Pierre Schreiber : Engrenages criminels

Marseille. Nous sommes au bout de la Corniche Kennedy, des pointus se bercent sous le soleil.

Massées autour du bassin, les petites maisons de pêcheurs aux couleurs vives montent la garde.

Le Vallon des Auffes est un endroit à part, une enclave à l'abri de la rumeur cosmopolite de la ville. Les trois arches du pont de pierre qui enjambe l'entrée du port ont l'air d'avoir été édifiées pour en limiter l'accès. Ce petit port de pêche pittoresque semble avoir été tout bonnement oublié là par le XXIe siècle. Hors du temps. Peut-être est-ce pour cette raison que Morgan Baxter, ancien colonel du GIGN devenu horloger, a choisi d'y installer son atelier, à l'abri d'une porte insonorisée de la petite maison qu'il occupe depuis qu'il a choisi de tout quitter. Peut-on imaginer plus grand écart ? À la tête d'une section d'intervention d'un commando d'élite, le personnage imaginé par Pierre Schreiber semble avoir fait un virage à 180 °, choisissant de vivre, presque reclus, entre son atelier et le bistrot de port où il prend son café chaque matin et passe, occasionnellement, un coup de fil. Car Morgan Baxter n'a pas le téléphone. Globalement, Morgan Baxter n'aime guère les contacts. Ni les compromissions, raison pour laquelle il s'est retiré du monde, ou presque.

« Mon horloger a une capacité un peu supérieure à la norme à comprendre la mécanique des mouvements. »

Passionné d'horlogerie - « mais pas expert » prend-il soin de préciser -, Pierre Schreiber a grandi à la frontière du Jura suisse. Il va prêter son goût pour la mécanique horlogère à son personnage. « Je cherchais une activité solitaire dans laquelle il pouvait déployer ses compétences. J'ai fait de l'horlogerie, qui me fascine, l'occupation diamétralement opposée à son métier de gendarme d'intervention » explique Pierre Schreiber, auteur de la série L'Horloger dont le 4e opus -Justice clandestine - vient de paraître. « Mon horloger a une capacité un peu supérieure à la norme à comprendre la mécanique des mouvements. » Morgan Baxter n'a besoin que de quelques instants d'observation attentive pour visualiser le jeu complexe des composants d'un mouvement et l'évidence de leurs interactions. Sa deuxième obsession procède d'une même logique d'ordre et d'équilibre. « Il tient à rétablir l'ordre des choses, dans la vie et dans la justice. C'est presque philosophique, j'aime bien le parallèle entre les deux. » Retiré des affaires, Morgan Baxter n'en a pas fini avec le crime organisé pour autant. Sa fille unique, Roxane, a suivi les traces de son père et s'est engagée dans une section de recherches de la gendarmerie à Marseille. Quand elle se trouve impliquée dans une intrigue inextricable, “L'Horloger” va délaisser loupe, brucelles et tournevis pour enfourcher son T-Max et reprendre son rôle de justicier implacable aux méthodes musclées, pas toujours très orthodoxes, pour voler à son secours. Ce n'est qu'après avoir résolu les mystères d'une disparition, d'une série d'enlèvements, et déjoué les manœuvres d'un politicien véreux que Morgan Baxter pourra enfin retrouver son atelier et la sérénité du Vallon des Auffes. Les changements de vie, Pierre Schreiber connaît. Dans une certaine mesure, cet ancien chef d'entreprise spécialisée dans le tourisme, globe-trotteur dans l'âme, a choisi une vocation qui n'est pas sans rappeler celle de son personnage. Des aéroports, il est passé à la réclusion choisie de l'écrivain dans sa maison de Provence. Sa destinée était-elle écrite ? Allez savoir. .. Quand on s'appelle “Schreiber”, qui signifie “écrivain” dans la langue de Goethe, on pourrait y voir un signe. En 2019, son premier roman rafle la deuxième place du Grand Prix des enquêteurs organisé par la maison d'édition Robert Laffont. C'est le déclic. Plutôt que l'édition classique, il choisit de maîtriser sa distribution via Amazon.

“L'Horloger” répare les injustices comme il répare un mouvement

« Il a fallu une grosse année avant de faire des ventes significatives. Trois ans après, le pari est gagné et je fais partie des romanciers qui vivent de leur plume. » Ce quatrième volume de cette série est son 11e roman. Un rythme qui n'est pas sans rappeler celui des auteurs de ces romans-feuilletons populaires dont les épisodes tenaient les lecteurs des journaux en haleine au XIXe siècle. On est bien loin de la vision bucolique de l'écrivain à sa table. « J'ai toujours découpé le temps en phases, quand j'ai reconfiguré ma vie et que j'ai choisi de vivre de ma plume je me suis organisé pour en vivre en trois ans. Mon rapport au temps était très arithmétique. » Il faut tenir la cadence, produire chaque jour le nombre de mots prévus. « Un roman c'est deux mois d' écriture et deux mois de correction. Début 2024, j'ai commencé à vendre assez de livres et je me suis autorisé à perdre du temps. Je contemple, je me promène et je lis des choses que je n'aurais pas lues avant. Je m'autorise à voyager. J'aime bien cette forme de schizophrénie, entre les phases où je suis concentré sur un rendu et celles où je ne porte pas de montre parce que le temps n'a pas d'importance. »