Bruno Sacco : chef étoilé
C'est un personnage atypique qui nous a quittés en septembre dernier. Bruno Sacco avait dirigé le style de Mercedes-Benz pendant un quart de siècle sans jamais prendre les attitudes convenues de ses pairs, et sans jamais oublier de mettre en avant la défense et l'illustration de l'image de sa marque. Par Serge Bellu.

Bruno Sacco, ingénieur et styliste d'origine italienne, a marqué le design Mercedes-Benz de 1975 à 1999 en alliant tradition et modernité avec rigueur et innovation.
Il n'était pas connu du grand public qui pourtant considère que beaucoup des automobiles dont il a assuré le développement comptent parmi les expressions les plus judicieuses de ce que doit être une “Mercedes”. Bruno Sacco appartient à un autre siècle, à un autre monde où le design n'occupait pas du tout la même place qu'aujourd'hui dans la vie des entreprises. Il s'est éteint le 19 septembre 2024 à l'âge de 91 ans. Entré chez Mercedes-Benz en 1958, il a dirigé les studios de création de la marque de 1975 à 1999.
Avec sa silhouette impeccable et énigmatique, digne du Von Stroheim de La grande illusion, on aurait pu imaginer que ce fils de militaire avait toujours été détenteur de la nationalité allemande. Pourtant, Bruno Sacco était d'origine italienne. Son Italie, ce n'était pas la Toscane ou la Sicile, mais une région sombre et austère. Bruno Sacco est né le 12 novembre 1933 à Udine, la capitale du Frioul, une ville tranquille nichée pas très loin de la frontière slovène.
Naissance d’une vocation
Studieux et discret, Bruno Sacco fait des études brillantes et obtient son diplôme de géomètre à 17 ans ; une première en Italie. Comme beaucoup de ses contemporains, il se passionne pour les trains miniatures, mais il témoigne aussi d'une attirance particulière pour le monde de l'automobile. Il découvre les ressources infinies de la carrosserie italienne en visitant pour la première fois le Salon de l'Automobile de Turin en 1951. Les artisans carrossiers pullulent alors tout autour de Turin, mais aussi à Milan, Modène ou ailleurs.
Il y a déjà les grands noms qui se détachent, les Pinin Farina, Bertone ou Vignale de plus en plus sollicités par les constructeurs du monde entier. Il existe surtout une pléthore d'entreprises plus modestes, parfois confidentielles, mais très prolifiques. Ces ateliers nourrissent le marché parallèle de la “fuori serie”, les productions hors-série. Les Moretti, Lombardi, Boneschi, Allemano, Viotti et une nuée d'autres officines s'emparent des voitures populaires italiennes pour leur octroyer soit une finition personnalisée soit une carrosserie qui ne figure pas au catalogue officiel des constructeurs.
En 1955, le jeune Bruno Sacco finit par pousser la porte de la carrosserie Ghia, à Turin. Il y découvre le métier, sa diversité, ses exigences qui recouvrent à la fois des connaissances techniques, une sensibilité artistique et un savoir-faire artisanal. Un beau jour, à Turin, il parvient à provoquer un rendez-vous avec Karl Wilfert, un personnage influent qui occupe une importante fonction chez Mercedes-Benz. Cet ingénieur est arrivé dans l'entreprise en 1933, il fut longtemps responsable de la recherche avant de prendre en charge le développement des carrosseries en 1959.
Karl Wilfert invite Bruno Sacco a le rejoindre à Sindelfingen, dans la banlieue de Stuttgart, là où sont conçues les voitures frappées de l'étoile. Bruno Sacco est engagé comme styliste en janvier 1958 et rejoint dans cette fonction nouvellement créée un confrère français. Il se nomme Paul Bracq, il est bordelais, il a le même âge que Bruno Sacco et il s'est formé au métier de styliste avec Philippe Charbonneaux. Venu en Allemagne pour effectuer son service national, Paul Bracq s'est finalement enraciné outre-Rhin où il allait construire sa vie familiale et sa carrière professionnelle.

Les Mercedes signé Sacco
Il est engagé chez Mercedes-Benz en janvier 1957 pour se consacrer au style avancé. Paul Bracq et Bruno Sacco vont devenir très proches et entretenir cette connivence. À cette époque, Karl Wilfert est en train de mettre sur pied un véritable studio de création. Il confie la direction des studios à Friedrich Geiger qui lui aussi est un vieux collaborateur travaillant à Sindelfingen depuis 1933 ! Chez tous ces ingénieurs qui flirtent avec le monde du design, la frontière est floue entre l'activité artistique et la compétence technique.
Toutes les personnalités impliquées dans la création artistique s'appuient sur un sérieux bagage technique. D'ailleurs, lorsque Bruno Sacco prend la suite de Friedrich Geiger à la tête des studios, en 1975, c'est avec le titre d'ingénieur en chef. Bruno Sacco n'a rien du styliste tel qu'on l'imagine aujourd'hui. Ce n'est pas un artiste extraverti, gesticulant autour des courbures de ses carrosseries, sautillant avec des sneakers soigneusement choisies. Bruno Sacco est très concerné par la technique. Il travaille en étroite collaboration avec l'ingénieur Béla Barényi, l'homme de la sécurité chez Daimler-Benz.
Également dans le domaine de la recherche avancée, Bruno Sacco suit de près le développement des prototypes C111 qui explorent les possibilités du moteur à piston rotatif. Mais l'essentiel de la tâche de Bruno Sacco en tant que patron du style est de fixer une ligne de conduite, définir ce que doit exprimer une Mercedes en matière de style, doser subtilement contemporanéité et respect de la tradition, gérer classicisme et modernité avec tact, éviter les dérapages, les emportements, les dérives.
À ce titre, les réussites se sont accumulées tout au long du mandat de Bruno Sacco. Quand on l'interrogeait sur ses réalisations favorites, il citait volontiers la Classe S de la génération C126 apparue en 1986 et particulièrement le coupé 560 SEC, ou la SL de la génération R129 (1989), ou encore la petite 190 qui parvenait à transposer les standards habituels des grandes Mercedes dans une berline compacte.
N'oublions pas que Bruno Sacco, capable de toutes les audaces, fut aussi confronté à l'élargissement de la gamme avec l'atypique Classe A. Un an avant de prendre sa retraite, Bruno Sacco entreprend la construction d'un nouveau centre de design à Sindelfingen. Il fait appel à Renzo Piano qui travailla en coopération avec Christoph Kohlbecker. Histoire de laisser une trace indélébile de sa curiosité.

Mentionnés dans cet article
OU