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Rae Ripple : La dentellière du Texas

Publié le Écrit par La Rédaction
Rae Ripple : La dentellière du Texas
© Rae Ripple
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Picasso aurait dit un jour : « Efface le gris de la vie et allume les couleurs que tu possèdes à l'intérieur. » Il est certain que c'est depuis le plus sombre des gris que Rae a commencé la sienne. Une enfance terriblement dure, qu'on n'envie pas, et une adolescente qui se retrouve sans domicile fixe à quatorze ans dans les rues de Dallas. La pudeur, certains silences, même très courts, imposeront de ne pas lui en demander plus ; le sujet de notre rencontre non plus. Mais qui donc est cette Rae Ripple ? Rae vit désormais avec son mari et ses deux enfants aux quasi portes du désert, quelque part vers Big Spring, Texas. Un endroit qu'elle a choisi pour le calme et cette forme de sérénité qu'apportent parfois les grands espaces. Pourtant, pour qui connaît un peu celui à qui “on ne cherche pas d'ennuis” (“don't mess with Texas”), on ne pourra ne pas passer sous silence ni la rudesse de son climat, le mercure dépassant régulièrement sans forcer les 50 degrés, ni la rugosité de ses habitants qui vivent sur un territoire plus vaste que la France. Pour sortir de ses années difficiles, notre artiste exercera des métiers improbables pour une femme de 1,58 mètre pesant cinquante kilos. Des métiers durs et naturellement associés, à tort, à leur exercice par des hommes : pompier ou dépanneur routier furent de ceux-là, ce qui, concernant le dépannage, donnera lieu à des situations bien plus embarrassantes pour la victime, souvent masculine, du banal pneu crevé en pleine nuit, au milieu de nulle part, et dépannée par la jeune femme aux yeux bleu glacier.

« Je n'ai aucun parcours académique. Je ne dessine pas, je fais tout instinctivement. »

Maman d'un premier enfant à seulement 18 ans, puis d'un second quelques années plus tard, elle reconnaît que tous deux ont été une formidable source de résilience, une force permanente pour tenir bon dans les moments durs. Lorsque enfin lui est donnée la possibilité d'un temps libre, c'est sur toile qu'elle profite d'elle-même : « Je n'ai jamais imaginé une seule seconde avoir la moindre sensibilité artistique. De là où je venais, avec mon parcours, comment cela pouvait-il être même possible ? », reconnaît-elle. Pour son seul plaisir, elle peint naïvement des formes abstraites. Bien sûr, dans les conditions d'un quotidien où les moyens financiers manquent régulièrement, en bonne garce, la réalité finit toujours par vous rattraper. Cette réalité prendra la forme d'un vieux pick-up Apache des années 50 et maintenu en vie façon acharnement thérapeutique puisque s'en payer un nouveau est inenvisageable. Alors, on fait par soi-même, on va voir ceux en qui on a confiance et qui n'hésitent pas à vous tendre la main lorsque nécessaire. C'est une colonne de direction brisée qui lui fera prendre en main son premier poste à souder. Guidée par un ami, Rae répare, recolle du métal comme on assemble des morceaux de vie insoupçonnée.

Il y a déclic. Les toiles deviennent pièces de métal et les formes abstraites, sculptures en volume. Sa première ?

Une immense clé squelette de 3,50 mètres de haut. Quel symbole ! Sans s'en rendre compte, Rae vient de donner à voir au monde que du fin fond des enfers on peut trouver la clé qui vous ouvre les portes d'une vie valant enfin le coup d'être vécue. Les pinceaux deviennent torches au plasma et, découvrant la puissance de l'outil, elle s'attaque, belle revanche, à la carrosserie de son vieux pick-up pourri. Génération digitale oblige, elle publie sur les réseaux sociaux et ses créations deviennent virales. Les images sont partagées, livrées au monde et… adorées. Rae est devenue artiste. « Je n'ai aucun parcours académique. Lorsque je me lance sur une nouvelle sculpture, je ne dessine pas. Je pars du sol et je bâtis tout au fur et à mesure. Je fais tout instinctivement. » Le carnet de commandes est aujourd'hui aussi rempli qu'une liste de mariage. Sculptures géantes, carrosserie en dentelle du Chevy Master Deluxe des années 50 de son ami Terry Leatherwood, réservoirs de Harley-Davidson, tout ce qui passe entre ses mains prend une autre dimension, tout prend simplement vie. De la hache géante pour la Timber Craft Distillery en passant par l'armadillo, animal totem du Texas, Rae sculpte en grand : « Sans doute parce que j'aimerais que ce que je crée aujourd'hui subsiste après ma mort. » Lorsqu'elle ne s'affaire pas à l'atelier, son temps libre, elle l'occupe entre autres à parler aux jeunes. Très engagée, elle dit : « L'Amérique se barre en vrille, c'est de pire en pire et depuis quelques temps, j'interviens dans les écoles pour parler de mon histoire, de ce que j'ai vécu. Je tente de donner des clés à des gamins pour leur éviter de reproduire mes propres erreurs. » Ainsi que de vieux fantômes qui ne vous quittent plus, Rae ne pourra jamais oublier d'où elle vient. Enfin, pour le côté garçon manqué dont on perçoit encore les aspérités, elle et son mari, cascadeur de métier, font les andouilles en moto.

Je ne suis jamais rentré dans les détails de la vie passée de Rae, celle d'avant, mais je ne sais que trop combien la rue peut être violente voire impitoyable. Prenant un peu de recul sur notre conversation, je mesure à quel point il lui aura fallu d'énergie et de force pour en arriver là où elle est rendue aujourd'hui. Enfin, comme une nouvelle attention, comme un manifeste autodidacte maternel, notre artiste texane vient de publier un livre pour enfants écrit et coillustré avec son fils. When I grow up (Quand je serai grande) est l'histoire d'une petite fille qui veut devenir soudeuse. Une histoire à lire le soir, au coucher des marmots, et qui raconte aux petites filles qu'elles aussi ont le droit à rêver de devenir qui elles souhaitent. Pure autodidacte, Rae est convaincue de la part de créativité qui est en chacun de nous : « Peu importe d'où l'on vient, il y a quelque chose, une raison, un but pour lesquels nous sommes nés. Certains naissent pour devenir artistes, pour exprimer leur créativité mais quoi qu'il en soit, il faut connaître l'échec car c'est bien lui qui, lorsqu'il est accepté, nous emmène ailleurs, plus loin, plus haut. Moi, j'essaie de m'y tenir. » « Il faut connaître l'échec car c'est bien lui qui, lorsqu'il est accepté, nous emmène ailleurs, plus loin, plus haut. Moi, j'essaie de m'y tenir. »

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