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Voyage en Egypte en 2CV : les chevrons du pharaon

Modifié le Écrit par La Rédaction
Voyage en Egypte en 2CV : les chevrons du pharaon
© Bruno des Gayets
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C'est un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Celui d'un monde qui tournait rond sans Wifi, smartphone ni GPS, où transiter d'un pays à l'autre, même en Europe, nécessitait d'acheter un billet chez un voyagiste. Malgré la démocratisation des cartes bancaires, il fallait faire du change, - en y perdant à l'aller et au retour -, obligeant à s'intéresser à des monnaies parfois exotiques où le Franc tenait son rang et montrer son passeport à des douaniers tatillons, notamment en franchissant le rideau de fer… Voyager était un art, codifié dans le Guide du Routard, incontournable bible des voyageurs à la cool, autant que le passage au Vieux Campeur, l'enseigne parisienne iconique des aventuriers du bout du monde ou du coin de la rue. Ce pouvait être une galère aussi, avec des moyens limités, mais dans tous les cas, sortir de son quotidien ordinaire, prendre la route dans le sillage de Jack Kerouac, était une expérience enrichissante qui selon l'adage, « formait la jeunesse » à une époque où les chaînes de magasins mondialisées et les fast-foods ne s'étaient pas encore substitués aux enseignes locales.

Achetée 800 balles, la vaillante 2 CV de 1960 affronte le brûlant désert égyptien avec enthousiasme

Nous sommes à la fin des 70's, les années yéyés des 60's ont laissé place au disco et à son marketing coloré et clinquant. Le 11 mars 1978, les obsèques de Claude François, l'idole des jeunes, ont lieu le jour de la sortie de son 45 tours, Alexandrie, Alexandra, inspirant peut-être la joyeuse bande d'amis, quatre garçons (Bruno, Pierre-Yves, Patrick, Denis) et trois filles (Marion, Claude, Dominique), ayant décidé de mettre cap sur l'Egypte dans les pas des pharaons, non pas tout en camion, mais avec deux autos et deux motos, à la bonne franquette, trois francs et six sous en poche, en carburant à l'envie, à la curiosité, à l'appel d'un monde qui leur tend les bras, le tout dans la joie, la bonne humeur sans oublier une certaine forme d'insouciance qui correspondait à l'état d'esprit de l'époque. Pierre-Yves Deschamps, étudiant en médecine, est à la manœuvre pour organiser au mieux l'expédition. Première étape, au départ de Lyon, rejoindre Marseille pour embarquer les véhicules sur un cargo libanais, le “Beyrouth”, et vogue la galère pour deux jours de mer en direction d'Alexandrie. Le débarquement, un tantinet acrobatique des motos et des autos s'effectue au moyen d'une grue, genre Tintin au Congo. Long passage obligé en douane, avec rétention des plaques françaises qui ne seront restituées qu'au retour.

Bruno des Gayets n'en perd pas une miette, l'œil rivé derrière son Nikon F2. Il soigne ses cadrages, joue avec la lumière… un goût pour la photo qui ne le quittera plus, l'écartant d'une carrière dans l'informatique au profit de celle d'un photographe de référence. A peine sorti de son service militaire chez les paras, Bruno s'est offert une Citroën 2 CV (pour 2 chevaux fiscaux), un modèle AZLP de 1960, animé d'un riquiqui moteur bicylindre refroidi par air de 425 cc, développant 9 chevaux, avec l'essuie-glace fixé sur le même câble que le compteur qui affichait une vitesse théorique de 90 km/h. Mais avec beaucoup de vent dans le dos… Mécaniquement, Bruno la connaît sur le bout des doigts, ayant déjà changé le moteur et la boîte, la rançon de son prix d'achat : 800 balles.

Voyager était un art, codifié dans le Guide du Routard, incontournable bible des voyageurs à la cool

Prévoyant et sachant que l'Egypte a plus d'affinités avec les Peugeot qu'avec les Citroën, Bruno a scié la banquette arrière pour y loger une lourde caisse à outils et deux roues de secours. Sa Citroën n'a rien d'un foudre de guerre, mais de par sa conception, la Deudeuche, même si elle n'a pas l'efficacité du modèle Sahara 4x4 produit à 693 exemplaires, passe partout grâce à sa légèreté, 505 kg, et plutôt confortablement grâce à ses suspensions souples (il se disait, avec exagération, qu'il était impossible de faire un tonneau) fidèle à l'idée de ses concepteurs qui, en 1938, avaient notifié qu'elle devait être capable de traverser un champ labouré avec un panier d'œufs sur la banquette arrière sans en casser un seul. L'Egypte, à 94 % désertique, va lui offrir un formidable terrain d'expression. L'autre voiture des vacances, aux mains de Denis de La Salle, est sa cousine, prêtée par un ami, avec un autocollant anti-nucléaire sur la lunette arrière, l'Ami 8, construite sur la même plate-forme. Surnommée la 3 CV, elle prend le relais de l'Ami 6 et se positionne, dans la gamme Citroën, entre la luxueuse DS et l'entrée de gamme que représente la 2 CV.

L'Ami 8 est deux fois plus puissante et plus lourde aussi

Elle sera vendue à un peu plus de 1,8 millions d'unités entre 1961 et 1969 contre 5 millions pour la Deuche.

Côté deux-roues, Pierre-Yves Deschamps et Patrick Piot ont fait bonne pioche car la Kawasaki 350 Big Horn fait alors sensation chez les trails, une nouvelle catégorie de motos, à mi-chemin entre route et tout-terrain. La Kawasaki bénéficie d'un moteur 2 temps de 33 chevaux, offrant un tempérament de feu et un caractère bien trempé. Capable d'accrocher les 135 km/h pour 123 kg, elle est l'outil idéal pour aller en éclaireur au-delà des dunes. D'Alexandrie, nos amis filent vers le Caire. Entre la visite du musée Egyptien, celle de la Pyramide de Kheops et du Colosse de Ramsès II, les Kawasaki requièrent les premières interventions mécaniques suivies par la 2 CV dont la boîte de vitesses est bloquée ! Faute de pièce de rechange, le seul garage “spécialisé” Citroën retaille un pignon dans de la bakélite. Et la pièce tiendra toute la durée du voyage. Par 40° à l'ombre, faisant oublier la réclame de la Citroën 2 CV qui vantait « 4 roues sous un parapluie » à la fin des années 60, la petite troupe file, plein sud vers Assouan à 800 kilomètres, longeant le Nil où se masse 90 % de la population dans une langue de terre dont la largeur moyenne est de 10 kilomètres, mais qui varie de quelques centaines de mètres à 25 kilomètres. La prudence est de mise sur cette bande asphaltée où cohabitent dans un code de la route approximatif autos, ânes, camions, piétons. Le royaume d'Egypte hébergea l'une des civilisations les plus brillantes de l'histoire et Assouan témoigne de cette période à travers le musée de la Nubie, le temple de Philæ et d'Isis, le Kiosque de Trajan… des lieux désertés par les touristes et les autochtones accablés par la chaleur, mais que nos amis découvrent avec enthousiasme. Les jours s'écoulent, lentement, au rythme des vacances.

Au moment du retour, plus de cargo, vendu par l'armateur qui rechignait à rembourser les billets…

Rien ne presse. La remontée vers le Caire leur permettra d'escalader (n'y pensez même plus en rêve aujourd'hui) la Pyramide de Kheops, sur la plateau de Guizeh, pour une incontournable photo-souvenir de groupe. Construite il y a 4 500 ans, cette pyramide est la seule des sept merveilles de l'Antiquité encore visible aujourd'hui. Elle trône aux côtés du Sphinx et des pyramides de Khéphren et Mykérinos. Il est alors temps de revenir au point de départ, à Alexandrie pour retrouver le cargo. Bruno se souvient : « Nous avons appris que l'armateur avait vendu le cargo et qu'en gros, il pouvait nous rembourser le billet, mais en France ! Nous sommes restés bloqués une semaine à Alexandrie, à négocier avec le Consul de France et l'armateur pour obtenir notre argent en Egypte afin de pouvoir racheter d'autres billets. Pour patienter, nous sommes allés faire un tour à El Alamein où il y a un petit musée, tout en ayant trouvé refuge dans une école copte.

Nous avons finalement embarqué dans un ferry italien qui transitait par la Grèce pour nous déposer à Venise d'où nous sommes rentrés en passant par les Alpes et le Col du Mont-Cenis. En arrivant chez mes parents, nullement inquiets de mon retard, je crève en franchissant la grille du jardin. Ma première crevaison depuis le départ ! »

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