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Ford vs Ferrari : Le Mans 1966

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Ford vs Ferrari : Le Mans 1966
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Des onze lauréats des 24 Heures du Mans depuis 1923, la course d'endurance la plus prestigieuse au monde, la Scuderia est alors - et de loin - la plus capée.

Depuis 1960, Ferrari enchaîne les victoires sans discontinuer avec ses 250 et 275. Son sixième succès de rang, l'année précédente lors de la 33ème édition, avec la 250 LM aux couleurs du NART pilotée par Jochen Rindt et Masten Gregory, vaut aux voitures de Maranello de figurer une nouvelle fois comme grandissime favori. Un bémol cependant : face à l'armada rouge emmenée par les trois 330 P3 à moteur V12 à injection et les trois 365 P2, Ford, au prix d'un investissement colossal, aligne la bagatelle de huit prototypes MkII propulsés par un monstrueux V8 de 7 litres, épaulés par cinq GT40 Sport ! Après deux échecs consécutifs, le géant américain s'est donné les moyens de ses ambitions pour atteindre le graal.

Il faut dire qu'ici, plus que partout ailleurs, les marques les plus prestigieuses ont conquis leurs lettres de noblesse. Chenard & Walker, Lorraine-Dietrich, Bentley, Alfa Romeo, Lagonda, Bugatti, Ferrari, Jaguar, Mercedes-Benz et Aston Martin, ont forgé leur légende sur le circuit de la Sarthe.

Absents du palmarès de ce monument, la plupart des grands constructeurs généralistes rêvent logiquement de cette reconnaissance universelle pour couronner leur réputation d'un éclat de diamant. Dans le clan US, la motivation est omniprésente. Et ce n'est sûrement pas pour se contenter de faire la “Une” du Maine Libre ou de l'édition spéciale de la Nouvelle République qu'Henry Ford II, le petit-fils du fondateur, a prévu de se déplacer dans la Sarthe.

Ford, au prix d'un investissement colossal, aligne la bagatelle de huit prototypes MKII

Ce samedi 18 juin 1966 après-midi, il a fallu un temps fou pour accéder aux parkings puis aux enceintes générales. De sa voix chaude et grave si caractéristique, Jean-Charles Laurens, le speaker des 24 Heures, évoquera même une affluence de 350 000 spectateurs pour le week-end... Face aux stands, dont la vue est désormais en partie entravée par un muret de protection bariolé de publicités, les 55 voitures sont alignées en épi. Confirmation de l'info publiée dans les gazettes : Henry Ford II “himself ” est bel et bien présent à la tête du débarquement yankee. On l'aperçoit remonter la piste en compagnie du ministre de la Jeunesse et des Sports, du Président de l'A.C.O., du préfet de la Sarthe et de Jacques Loste, le directeur de course qui est aussi patron de l'Argus.

Henry Ford II “himself” est bel et bien présent à la tête du débarquement yankee

Tout en haut des stands, les Alpine A210 et les CD Peugeot SP66 pointent leurs museaux bleus vers une gloire éphémère en tête de la meute pendant les premiers hectomètres. En bleu toujours, on distingue aussi la triplette débutante Matra avec ses protos M620 à moteur BRM. Mais, au-delà de la curiosité Chaparral 2D à boîte automatique, c'est au cœur de l'alignement que l'on scrute les packs des gros bras du choc Italie-USA. Lors des essais officiels, les Ford n'ont pas manqué de démontrer leur potentiel avec un meilleur tour bouclé par le Californien d'adoption Dan Gurney à plus de 230 km/h. Un baroud d'honneur que l'armoire à glace ne manquera pas de reproduire, dès son premier relais, pour s'adjuger le tour le plus rapide en course.

A sept heures de franchir la ligne d'arrivée, quatre MKII sont encore en lice pour la gagne

D'emblée, après le couac spectaculaire d'Edgar Berney dont la barquette Bizzarini à moteur Chevrolet part en tête-à-queue vers les fascines dès le démarrage, les têtes d'affiche font étalage de toute leur puissance dans un vacarme démentiel. Dès les premiers tours, la cadence est infernale. Elle ne faiblira guère jusqu'à l'arrivée où la barre des 200 km/h de moyenne sera franchie.

Au cours des premières heures de course, le duel Ford-Ferrari semble équilibré. Avec pas loin de 500 chevaux sous le capot, le puissant proto MkII a considérablement haussé le ton par rapport à son inspiratrice, la Lola-Broadley Mark 6 apparue au Mans deux ans plus tôt et les GT40 MkI et MkII qui lui ont succédé l'année précédente. Véloces et fiables, elles mènent la vie dure aux superbes Ferrari, des prototypes difficiles à différencier d'un simple coup d'œil puisque les 365 P2 à moteur 4,4 litres disposent du même ensemble châssis-carrosserie que les 330 P3 animés du mélodieux bloc V12 de 4 litres.

Meilleur temps aux essais et meilleur performeur en course, Gurney franchit le cap des 230 km/h au tour

Mises à rude épreuve par leurs challengers, les Ferrari ne parviennent à mener la danse qu'une petite heure durant, en tout début de nuit, avec la voiture du North American Racing Team partagée par Richie Ginther et Pedro Rodriguez.

Après les trois Dino Ferrari 206, très rapidement éliminées sur défaillances mécaniques, l'abandon de la P2 du tandem Attwood-Piper sur problème de pompe à eau constitue un premier signal négatif pour la Scuderia. Et puis c'est la débandade... Au cœur de la nuit, Ferrari perd successivement la 330 P3 de Scarfiotti-Parkes à la suite d'un accident et la P2 de Gregory-Bondurant, victime d'une défaillance de transmission.

Après l'abandon de la Ford MkII de Graham Hill-Brian Muir (suspension), c'est celui de la P3 pilotée par Pedro Rodriguez et Richie Ginther (boîte de vitesses) puis le coup de grâce qui frappe la troisième 365 P2 de Mairesse-Muller (transmission). Avec l'immobilisation définitive de la dernière 330 P3, emmenée par Lorenzo Bandini et Jean Guichet, sur une défaillance de la transmission en début de matinée, la déroute est complète. Non seulement Ferrari n'enchaînera pas un septième succès dans la Sarthe, mais son échec est cuisant. Pour l'équipe italienne, l'édition 1966 a le goût amer d'une méchante Bérézina.

A sept heures de franchir la ligne d'arrivée, quatre MkII sont encore en lice pour la gagne... avant l'abandon des leaders Dan Gurney et Jerry Grant, trahis par un joint de culasse en milieu de matinée. L'affaire est évidemment entendue pour Ford, assuré d'atteindre son objectif.

Un succès au terme d'une écrasante domination où, à la manière d'un rouleau compresseur, les trois voitures de Miles-Hulme, Gurney-Grant et McLaren-Amon auront monopolisé la tête de course pendant une durée totale de vingt-trois heures. Faute de suspense, c'est à une longue procession dominicale vers une confiscation annoncée du podium à laquelle on assiste. Ce que le public ignore en revanche, c'est que, dans coulisses, les stratèges du team américain sont en pleine effervescence. Il s'agit pour eux d'élaborer la mise en scène la plus glamour de ce triomphe annoncé. L'idéal serait de marquer l'histoire de la classique mancelle par une arrivée ex æquo.

Même en passant sous le drapeau à damier exactement au même moment, le règlement rend impossible le partage de la victoire

Lors du dernier relais de la n°2 entre Chris Amon et Bruce McLaren, lequel avait pris une part importante dans la mise au point du proto, Carroll Shelby passe la consigne d'une arrivée de front avec la n°1 évoluant dans le même tour et pilotée par Denny Hulme et Ken Miles, autre artisan essentiel du développement de la MkII dès l'initiation du projet et, de surcroît, récent vainqueur à Sebring et à Daytona. Peine perdue : même en passant sous le drapeau à damier exactement au même moment, le règlement de l'épreuve rend absolument impossible le partage de la victoire. Dans l'hypothèse de ce cas de figure rarissime, il faut en convenir, la distance séparant les deux voitures à l'instant précis du départ est répercutée afin de les départager.

Sous l'averse, appliquant à la lettre la demande du staff, les deux Ford eurent beau avoir coupé la ligne de front, après un dernier tour en formation serrée avec la troisième MkII n°5 de Ronnie Bucknum et Richard Hutcherson (3ème à 12 tours), la voiture des Néo-Zélandais accéda en solitaire au palmarès de cette 34ème édition, avec le plus petit écart à l'arrivée de l'histoire des 24 Heures. Placés vingt mètres derrière leurs équipiers dans l'alignement du départ, Amon et McLaren avaient par conséquent couvert la plus grande distance... AH

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