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Colin Chapman, entre routes et flots

Avant d’être un film culte de James Bond, Moonraker fut aussi un chantier naval dirigé par Colin Chapman, le fondateur de Lotus. Une aventure méconnue où l’ingénierie automobile se jette à l’eau. Par Alexandre Lazerges

Modifié le Écrit par La Rédaction
Colin Chapman, entre routes et flots
Alexandre Lazerges
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Parenthèse peu connue dans la vie du mythique fondateur de Lotus Cars, entre 1972 et 1980 Colin Chapman prend le contrôle du chantier anglais Moonraker, leader dans la conception de coques en fibre de verre, et s'essaye même brièvement à la compétition motonautique avec son fils Clive. Flash-back.

Pour beaucoup d'entre nous, Moonraker est le titre du James Bond spatial de 1979, le film sorti deux ans après L'Espion qui m'aimait (1977) resté dans les mémoires pour sa fameuse Lotus Esprit blanche qui se transformait en sous-marin. Mais Moonraker, c'est aussi le nom du chantier naval acheté en 1972 par Colin Chapman, le fondateur de la marque Lotus. Qu'est-ce qui a bien pu pousser l'inventeur de la formule « light is right » (la légèreté c'est bien) à se lancer dans la construction d'une vedette de 36 pieds ?

Colin Chapman, entre routes et flots
Alexandre Lazerges

D'après Gérard “Jabby” Crombac, fondateur du magazine Sport Auto et auteur de la biographie officielle de Chapman : « Colin n' était pas un grand amateur de navigation et ne montait jamais sur le voilier de son père. Ce qui l'attirait, c'était de pouvoir appliquer à un domaine qu'il connaissait peu la technique de construction des carrosseries automobiles en fibre de verre. » L'objectif était donc de remplacer le bois des coques par un système d'infusion sous vide sur un moule afin de gagner un maximum de poids.

Lorsqu'on lui propose l'affaire, Moonraker est le nom de baptême d'un bateau en fibre de verre commandé en 1967 par un officier allemand de la marine marchande du Rhin, qui voulait une vedette proche du Ocean 30 du chantier Aquafibre, mais avec un aménagement différent. Malheureusement, le commanditaire meurt avant la livraison du navire, laissant une ardoise au chantier naval Vic Bell dans le Norfolk qui sous-traitait pour Aquafibre. David Buxton, concessionnaire Lotus et pilote amateur au volant d'une Lotus Elite, rachète alors la coque et les plans du Moonraker auquel il ajoute un mini-bar à cocktail et une chaîne hi-fi pour faire chic.

Il parvient à écouler six exemplaires de cette grosse vedette mais le chantier rebaptisé Moonraker se retrouve à court de liquidités, obligeant David Buxton à contacter Colin Chapman qui le rachète en son nom propre en 1972. À l'époque, le fondateur de Lotus a déjà remporté quatre titres de champion du monde de Formule 1 et le succès de la petite sportive Elan l'a rendu millionnaire, il est donc mûr pour se lancer dans le nautisme. En à peine six mois, il parvient à réduire les coûts de fonctionnement de l'entreprise, rationalise la production et ajoute un flybridge sur le pont du bateau.

Le succès du Moonraker 36

Avec ses grandes surfaces vitrées, le Moonraker 36 ressemblait à un mini-yacht aux performances de vedette sportive. Sa coque semi-planante et son étrave en V profond lui assuraient une excellente tenue de mer, et ses deux diesel de 145 chevaux à ligne d'arbre autorisaient une vitesse de 18 nœuds. Par comparaison, les trawlers Grand Banks de 36 pieds offraient une vitesse maxi de 9 nœuds seulement. Bref, le Moonraker, vendu 10 000 £, devient le fer de lance des nouveaux bateaux en fibre de verre et trouve rapidement son public, obligeant Colin Chapman à acheter le chantier JCL Marine pour honorer toutes les commandes.

Profitant de ce nouveau site de production, la décision est prise d'étendre la gamme avec le Marauder 46 et sa version méditerranéenne, le Mamba, auxquels s'ajoutent le Mirage et le Mystere, deux bateaux italiens en bois dont Chapman se sert pour créer un moule des coques en fibre de verre. D'après l'ingénieur du chantier Colin Gething cité par Crombac : « Grâce à la fibre de verre les Mystere et Mirage pesaient près de moitié moins que leur version originelle en bois» Chapman a donc réussi son pari, et comme il reste passionné de compétition, il dessine et fabrique en parallèle une petite coque ultrarapide pour les courses de hors-bord qu'il destine à son fils Clive.

« Mon père ne voulait pas me voir piloter une voiture de course alors il m'a proposé les compétitions de motonautisme pour la saison 1977-78 , se souvient le fils aujourd'hui chargé de l'héritage de la marque avec Classic Team Lotus. En réalité, ces petits bateaux ultralégers au ras de l'eau étaient encore plus dangereux que la course automobile et j'ai préféré arrêter après avoir assisté à plusieurs chavirages dramatiques. »

Mon père ne voulait pas me voir piloter une voiture de course alors il m'a proposé les compétitions de motonautisme.

Clive Chapman
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Déclin et fermeture du chantier

Pendant ce temps, la production des nouveaux bateaux s'enlise. Le Marauder 46 souffre de retards de fabrication et de dépassement de coûts non prévus obligeant les clients ayant acheté sur plan à repasser à la caisse, ce qui entraîne des poursuites judiciaires contrariantes.

Malgré les excellentes ventes du Moonraker 36 qui culminent à 400 exemplaires et dont on trouve encore actuellement des modèles à vendre en occasion entre 15 000 et 30 000 euros, 18 exemplaires du Marauder 46 seulement ont été produits et 12 de la version Mamba. Même déception pour les modèles Mystere, produits à 15 exemplaires, et les Mirage au nombre de 19.

Finalement, Colin Chapman décide d'arrêter les frais, et ferme Moonraker en 1980, pour deux raisons : d'abord l'introduction au Royaume-Uni de la TVA sur les bateaux qui en augmente considérablement le prix d'achat, mais aussi car il doit se concentrer sur la refonte complète de la DeLorean DMC12 en vue de son industrialisation.

C'est d'ailleurs le stress créé par la mise en production de cette belle voiture qui aurait contribué à la crise cardiaque fatale à l'ingénieur en 1982. Il n'a donc pas vu le film  Retour vers le futur (1985) qui a transformé ce coupé inoxydable en voiture culte, exactement comme la Lotus Esprit sous-marine de l'agent James Bond.

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