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Antoine Dufilho : auto entrepreneur

Modifié le Écrit par La Rédaction
Antoine Dufilho : auto entrepreneur
© Bruno des Gayets
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Nous avons rencontré Antoine Dufilho dans un village de la banlieue lilloise où son atelier jouxte sa résidence, un ensemble d'une douzaine de containers maritimes imbriqués, réunis en un espace atypique. Une ancienne cuve à fuel en fonte, pesant un âne mort, -ses amis qui l'ont transportée confirment -, coupée en deux, fait office de comptoir de cuisine et des structures rivetées de type Eiffel, judicieusement chinées, renforcent la singularité de ce loft d'artiste en construction. Antoine est à la manœuvre, fort d'un diplôme d'architecte, obtenu après trois années de médecine (qui lui ont permis d'apprécier la complexité de la biomécanique humaine), tout en s'attelant au train-train quotidien : découper finement des lamelles d'inox ou d'aluminium, les positionner de manière chirurgicale, telles des vertèbres sur un squelette, avant de les souder avec précision puis de les polir patiemment en quête d'un effet miroir... Antoine n'est pas avare de son temps car il aime le travail bien fait, il serait même du genre tatillon : comptez sept à trente jours de labeur pour une voiture composée de 60 à 300 pièces, un mois pour assembler le plus emblématique gratte-ciel new-yorkais, le Chrysler Building au style Art déco et le double, pour finaliser les 1 400 points de soudure reliant les 800 pièces qui composent sa Statue de la Liberté en inox poli et mat. Une édition limitée à huit exemplaires et quatre épreuves d'artiste, comme la majorité des créations d'Antoine, ce qui en fait des œuvres rares et recherchées des amateurs éclairés sensibles à la grâce et l'intemporalité qui émanent de ces savantes juxtapositions de strates de métal. L'un d'entre eux a acquis douze de ces sculptures, un virus transmis à son beau-frère qui comptabilise déjà huit pièces, une véritable addiction. Quand on aime... C'est durant son enfance puis son adolescence, qu'Antoine s'initie au modelage et à la sculpture, avec son père, son grand-père et son grand-oncle, le comédien Jacques Dufilho. Il suffisait alors d'aller chercher un peu d'argile dans la mare voisine et de se mettre à l'ouvrage. Il prend de l'assurance en déclinant la Bugatti de son père, offerte pour son anniversaire.

Conduire la Bugatti Type 37 A Compresseur, c'est Musclé, comme dompter un cheval fougueux

« Vraisemblablement, cette démarche lui a plu ainsi qu'à mon entourage, ce qui m'a poussé à continuer jusqu'à remplacer mon premier travail d'architecte. C'est à ce moment que je me suis défini comme sculpteur. Auparavant, je me voyais comme un bricoleur, le meilleur exutoire aux choses négatives. Ça m'a permis de me former de manière autodidacte au travail de différents matériaux ainsi qu'à l'utilisation des machines associées. C'est finalement par l'étude de l'architecture que j'ai pris conscience de ce qui m'importait vraiment : la créativité. Mon intérêt n'était pas de reproduire quelque chose à l'identique, mais de l'imaginer de toutes pièces. Etudiant, je rêvais de concevoir des architectures totales, des fondations au mobilier intérieur jusqu'aux poignées de portes. Rêve que je suis actuellement en train de réaliser avec la construction de mon atelier et de ma maison.

La perception varie avec le point d'observation, l'alternance de symetrie et d'asymetrie

Une fois plongé dans la réalité professionnelle, je n'ai pas trouvé la “liberté créative” qui me faisait tant rêver durant mes études, ce qui m'a poussé, en 2011, à m'engager plus sérieusement dans la sculpture durant mes temps libres. » Cette année-là, à Rétromobile, Antoine présente une série de trois pièces en plaques d'aluminium martelées et soudées, habillées de peintures personnalisées. Il suscite l'enthousiasme. En 2013, il expose au Grand Palais, à Paris, et une douzaine de galeristes le démarche, un signe qui ne trompe pas, au moment où l'une de ses créations est adjugée à 4 500 euros lors d'une vente aux enchères. Il prend alors conscience qu'il peut espérer vivre de cet art dans lequel il s'accomplit en expérimentant chaque jour des techniques nouvelles qui lui permettent de pousser plus en avant sa curiosité. « J'ai beaucoup travaillé en m'investissant totalement dans cette aventure. Je me dis que pour un début, ce n'est pas si mal. Je suis habité par le doute, tout le temps ! Mais ce sont des doutes qui nous font réfléchir, évoluer et nous renouveler. » L'implication d'Antoine dans son art est intègre, n'obéissant à aucun aspect commercial, simplement portée par l'émotion, ses goûts et sa sensibilité en matière de design automobile, avec une fascination pour les courbes élégantes et racées des Italiennes. Et bien sûr, les Bugatti, omniprésentes dans le garage de la famille, de son grand-oncle qui posséda six modèles, mais aussi de son père qui a successivement mené une Type 57 coach Ventoux, une Type 37 avant la Type 35B à compresseur qui le comble toujours de bonheur. « Tenir le volant d'une Bugatti, c'est musclé, comme dompter un cheval fougueux. L'émotion la plus proche de la conduite d'une Bugatti Grand Prix, c'est la première fois où j'ai monté un pur-sang arabe, un animal si léger, mais d'une telle puissance couplée à un fort caractère !

Forcément, quand plus tard j'ai eu la chance de me voir confier la Type 57 de mon père, retrouver cette émotion fut très émouvant, n'en parlons pas avec la Type 57 à compresseur ! »

Bien évidemment, les belles automobiles conçues à Molsheim sont au catalogue d'Antoine Dufilho, au premier rang desquelles la Type 57 SC Atlantic. L'approche de sa sculpture a ceci d'original qu'elle met en scène une alternance de pleins et de vides dont la variation de l'un ou de l'autre allège ou alourdit la silhouette. Elle conserve la morphologie globale de l'automobile, mais décompose les formes en strates successives pour une allure plus légère tout en complexifiant sa vision d'une multitude de courbes. Cette représentation séquencée a pour effet de créer un mouvement. L'artiste nous offre alors une vision cinétique d'un objet statique, grâce à la déambulation de son observateur. L'interprétation diffère en fonction de l'angle de vue. L'effet dynamique est accentué par l'alternance de symétrie et d'asymétrie, provoquant ainsi un effet d'accélération et de décélération, là où on l'a décidé. « Ce sont finalement des outils à produire du mouvement comme de la diversité. » Antoine est habité par cette notion qu'il développa pour son mémoire d'architecture :

« J'aime le mouvement. Et l'asymétrie, c'est par définition, le mouvement ! Un cube posé est symétrique et statique, mais en l'inclinant de quelques degrés, en équilibre sur une de ses arêtes, il devient asymétrique, notre esprit l'imaginera inconsciemment tomber pour retrouver son équilibre. Le mouvement, c'est la vie, voilà pourquoi je cherche dans mes créations à matérialiser le mouvement d'un objet statique par la cinétique. » Antoine joue également sur le positionnement même des pièces pour moduler la perception de la sculpture. Il s'en explique : « La transparence longitudinale permet de faire presque disparaître le modèle en vue de face ou d'arrière, alors que de profil, il apparaît tout à fait normalement. La transparence horizontale offre la possibilité de voir à travers le modèle, mais avec sa longueur et l'effet de la perspective, il ne disparaît jamais complètement. Par contre, le changement du point d'observation provoque un effet cinétique qui génère une sensation de mouvement. »

Certaines sculptures nécessitent deux mois de travail, 800 pièces, 1 400 points de soudure

Autre outil permettant de personnaliser une œuvre, le choix des matériaux : « Chaque traitement de surface a sa propre identité bien différenciée. J'utilise de l'acier Corten qui rouille en surface et non à cœur pour un effet plutôt “chaud” et texturé, proche du bois. Le métal poli, plus tape à l'œil reflète tout ce qui lui fait face. En mat, il est plus homogène, idéal pour marquer le jeu de plein et de vide et offre un rendu très contemporain. Je ne cherche pas à changer radicalement, mais à évoluer, de technique en technique, tout en continuant à utiliser tous les matériaux possibles en fonction des choses et des émotions que je souhaite représenter. » Pour ne pas figer son art, Antoine se renouvelle : « Mes prochains modèles ne seront plus en inox, mais en aluminium anodisé de couleur. Ils seront présentés en duo de voitures d'exception correspondantes, de générations différentes, afin de représenter leur évolution à travers les âges. » Ainsi, une Ferrari F40 de 1990 formera un duo avec une Ferrari millésime 2015 et une Bugatti Atlantic de 1936 avec son équivalent contemporain. Une autre nouveauté sera composée, pour un effet holographique, de tiges de bronze coiffées de petites billes d'inox, rappelant ce jeu de notre enfance qui permettait de prendre une empreinte grâce à une multitude de clous. La fibre de carbone, déjà utilisée pour interpréter une Ferrari F40 et une 250 GTO sera également bientôt remise au goût du jour, ce matériau high-tech s'accordant parfaitement avec la philosophie des automobiles actuelles.

Antoine Dufilho (dont les sculptures sont exposées, entre autres, à Lill'Art Gallery à Lille, Gallerie Marciano à Paris, M.A.D Gallery de Taipei, Genève, Dubaï, ModArt Gallery à Miami, Mouche Gallery à Los Angeles) développe ses aptitudes, nourri par des esprits brillants l'ayant inspiré : Jean Bugatti pour son chef d'œuvre Atlantic, le plasticien Jesus Rafael Soto pour sa théâtralisation de la sculpture, Ludwig Mies van der Rohe pour la pureté de son architecture et ce message qui le porte,

« Less is more » , Jim Morrison pour la poésie de sa musique, mais aussi le designer Joe Colombo, le peintre Pablo Picasso, l'architecte Steven Holl, sans oublier l'héritage familial, d'une grande richesse. Côté actualité, Antoine dévoilera, lors de la foire d'art contemporain Lille Art Up 2020, sa première sculpture à l'échelle 1/1. Rendez-vous est pris ! AH

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