couleurs Gulf, en remportant la mythique course sarthoise en 1975.

On note aussi la présence de plusieurs McLaren, une marque très présente dans la collection, sous différentes formes et époques. Des Formule 1 aux Can-Am en passant par les Indy Car et jusqu'aux récentes MP4-12C des catégories GT. Si certaines ont gardé leur robe orange chère à l'officine britannique, c'est parce que Bruce McLaren himself le désirait. Et pour cause, à l'époque des courses diffusées en noir et blanc, c'était les plus voyantes… Malin. Si l'on devait s'arrêter sur l'un des modèles de la marque, ce serait probablement la superbe F1 GTR Long-Tail. Son palmarès n'est pas le plus prestigieux (à l'époque, Mercedes et sa redoutable CLK GTR battait la mesure), mais elle reste, au goût de Roald et pour probablement beaucoup d'autres, l'une des plus belles voitures de course de l'histoire. Petite anecdote, la pièce la plus surprenante reste un énorme engin incapable de dépasser les 80 km/h… Il s'agit d'un bus Mercedes O 317, le Gulf-JW Transporter. Commandé par l'équipe Porsche en 1971, il transporta notamment la 917 au Mans la même année… Le plus impressionnant, dans cette collection inestimable, réside dans l'entretien et l'utilisation de ces voitures. Oui, chaque modèle, même ancien est prêt à être “roulé”. En dehors des salons, on peut notamment apercevoir quelques pièces prendre la route lors d'événements comme le Festival of Speed de Goodwood, le Monaco Historic ou bien évidemment Le Mans Classic. Roald lui-même a d'ailleurs pris le volant de certaines d'entre elles. Et lorsqu'on lui demande ce qu'il préfère, sa réponse est digne d'un parent incapable de choisir son “chouchou”. Il nous avoue quand même : « Je dois dire que la Porsche 908/3 ayant remporté la Targa Florio m'a tout simplement époustouflé. Cette voiture est si puissante et si légère… C'est vraiment comme conduire un kart sous stéroïdes ! » . Il a également une pensée émue pour cette 917 (encore elle), qui selon lui transpire l'élégance et la puissance d'une très forte manière. Il apprécie également que certaines des McLaren soit utilisables, via quelques modifications, sur la route.

En un peu plus de dix ans, il a réussi à rassembler les modèles les plus marquants de cette industrie. Une vraie performance

Pratique pour se rendre sur les circuits sans un imposant transporteur… C'est donc l'histoire d'un gamin un peu rêveur, et qui a eu la chance de finalement la vivre. Roald Goethe possède aujourd'hui tout un pan de l'histoire de la compétition automobile. En un peu plus de dix ans, il a réussi à rassembler les modèles les plus marquants de cette industrie, sous les couleurs de son plus grand amour. Gulf continue d'exister, et si sa présence n'est plus de mise dans certaines compétitions, la marque existe encore. Devenue lifestyle, le fameux logo bleu et orange et toutes ses égéries, ont marqué à jamais l'histoire. Une histoire que Roald compte bien faire vivre encore longtemps, d'autant plus que la relève est assurée. Ses fils, Olivier et Benjamin ont eux aussi la compétition dans les veines. Alors que le premier fait ses premiers pas dans le championnat espagnol de Formule 4, le second a fait ses débuts l'an passé en Blancpain Endurance Series. On vous laisse deviner sous quelle bannière. Quant à l'avenir de cette collection, il dépendra de ce que le futur aura à offrir. Mais pour Roald, toutes celles qui méritaient de faire partie du clan l'ont déjà rejoint.

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