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Glenn Viel : l’homme qui plante le temps

Modifié le Écrit par La Rédaction
Glenn Viel : l’homme qui plante le temps
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Les oiseaux pépient et les abeilles bourdonnent. Les amandiers sont en fleurs. C'est le matin à Baumanière. Ça embaume le romarin, la glycine et la coriandre qui foisonne sous la serre aux petits pois. Nous sommes dans les Alpilles, à l'Oustau de Baumanière, au pied du village des Baux-de-Provence. C'est là que Glenn Viel, plus jeune chef triplement étoilé de France et nouvelle star du petit écran, nous attend. Ce matin, il prend le temps de savourer la quiétude du potager, en surveillant son petit peuple d'artichauts, de carottes, d'épinards et d'asperges, bien gardé par une armée d'arbres fruitiers. Amandiers, figuiers, pêchers, cerisiers, abricotiers… c'est beau comme une comptine provençale. Cet homme pressé au débit rapide est tout à l'instant présent. Ce n'est pas seulement un moment qu'il s'offre, mais une manière de laisser aux idées le temps d'advenir.

J'aime quand les objets racontent une histoire, ce n'est pas juste un objet pour un objet. Ça ajoute un côté émotionnel à la chose. Le vrai luxe, c'est l'authenticité

« En cuisine, nous sommes toujours reliés au temps, il y a un service à midi, un autre à 20 heures. Les journées ont une amplitude horaire assez large, mais nous ne les voyons pas passer. Au jardin, le temps s'arrête un peu. Selon les moments, le temps est toujours le même et à chaque fois différent », explique Glenn Viel en ouvrant une cosse de petits pois dans laquelle il prélève un grain, avant de vous le tendre. Les pois sont minuscules, quelques millimètres d'un vert cru, croquant et sucré, « un petit goût de châtaigne verte en fin de bouche » analyse-t-il. Pour lui c'est un fait, les petits pois, les haricots et les épinards qui poussent ici sont indéniablement meilleurs que chez le maraîcher.

Ça ne s'explique pas, c'est comme ça : « Il faut planter les bonnes choses au bon endroit. » Il faut croire que Baumanière était également la terre qu'il fallait pour faire mûrir un grand chef. Depuis son arrivée en 2015, Glenn Viel a fait fructifier un talent plus que prometteur. S'il est devenu ici le “Breton des Alpilles”, il ne faudrait pourtant pas l'enfermer trop vite dans une case, fût-elle hybride et taillée à sa mesure.

Né à Versailles, ce fils de militaire a appris à se sentir partout chez lui. « Nous déménagions tous les trois ans, cela m'a permis de m'adapter partout où j'ai vécu. » Voilà qui explique pourquoi ce Breton de famille et de cœur a si bien su prendre racine dans les Alpilles. « La famille est en Bretagne, j'ai fait ma scolarité dans les Côtes-d'Armor, à Saint- Quay-Portrieux. L'intelligence d'un cuisinier est de s'adapter à un lieu, à une histoire, à la philosophie de la maison »poursuit-il. Quand il débarque à Baumanière, le choc est immédiat. « J'arrive, je visite la maison et je rentre dans le restaurant, je fais deux pas et j'ai des frissons, je perçois quelque chose qui n'est pas palpable et je me sens bien. Je suis avec Lowell (Lowell Mesnier, chef de cuisine, NDLR), je travaille avec lui depuis 15 ans et il est le parrain de mon fils. Je lui dis “ça va se passer ici, il y a quelque chose”. » Un “quelque chose” qui a certainement à voir avec des valeurs chères à Glenn Viel. La transmission, l'authenticité, la capacité à rester moderne sans faire table rase du passé. « C'est un bel endroit, il est honnête, authentique, il est façonné par le temps et par l'homme, il s'est créé une harmonie entre les deux et ça fonctionne bien » poursuit le chef, qui a trouvé un mentor en la personne de Jean-André Charial, propriétaire de cette maison créée en 1945 par son grand-père Raymond Thuillier dans un vieux mas oublié. « Je crois que l'homme mûrit tout au long de sa vie s'il a envie de comprendre et d'absorber des choses et Baumanière m'a aidé. La maison, la sagesse de M. Charial, sa sérénité… Même dans les moments difficiles, il garde le cap. Ça m'a apaisé. La maison m'a fait grandir certainement plus vite. »

En cuisine, nous sommes toujours reliés au temps, il y a un service à midi, un autre à 20 heures. Les journées ont une amplitude horaire assez large, mais nous ne les voyons pas passer

En contrebas de la cité médiévale des Baux et du Val d'Enfer, gardé par ses sentinelles de calcaire, Baumanière baigne dans une lumière vaporeuse. « C'est féerique. Baumanière c'est le parfait dans l'imparfait, ce n'est pas lisse » dit Glenn Viel, l'homme qui s'interroge. Sur sa cuisine bien sûr, mais aussi sur la technique, la responsabilité de l'homme et de son rapport au temps. Juste avant l'épidémie de Covid, il s'est mis en tête de redonner vie aux potagers du domaine. Par conviction. Le chef a accroché à sa veste une autre étoile, une verte et elle est importante pour lui. Par goût : « L 'idée est qu'avant même la main de l'homme, le légume soit super. » Mais aussi en vertu d'une vision bien à lui de la modernité : « Quand on va trop vite dans ce que l'on fait on ne maîtrise pas tout. C'est une espèce de wagon en roue libre sur lequel il n'y aurait pas de frein. Le monde s'est un peu perdu. Moi je pense que le monde était mieux avant » constate-t-il, un brin provoc. À quarante ans passés, Glenn Viel a poli cette philosophie dont il fait des assiettes qui ne ressemblent qu'à lui. On y trouve la sagesse d'une vieille âme, une bonne dose d'humilité et surtout une belle mesure d'humour.

« La vie, c'est une espèce de montagne : tout le monde veut aller voir ce qui se passe derrière. Finalement, nous sommes passés devant des choses essentielles sans nous en rendre compte parce que nous étions pressés de passer de l'autre côté. J'ai fait ça aussi. J'ai eu une cuisine très démonstrative, où je montrais de la technique, mais l' émotion c'est loin d'être seulement de la technique. » Une réflexion qui l'amène à repenser son travail. De retour de l'autre côté de la montagne, Glenn Viel a compris le pouvoir de la simplicité, de l'authenticité et de l'émotion. Un accord mets-pains, une volaille en vessie croustillante, des apéritifs mis en scène comme un petit théâtre de table, des plats aux intitulés qui intriguent ou font sourire. Glenn Viel aime raconter des histoires. Ainsi, le “combat des Titans” aligne deux armées de grains minuscules, petit pois contre caviar : quel choc de constater combien ces caractères peuvent se loger dans de si petites choses. Un repas est une expérience globale où l'émotion a toute sa place. « L 'affectif compte pour beaucoup. Donc, je me suis demandé ce que pouvait apporter de la psychologie dans un repas, explique-t-il. J 'a i revu les températures, les textures, les mots, l'esthétisme, et j'ai condensé le tout dans des assiettes très épurées. » Le domaine compte quatre potagers : celui où l'on trouve les serres aux petits pois, la parcelle des artichauts et des épinards et un peu plus loin, une dernière où pousse le blé. Sur une autre, huit ruches qui donnent chaque année 300 kg de miel, une vingtaine de poules et deux cochons, qui viennent tout juste de prendre leurs quartiers sur un domaine de 3 000 m2 aménagé pour eux, avec vue sur les Alpilles et spa sous les figuiers. Planté devant un carré d'épinards, la mine sérieuse, Glenn Viel revient sur sa vocation : « J'adore manger, ma vocation est née de mon coup de fourchette. »

Il évoque également sa démarche créative très personnelle. « Je peux rester longtemps à regarder un légume pour qu'il me raconte quelque chose. De temps en temps, quand on se pose des questions, on trouve des réponses. Enfin pas toujours. Le poireau n'a pas encore tenu ses promesses » commente-t-il, prêt à partir d'un grand éclat de rire. Du moins la version albinos, entièrement blanche, qu'il cherche à faire pousser un peu comme on obtient les asperges. Ou les courgettes-jambon (ne cherchez pas, si on les trouve un jour elles viendront d'ici). L'idée ? Un moule en forme de jambon, dans lequel il s'est mis en tête de convaincre la courgette de pousser. Les négociations n'ont pas encore abouti. « L 'an dernier, ça n'a pas marché. Je me donne encore 3 ou 4 ans. On n'y arrivera peut-être pas, mais si on n'essaie pas, on ne saura pas. » L'homme a fait sienne cette devise de Mark Twain qu'il a affichée dans son bureau, au milieu de la cuisine flambant neuve du restaurant : « Ils ne savaient pas que c' était impossible, alors ils l'ont fait. »

J'ai fait ça aussi. J'ai eu une cuisine très démonstrative, où je montrais de la technique, mais l'émotion c'est loin d'être seulement de la technique

C'est ainsi qu'il avance, Glenn Viel, avec cette certitude que tout reste à inventer. « Il n'y a que les limites que l'on s'impose. Avec du travail, de la persévérance, de l'abnégation, on arrive à faire beaucoup de choses. » Avec de l'humilité aussi, car la tête ne lui tourne pas. L'amitié reste un point fixe, une boussole. « Ce qui me relie à l'authenticité, ce sont les gens qui m'entourent. J'ai travaillé dur pour exceller, c'est une revanche sur la vie. » Considérant le jardin du regard, il mesure le travail accompli et ce qu'il reste à faire. « Maintenant, je veux en faire de la poésie. On va tout repenser. » C'est quoi la poésie dans un potager ? Une rivière, qui passe entre les ruches, une fontaine à échelle des abeilles, de la pierre blanche, repérée dans une carrière alentour. Dans le jardin comme ailleurs, il regarde autrement. C'est involontaire, c'est comme ça. De sa dyslexie, Glenn Viel a fait un cadeau de la vie. Il y a ceux qui trébuchent et ceux qui rebondissent. « Une fois que l'on a compris que l'on pouvait en faire un atout, ça devient un atout. »

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