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Des canons aux carrures

Dans le Grand Est, Pierre Supper forge des montres uniques en mariant l’art de la coutellerie à celui de l’horlogerie. Avec Layer Watches, chaque pièce raconte une histoire de métal, de passion et de précision. Par Arnaud Choisy

Modifié le Écrit par La Rédaction
Des canons aux carrures
photos Julien Mélica
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Layer Watches, créateur horloger français joliment confidentiel, est fondé en 2011 par Pierre Supper. La particularité de LW ? L'emploi d'un alliage aux motifs uniques, le damas. Parcours passionnant, noblesse historique de la matière, il ne nous en fallait guère plus pour une première présentation.

Nous sommes dans le Grand Est, à quelques encâblures de Metz, là où les hivers sont rudes et prescrivent de rester au chaud. Pourtant, la région est celle des gens de la terre et des récoltes viticoles qui s'exportent. Si les fines bulles des vins de champagne régalent les papilles des amateurs du monde entier, certains artisans préfèrent, eux, le huis clos de leurs ateliers. Discret, sans aucun signe extérieur ostentatoire, Pierre Supper est l'un d'entre eux.

Il est le créateur de Layer Watches. Lorsque l'on est invité à le suivre, les 100 m2 qu'il occupe laissent une oscillante impression : entre petit musée de la machine-outil vintage - mais si précise encore - et atelier bien vivant où se fabriquent et s'assemblent, intégralement à la main, montres uniques en leur genre.

L'inspiration derrière la montre en damas

La genèse de Layer Watches ? Pierre répond : « Une montre en damas, ça n'existait pas et personne n'en produisait. J'en avais aperçu une au poignet d'un vendeur dans une coutellerie, une micro série de 2 ou 3 montres réalisées par Schneider, mais en dehors de ça… » Si, en horlogerie, existent de nombreux métaux précieux ou pierres rares, fabrication et usage du couteau imposent l'emploi plus restreint de matériaux. Pourtant, les meilleurs couteliers réussissent à produire de sublimes résultats grâce au travail d'un alliage ancestral, l'acier damas.

L'exactitude étant brouillonne, on estime qu'il aurait été forgé pour la première fois entre 1100 et 1500 ans av. J.C., sur la base de l'acier wootz du sud de l'Inde, voire au Khorasan du nord-est de l'Iran. La Route de la Soie aurait ensuite favorisé son commerce jusqu'au Proche-Orient pour devenir fines lames forgées en Syrie à…Damas. Le damas résulte d'une superposition de deux types d'aciers. Forgé au borax, baigné au perchlorure de fer, il révèle toutes ses “couches” (layer en anglais) en motifs simples ou complexes.

Des canons aux carrures
photos Julien Mélica

« Mes premières études pour cette montre en acier damas datent de 2008 mais c'était introuvable. Me rendant souvent aux USA, je demandai à Chad Nichols - maître forgeron et fournisseur de damas pour les plus grands couteliers - une formule inoxydable et non allergène. Cela lui prendra deux ans ! » Obstiné, il passe ensuite la frontière suisse, rencontre deux personnes, sceptiques, qui acceptent moyennant une production minimum de 75 montres. Le budget est solide. Pierre signe, à la seule condition d'être présent à chaque étape de leur fabrication.

Du couteau à la montre : un artisanat de précision

« Dans cette aventure, je suis passé de la mécanique à la micromécanique. On déplace les virgules, on ne travaille plus au 10e mais au micron» Quant aux premières ventes, elles ne seront pas réalisées en bijouterie-horlogerie mais… en coutellerie. « Je savais que seul un amateur de couteau en damas reconnaîtrait et apprécierait l'idée et cette réalisation. » Couteliers américains et collectionneurs ne s'y trompent pas, franchissent la passerelle reliant les deux artisanats, passent commandes. Au cœur des Layer Watches on trouve un mouvement automatique qui a fait ses preuves, le Sellita SW200. Pierre dit : « C'est le clone du 2824-2 d'ETA, une charrue fiable qui peut être entretenue à peu près partout dans le monde. » L'enthousiasme des acquéreurs le pousse ensuite à créer des modèles uniques qui puisent, là encore, dans l'univers du tranchant. Il tourne lui-même ses carrures dans l'acier, l'aluminium, le bronze, le titane.

Certains exemplaires sont ornés de remontoirs en Mokuti - un damassé de titane de grades différents et révélé à la flamme donnant des motifs toujours uniques. Cadrans et index sont de nacre, de météorite ou, ultra-original, en supraconducteur. Layer Watches designe et raconte à la fois transformation et façonnage du métal, fait le lien entre coutellerie des plus belles lames et horlogerie de garde-temps uniques. Armurier, coutelier, horloger, voilà qui résumerait (trop) brièvement le parcours de Pierre : « J'ai toujours aimé la mécanique.

En 1988, mon père ouvre une armurerie à Metz mais sans atelier. J'ai très vite compris que c' était ce que je voulais : officier dans l'arrière-boutique sur les armes de ses clients» Ses études lui font quitter la vallée du Rupt-de-Mad pour intégrer la Manufacture d'Armes de Saint-Étienne. De retour en son Est natal, il développe l'atelier paternel, prend plus tard ses distances, décide de l'aventure à son compte en coutellerie, accompagné de son épouse. « Nos débuts furent vraiment difficiles, à se chauffer au bois dans la boutique qui sentait le feu de cheminée. »

Des canons aux carrures
photos Julien Mélica

Les conditions sont rudes, modestes, mais ne refroidissent aucunement l'envie. Pierre descend à Thiers, capitale de la coutellerie hexagonale s'il en est une, s'y fait jeter car étranger sur son propre sol mais ne lâche rien.Il obtient la confiance de Pierre Dugourd et d'Henri Lafaye qui fournissent les couteliers thiernois en matières premières. Il en rapporte et c'est en couple que l'établissement produit ses premiers Laguiole à mouche forgée. Curieux, appliqué, entrepreneur, il devient parallèlement importateur de couteaux exotiques, se rapproche du coutelier rock'n'roll Fred Perrin, lance sa marque propre “Max Knives”. Il s'équipe bien sûr.

Les machines-outils fascinent l'entrepreneur qui en acquiert dès que possible. Elles lui permettent d'explorer, de mieux créer. Celles-ci réduisent en taille, en tolérance, gagnent en précision. La fabrication d'une Layer Watches, selon les envies du futur acquéreur, requiert entre 80 et 100 heures de travail. Si le carnet de commandes est aujourd'hui complet, il reste quelques exemplaires, tous uniques, disponibles à la vente sur le site. Le Temps est une superposition dont chacune des couches raconte périodes paisibles ou révolutions. Il semblerait que ce soit cette fois autour du damas…

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