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Ian Callum : Design sauce menthe

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Ian Callum : Design sauce menthe
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Lorsqu'on a dessiné des modèles de légende qui marqueront l'histoire comme les Aston Martin Vanquish, Vantage et DB9, les Jaguar Type F, F-Pace, XJ et I-Pace, on pourrait s'autoriser d'avoir une sacrée forme d'égo démesuré. Mais pourtant, en rencontrant Ian Callum au matin de l'ouverture de l'exposition de concept cars du Festival Automobile International, on trouve un homme simple, direct, sympathique et sans chichis. Mieux, c'est lui qui commence à dépeindre un de ses héros !

« Je n'ai jamais regretté le passé, je regarde vers le futur. Un bon designer veut toujours mieux réaliser encore le prochain projet que le précédent. »

« Giorgietto Giugiaro a toujours été mon héros. Je l'ai rencontré une fois en 1976, j'étais étudiant. Et je me suis retrouvé dans le même ascenseur que lui la nuit dernière à l'hôtel. Il m'a félicité pour mon œuvre, un réel honneur. » Un compliment rare pour lui qui n'est pas très sentimental. « Je n'ai jamais regretté le passé, je regarde vers le futur. Il y a eu des hauts et des bas et je ne réfléchis pas trop au passé. Quand vous avez fini un design, ce n'est jamais assez bien, en fait. Un bon designer veut toujours mieux réaliser encore le prochain projet que le précédent. C'est une chose très personnelle que vous vous devez de faire, cela n'a rien à voir avec les autres ou l'égo (même si c'est quand même parfois un peu le cas), c'est surtout le fait de se faire plaisir, la satisfaction de toute personne qui a une activité créative. Si vous ne la faites pas, vous arrêtez. »

L'Ecossais a suivi un double cursus, avec du design industriel à la Glasgow School of Art puis une spécialisation en design automobile au fameux Royal College of Art. Un talent familial d'ailleurs, puisque son frère cadet, Moray, est en charge du design de Ford… Ian a d'ailleurs commencé sa carrière par douze années passées chez Ford, où il a pu signer la création de l'Escort RS Cosworth et le Ghia Via Concept. Puis il est devenu designer en chef de TWR Design, où il a été responsable des Aston Martin DB7 et Vanquish - rien que ça. Il a rejoint Jaguar en 1999, tout en continuant à manager le design d'Aston Martin, travaillant sur la DB9, tout en dirigeant le design de Jaguar. Avec son équipe, ils ont travaillé, entre autres projets, sur les R-Coupe, RD-6, C-X75 et C-X17.

Et d'expliquer son rapport à la création de bolides. « Vous ne savez jamais, en dessinant une auto, comment elle sera sur la route. Une voiture peut vous prendre par surprise. C'est là seulement que vous pouvez vous rendre compte de la réussite de son dessin. Quand vous travaillez sur une auto, c'est un sujet. Mais si vous la voyez dans la rue et qu'elle vous prend par surprise, vous devenez le sujet. Si vous êtes déçu, alors ça ne va pas du tout. Mais ça ne m'est pas arrivé, jusqu'ici, tout va bien ! » La preuve, le matin même de notre interview : « Je regarde une voiture de loin, de 200 mètres pour la juger. C'est quand vous voyez une voiture sur la route que vous vous rendez compte de ce qu'elle est vraiment. J'ai vu sur le chemin pour venir ici une Aston Martin Vanquish sur laquelle j'ai travaillé. Je me suis retourné et ne l'ai pas identifiée immédiatement, mais j'ai plutôt apprécié le joli moment de voir une belle auto passer. Puis le cerveau se dit : “Ah c'est une Vanquish !” C'est un moment merveilleux de voir ce que vous avez réalisé. C'était il y a vingt ans, pas sûr que je sois devenu meilleur depuis. » (rires).

Et les grandes décisions à prendre ne sont pas du genre aisé. « J'ai fait la XF qui remplaçait la S-Type et qui était allée dans une direction très rétro. Une belle auto, mais je ne me suis jamais senti très à l'aise avec elle, moi qui, je pense, comprends la philosophie de Jaguar. William Lyons ( fondateur et designer de Jaguar, NDLR) était un visionnaire. Ses voitures étaient très British avec certains détails qui pouvaient apparaître un peu conservateurs, mais, au final, elles avaient une forte personnalité, à l'image de la première XJ, très basse, loin des Allemandes de Mercedes et de BMW. »

« C'est quand vous voyez une voiture sur la route que vous vous rendez compte de ce qu'elle est vraiment. »

Et de reprendre ses explications sur la genèse de la XF : « La simplicité agace beaucoup de gens car ils ne la comprennent pas. La philosophie de William Lyons était dans la pureté des formes, les proportions, l'enthousiasme dégagé et, très important, la sportivité. La Mark II ressemblait à une voiture de sport à quatre portes, la XJ était extrêmement basse, il fallait continuer sur cette lignée. Et, bien sûr, les modèles de sport avaient un look extrêmement sportif, comme la Type E, la XJS (même si c'était une GT), si simple et belle. J'ai dû faire 32 maquettes pour convaincre le board qu'il fallait faire cette voiture. Ils ont finalement bien compris que le dessin devait changer. »

C'est alors que nous nous sommes sentis obligés de lui demander sa définition de l'aspect britannique d'un design… « Je dirais que c'est une forme d'enthousiasme contenu, combinée avec une certaine force. La beauté réside dans l'exécution, les matériaux, des autos très organiques. Pensez aux Rover, très élégantes avec de belles lignes simples ou aux DB4 et DB5, qui sont dessinées par des Italiens mais qui y ont capturé tout l'esprit british, élégant et simple. Le monde des “car designers” est si international qu'il est difficile de cerner les choses. Je trouve que les constructeurs français font des autos très intéressantes, il y a quelque chose de très particulier avec les voitures françaises. Comme ce que fait Citroën, avec beaucoup de détails et de style, comme les protections latérales sur le Cactus, ou ce que fait DS. Les Français font des choses sexy, il faut l'avouer ! De ce point de vue, les voitures allemandes d'aujourd'hui ne font pas très allemandes, elles sont moins massives, rassurantes, sur-stylisées, dans l'ornement, ce qui n'est pas très germain pour moi. Je suis sûr que le marché chinois a son influence dans ce domaine, au risque de paraître un peu cynique. Par exemple, le retour du chrome est dû au goût des consommateurs chinois.

Le seul à vraiment rester dans un univers purement allemand est probablement Porsche. Il y a, toujours, cette pureté magnifiquement exécutée. » Après vingt ans aux rênes du design de Jaguar, Ian Callum crée son bureau de design, Callum, tout simplement. Il explique : « Le fait de prendre ma retraite de Jaguar était une chose intéressante d'un point de vue psychologique. J'étais entré dans un process dans lequel mon job était de prendre la direction de 400 personnes. C'est une grosse responsabilité, mais deux jours par semaine, je m'appliquais à travailler avec les voitures, les maquettes, je dessinais (tous les jours). Ce n'est pas tellement la pression de devoir représenter visuellement la marque qui a été dure pour moi, car pour ça, je savais où j'allais, mais c'est plutôt le côté corporate d'une grande entreprise, les budgets, les cycles de vie des produits…. Puis je me suis réveillé un matin et me suis rendu compte que tout ce que j'avais à faire était d'être créatif. J'étais heureux ! J'avais décidé de partir à l'âge de 65 ans. J'avais fait ce job pendant vingt ans, accompli mon devoir, y compris ce projet (il montre la Jaguar i-Pace qui est derrière nous dans le hall de l'exposition des concept-cars, derrière les Invalides ndlr). C'était une voiture fantastique à dessiner. Elle devait représenter quelque chose de nouveau. Je suis surpris que certains constructeurs pensent qu'une auto électrique doit ressembler à une auto normale, mais c'est leur choix. » Et maintenant, quels sont ses rêves ?

« Deux jours par semaine, je m'appliquais à travailler avec les voitures, les maquettes, je dessinais (tous les jours) »

« Je rêverais de faire ma propre voiture, mais de le faire bien, pas dans la demi-mesure, comme une kit-car. Elle serait forcément sportive, puisque les sportives sont un concentré d'expression. En fait, les voitures de sport ont trois buts : emmener deux personnes et juste assez de bagages pour le week-end, être passionnantes à conduire et être belles. » Le sourire qui éclaire son visage nous laisse à penser que l'homme a plus d'un tour dans son sac, en effet. On a hâte de voir le résultat.

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