Paul-Alexandre Martin : roman de GAR
Le hasard et la qualité d'un réseau de jeunes passionnés d'autos avant-guerre sont à l'origine du retour d'une rarissime voiture française. Du musée Mullin de Pasadena à Bordeaux, retour de flammes historiques. Par Marc de Tienda.

Paul-Alexandre Martin restaure et fait revivre une rare GAR 8 cylindres des années 1927-1930, symbole d'une passion jeune pour la conservation et le voyage automobile authentique.
Sommaire
Dans un garage bordelais, un bruit de vestiaire métallique nous vrille les oreilles. Même bien huilée, cette armoire se date elle-même. Les yeux clos, fermer des portières ou s'asseoir simplement dans une des autos garées ici permet de deviner que les maîtres du lieu sont plutôt calés avant 2000 et même avant-guerre pour leurs collections autos et objets. Devant son armoire animée, Paul-Alexandre choisit son dresscode pour sa sortie en Gardahaut. Il opte pour de simples goggles et un blouson en cuir bien patiné. Il se doit de se draper ainsi, la naissance de sa GAR 8 cylindres se situant entre 1927 et 1930. Gardahaut, un nom peu connu pour une voiture rarissime avec à peine une dizaine d'exemplaires produits.
Aujourd'hui la voiture, dans un état remarquable, est sans doute la seule roulante. En débâchant le trésor, la GAR révèle sa robe rouge bordeaux, un signe porteur ici bien évidemment. La sortir du garage est aisé, avec un poids de cycle-car, le pilote ne sera pas en sueur même si le rayon de braquage est assez fermé. En observant l'état irréprochable de la voiture, il est difficile de s'imaginer une histoire de sortie de grange. Le pilote se fait fort de détailler la vie de cette GAR8 et en le regardant, difficile de s'imaginer qu'il soit si précis, si documenté en mécanique comme en histoire automobile. En effet Paul-Alexandre représente une partie des “Youngs”, jeunes passionnés et engagés dans la conservation automobile, la nouvelle vague à qui certains collectionneurs éclairés ont passé les volants et les guidons pour que leurs véhicules perdurent dans le temps.
De gare en GAR
La conservation est passionnante mais rouler, souvent quel que soit le temps, est une nécessité reliée au plaisir de changer d'époque. Dans la famille, le train de pneus de la Bugatti 35 ne fait pas six mois. Un Bordeaux-Montlhéry-Strasbourg-Lyon-Bordeaux se déroule au volant et pas sur une remorque. Se mettre de la graisse sur les mains ou réparer en cours de route sont au programme parfois sous la pluie. Cette GAR si sport-chic sait donc ce qui l'attend. «Une auto est faite pour rouler et voyager», reprécise Paul-Alexandre. Et pour le coup, cette GAR en a vu, du pays.
Née à Asnières, elle se retrouve aux bons soins de Serge Pozzoli, pilote et aussi collectionneur. Dans les années 90, elle part chez Bruno Vendiesse avant de migrer chez Peter Mullin, le collectionneur américain si amoureux des voitures françaises. Quelle carrière avec des mises en lumière incontournables comme son passage sur un plateau Best of Class à Pebble Beach, ce qui explique donc cet état de conservation. Malheureusement le décès du collectionneur américain impose à Merle Mullin, son épouse, une dislocation de son musée de Pasadena.
La bande de jeunes est au courant des ventes des autos et l'info de la mise aux enchères d'une Gardahaut arrive à Paul-Alexandre qui entreprend avec sa famille de rapatrier ce fleuron en France. La méconnaissance générale de ce modèle joue en fait en leur faveur et la GAR8 B5 revient en terre d'Aquitaine pour retrouver les routes et se réveiller. Paul-Alexandre n'attend que cela, voyager au volant de ce 8 cylindres de 1 355 cm3 , dont les franches montées en régime s'accompagnent de rugissements d'une vraie sportive.

Précision d’époque
Le plaisir est voisin de ses sorties en 35 avec un équipement au tableau de bord plus “luxe”. Un ampèremètre côtoie un voltmètre, un compte-tours et les indicateurs de température d'huile et d'eau. Avec ces informations, il ne s'inquiète pas des virées futures, d'autant que ce moteur réalisé en interne chez Gardahaut est muni d'une double magnéto, un pari technologique mais efficace sur la B5 qui n'avait rien à envier aux autres 8 cylindres produits à l'époque.
La cabine semble spacieuse, notre pilote s'amusant de s'installer en conduite à gauche (« au bon endroit » selon lui) en passant par l'unique portière à... droite. L'ensemble radiateur est magnifiquement travaillé et ajusté comme toute cette voiture. Cela ne pouvait que plaire à Paul-Alexandre qui malgré ses études en communication reste un acharné de la belle mécanique.
Son grand-père Jean-Pierre, gérant d'une station Esso, avait déjà transmis un goût de qualité et de précision à son père Jérémie. Les vacances chez Esso ont fini de façonner Paul-Alexandre, plongé dans l'apprentissage estival autour de cyclomoteurs à ses débuts. Les “Remparts d'Angoulême” seront le choc émotionnel le plongeant à jamais dans ce style de vie.
Une auto est faite pour rouler et voyager. Là nous voyageons dans le temps, au volant d'une belle Française d'avant-guerre.
Paul-Alexandre Martin

Entre les courses effrénées des pilotes au volant de prestigieuses voitures et ses passages chez Grégory Ramouna dont il est le voisin, sa route était tracée. Compétition, savoir-faire français, rareté, tout amenait cette famille à se pencher sur cette “Grand-Sport”, fleuron d'un constructeur français fermant en 1934 après une trop courte vie industrielle.
Pourtant les frères Joseph et Louis Gardahaut avaient produit des cycle-cars réputés à moteur Chapuis-Dornier et Ruby dont la gamme avait été élargie à des versions courses telle la Bol d'Or. Sans doute leurs succès en production et en compétition les poussèrent-ils à produire eux-mêmes les moteurs de leurs voitures. Une volonté industrielle de bonne facture n'égalant pas forcément une réalité économique, la marque s'éteindra avant de s'imposer sur les grands marchés.
Aujourd'hui, la B5 retrouve les chemins de France, Paul-Alexandre et les siens se chargeant de pédagogie historique lors des événements autos. La Grand-Sport va aussi retrouver son cahier des charges et montrer ses performances, le tout avec élégance bien entendu. Le jeune pilote et conservateur est en chasse à nouveau. Il manque le modèle Bol d'Or pour accompagner la B5. « L'histoire serait belle, et bouclée. Et pour le coup, un retour à Montlhér y serait jubilatoire. »

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