Compagnie des remisages : coffre à jouets

On a tous un jardin secret. Pour les passionnés d'automobiles, il prend la forme d'un parking sécurisé, où chacun peut venir librement, à toute heure, déposer dans de parfaites conditions sa voiture. Mais cela suppose de respecter certains usages… Plus efficace que la plus sophistiquée des alarmes reste la discrétion des collectionneurs, qui vont et viennent dans ce lieu parfaitement anonyme. Sachez que cet incroyable parking, digne d'un immense coffre à jouets, se situe quelque part aux abords de l'ouest de Paris. Paradoxalement, pour atteindre ce paradis de l'automobile, il faut plonger dans les entrailles de la terre. Cela commence de la façon la plus banale, en descendant la rampe du parking d'un grand magasin.

Sauf qu'on laisse l'entrée réservée à la clientèle, pour s'enfoncer vers quelques étages inférieurs. Au détour d'un virage, le faisceau des phares éclaire une lourde porte automatique, vierge de toute inscription. Me voilà enfin au seuil de la discrète “Compagnie des Remisages”, un lieu connu des collectionneurs depuis trente ans. Nicolas Philippe, maître des lieux, me fait l'amitié de me recevoir. Sauf qu'à l'ouverture de la porte, ma mâchoire inférieure se déboîte, façon loup de Tex Avery, tant la vision offerte est hallucinante. A perte de vue, des dizaines d'autos incroyables sont alignées comme à la parade. De la supercar récente à l'ancêtre d'avant-guerre, mon regard embrasse en quelques secondes un spectacle statique improbable, faisant un grand écart entre le Salon de Genève et Rétromobile ! Si certaines autos exhibent tous leurs chromes étincelants, d'autres cachent pudiquement leurs formes sulfureuses sous une housse. Pour deviner ce qu'il y a dessous, l'exercice est parfois facile, certaines carrosseries caractéristiques étant identifiables au premier coup d'œil. Et pour découvrir l'identité de ces belles inconnues, il y a une deuxième chance “au tirage”, la plupart des housses arborant le prestigieux blason de la marque qu'elles représentent.

Si certaines exhibent leurs chromes étincelants, d'autres cachent pudiquement leurs formes...

Nicolas m'extirpe de ce rêve éveillé pour le suivre dans son bureau, ouvert sur le parking. Le lieu, cosy, respire la passion automobile du sol au plafond. Partout se disputent des archives, de la documentation, des livres automobiles, mais aussi des maquettes de bureau d'étude. Nicolas est atteint du même virus que ses clients : il a la fibre du collectionneur ! « Ce business est né d'un problème visant tout possesseur d'automobile vivant en ville : le manque de place, pour stationner dans de bonnes conditions. C'est de ce besoin empirique qu'est née La Compagnie des Remisages. Ce lieu, discret et hautement sécurisé, dispose de larges places pour accueillir de grosses autos, sportives, modernes ou vieilles américaines, et pour que chacun puisse ouvrir sans contrainte les portes, ce qui est rarement le cas dans les parkings français. » Nicolas insiste bien sur le fait que ce lieu est ouvert à tous ! « Fort heureusement, le monde de la collection automobile ne commence pas à Aston Martin ou Ferrari. Même si, sur les trois niveaux que compte ce parking, il y a de nombreux modèles prestigieux, vous noterez qu'il y a également beaucoup de voitures populaires françaises ou allemandes. Celles-ci ont bien souvent, pour leur propriétaire, une valeur affective supérieure à leur valeur pécuniaire ! Et en matière de collection automobile, les mentalités évoluent, de même que les goûts ! » Pour joindre le geste à la parole, Nicolas désigne quelques youngtimers, à l'image d'une modeste Volkswagen Golf 1 plus neuve que neuve, qui n'a pourtant rien d'une GTI. « L'automobile ancienne attire des passionnés d'horizons divers, et cet éclectisme participe à notre bonheur. Certains sont étonnamment jeunes, et j'avoue qu'au fil des années, quelques clients sont devenus amis. » Des amis qui mettent parfois, à disposition pour les productions cinématographique, leur auto ancienne. « C'est un service que l'on propose, pour ceux qui souhaitent louer leur véhicule à l'occasion d'un tournage.On a été souvent sollicité par de grosses productions, comme le film “Le Dahlia Noir” de Brian De Palma, pour lequel il fallait organiser des reconstitutions historiques rigoureuses, sans anachronisme. » De l'ombre à la lumière, ainsi va Nicolas Philippe, un personnage attachant aussi singulier que son mystérieux parking…