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Alfa Romeo Carabo : au coin du bon sens

Modifié le Écrit par La Rédaction
Alfa Romeo Carabo : au coin du bon sens
© Kevin Van Campenhout
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Après un printemps 1968 quelque peu agité, Paris retrouve son calme après les vacances d'été. Contrairement à plusieurs manifestations qui ont été reportées - comme les 24 Heures du Mans - le 55ème Salon de l'Automobile ouvre ses portes comme prévu le 3 octobre à la porte de Versailles. Il y a des nouveautés pour tous les goûts et toutes les bourses, mais pour cet ultime salon inauguré par le général De Gaulle, les constructeurs français ne brillent pas pour leur grandeur. Sans doute encore traumatisés par les événements de mai qui avaient paralysé l'industrie nationale, les marques tricolores restent discrètes ; leurs nouveautés ne déchaînent guère les passions. Citroën se contente de rebaptiser “DS 20” la DS 19 qui aborde sa seizième saison, mais sans y apporter d'amélioration notoire.

Avec quelques autres coups d'éclat contemporains, la Carabo marque le paroxysme de la carrosserie italienne dans les années 1970

Peugeot poursuit sur la lignée de l'austérité avec la trop sérieuse berline 504. De son côté, la Régie nationale épaule la géniale “4L” d'une Renault 6 étriquée qui a perdu tout le charme de la frugalité.

Bref, il faut aller se balader chez les exposants étrangers pour éprouver quelques émotions. Et comme souvent, ce sont les Italiens qui réveillent les sens, qui éveillent les passions. À l'époque, on ne dit pas encore qu'ils “font le buzz”... et c'est tant mieux.

D'ailleurs, en 1968, certes on ne se prive pas de dire beaucoup d'âneries, mais ces brèves ne dépassent guère le périmètre du comptoir, faute de réseaux sociaux.

Ferrari dévoile la 365 GTB/4, puissante, impressionnante, monstrueuse avec son long capot qui abrite douze cylindres. Pourtant, sous sa livrée élégamment classique, celle que l'on surnommera bientôt “Daytona” semble appartenir à une autre époque. Celle d'avant ; celle d'antan. Deux ans auparavant, Lamborghini a changé la donne et bousculé le petit monde du grand tourisme avec une Miura conçue autour d'un moteur central placé en travers, une berlinette habillée d'une carrosserie sculpturale dessinée par Marcello Gandini chez Bertone.

C'est sans doute le dessin de la Carabo qui a propulse Gandini au Panthéon des designers de la fin du XXème ...

Or, en ce mois d'octobre 1968, à Paris, c'est encore sur le stand de Bertone que les projecteurs sont braqués. Son styliste vedette a signé un chef-d'œuvre absolu : la fantastique Carabo ! Une flèche ! Une fulgurance ! Un trait de génie ! Une sculpture structurée par des arêtes vives, un volume monolithique plat, pointu, ciselé autour de proportions parfaitement maîtrisées.

Le jeu des couleurs suggère l'animalité à laquelle l'engin doit son nom : un vert aux accents métalliques pour la caisse et un orangé luisant pour les vitres sans tain. Des peintures fluorescentes, orange à l'avant et vert à l'arrière, sont plaquées là comme des éléments de sécurité passive, une préoccupation naissante dans cette période où l'insécurité routière devient enfin une cause nationale dans de nombreux pays. Les lamelles recouvrant le compartiment moteur font penser à des écailles tandis que les portes basculent vers le haut, comme des élytres.

La Carabo est aujourd'hui conservée dans la collection qui alimente le musée historique d'Alfa Romeo

Leur mouvement s'opère grâce à un système hydropneumatique. Les vitres, réalisées par le verrier belge VHR-Glabverbel, sont traitées de manière à réfléchir l'énergie solaire.

Jamais aucune automobile n'avait adopté un tel profil cunéiforme ? Pas tout à fait... En mai 1968, la firme britannique Lotus avait engagé aux 500 Miles d'Indianapolis deux machines extraordinaires, deux exemplaires du type 56 propulsés par une turbine Pratt & Whitney.

Le profil de la monoplace écarlate formait un coin parfait, un angle aigu délimité par deux lignes tendues, rectilignes, implacables... La Lotus 56 avait été développée par l'ingénieur Maurice Philippe sous l'autorité de Colin Chapman, l'animateur de la marque Lotus.

Incontestablement, cette forme inspire Marcello Gandini quand il trace le profil de la Carabo. On a tendance à oublier que souvent les grandes révolutions du design automobile ont été inspirées aux stylistes par des ingénieurs, en particulier ceux qui avaient œuvré dans le domaine de la compétition.

On ne va pas réécrire ici toute l'histoire de l'esthétique, mais il est bon de rappeler que les premières velléités d'aérodynamique se sont manifestées à l'aube du XXème siècle grâce à quelques fous furieux à la recherche de la vitesse pure. Il faut aussi se souvenir que les carrosseries enveloppantes, dites “ponton”, c'est-à-dire avec les ailes intégrées dans le volume global, ont habillé des voitures de compétition que l'on a nommées “tanks” : la Bugatti de Grand Prix (1923) ou la Chenard & Walcker des 24 Heures du Mans (1925).

Plus près de nous, personne ne peut nier l'influence de la Ford GT 40 sur le dessin de la Lamborghini Miura.

Les designers se sont souvent postés au bord des circuits de course pour y glaner des idées. D'ailleurs, la Carabo est d'ascendance sportive. Sa base mécanique provient de l'Alfa Romeo 33, avec un V8 de 1995 cm3 développant 230 chevaux à 9 000 tr/min.

Alfa Romeo 33 n'a pas inspiré que Bertone.

Marazzi a produit en petite série la magnifique 33 Stradale dessinée par Franco Scaglione.

Giorgetto Giugiaro signa un exemplaire unique, l'Iguana, en 1969, tandis que Pininfarina développa trois prototypes, le Roadster (1968), le Prototipo Speciale (1969) et le Spider Speciale (1971). Bertone proposa une deuxième vision en 1976 avec la Navajo. Mais aucune de ces tentatives n'a fait de l'ombre à la Carabo frappée au coin du bon sens... AH

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