Une question de temps

Ce n'est qu'une question de temps et il est compté pour toi. Ainsi résonnait un des couplets de A Question of Time, classique de Depeche Mode sorti il y a déjà bien longtemps, le 11 août 1989 précisément. Les deux figures mythiques du groupe britannique, Martin Gore et Dave Gahan, ont depuis pris de la bouteille assurément. Des rides profondes comme finement ciselées par un sculpteur pour le premier. Le cheveu poivre et sel, coiffé vers l'arrière, pour le second.

Mais l'aura de ces dandys post-punk irradie encore pareil, immarcescible. Et ce flegme qui cingle toujours autant. « Nous ne sommes pas des fabricants de montres ! » sourit large Martin Gore qui, sous d'autres lunes, aurait pu faire un excellent Joker au cinéma. « Nous laissons les équipes de Hublot s'occuper du design. Évidemment, nous recevons très en amont les premiers croquis, les épreuves, afin de donner notre avis. » Dernière montre en date née de cette collaboration entre le groupe de “synthpop” et la maison horlogère basée à Nyon, la Spirit Big Bang Depeche Mode est sous influence directe de leur 15e album, Memento Mori (en latin : “Souviens-toi que tu te meurs”). Une inspiration que souligne Ricardo Guadalupe, big boss de la manufacture suisse : « Memento Mori nous pousse à prendre conscience que le temps presse, une notion à laquelle nous ne pouvons bien sûr qu'être sensibles en tant qu'horlogers. »

Sur le sablier

« De toute façon, les rock stars ne meurent jamais » lance, doux-amer, Dave Gahan devant un parterre de journalistes et de clients privilégiés de la marque. « C'est un moment important pour le groupe qui repart en tournée pour la première fois depuis cinq ans , enchaîne le chanteur. Et c'est incroyablement significatif d'avoir à nouveau un si grand partenaire à nos côtés. » Dévoilé pour la première fois au public, le nouveau fruit de cette union entre les créateurs de People Are People et d' Everything Counts et Hublot en jette. Boîtier en céramique forme tonneau, esthétique “All Black” et sur le cadran un crâne à faire pâlir (plus encore) de jalousie celui qu'arbore le Punisher de la Marvel sur son torse. Et puis, il y a le “truc” en plus - un ajout quasi philosophique.

Derrière le crâne, un sablier de billes de céramique s'écoule selon le mouvement du poignet. « Cette montre a finalement été assez simple à imaginer , admet Richard Guadalupe. Le crâne est directement inspiré de l'album. Et l'idée de faire passer cette notion du temps qui file au niveau même du cadran de la montre était presque une évidence pour nous. Le résultat est stupéfiant. » La Spirit Big Bang Depeche Mode - les initiales du groupe apparaissent en rouge à 6 heures - a été produite à 100 exemplaires vendus 35 400 €. Pourquoi ne pas se laisser tenter ? « We all gonna die anyway ! » pour reprendre la formule fataliste de Martin Gore lancée en fin d'interview.

14 ans d'amitié

Pour revenir à la source de cette entente inattendue entre les papes du post-punk et l'honorable marque horlogère, il faut remonter à 2010. Depeche Mode est alors en concert à Prague et profite de son temps libre pour visiter la ville de Kafka. Là, les garçons tombent sur le pavillon local Hublot à l'intérieur duquel - ô hasard bienheureux - le PDG d'alors, Jean-Claude Biver (futur président de la division montres de LVMH), donne un entretien. Échange de politesses et de cartes de visite : naît ainsi une collaboration au débotté. Et non des moindres. Car, parallèlement à la création de nouveaux modèles Hublot, cette excellente entente engendrera, au fil des ans, des fonds conséquents qui iront à différentes associations comme le Teenage Cancer Trust, Charity: Water et, aujourd'hui, Conservation Collective en lutte contre la prolifération du plastique dans les mers du monde entier. En 2014, Ricardo Guadalupe expliquait : « Si notre amitié peut faire la différence, alors il ne faut pas hésiter. Car le lien, c'est le partage. Si vous ne partagez pas, vous vous appauvrissez. Hublot a de la chance et du succès et doit pouvoir en reverser une part à ceux qui en ont besoin. » Pour l'histoire, 2014 était l'année même de la tournée Delta Machine. Mais aussi celle du lancement de la Hublot Depeche Mode édition limitée en acier tirée à 250 exemplaires. Trois ans plus tard, une nouvelle édition limitée est présentée à Baselworld, la sportive Big Bang Unico Depeche Mode, alors que le groupe s'apprête à entamer son Global Spirit Tour. En 2018, Hublot s'offrira un joli tour de force : 55 montres Big Bang Unico à l'effigie des 55 singles sortis par Depeche Mode ( Precious , Dream On ...). Le produit net de ces Hublot “The Singles” sera ensuite reversé à l'association Charity: Water pour l'approvisionnement en eau potable des pays en voie de développement.

Association de bienfaiteurs

« Avec les années, une amitié s'est créée même si nous ne passons pas nos vacances ensemble. Nos retrouvailles se font sur des événements mais elles sont toujours chaleureuses » sourit, ce soir-là, un Ricardo Guadalupe désarmant de sincérité. « Martin est quelqu'un de très poétique, de très réfléchi, poursuit-il . C'est lui qui a toujours été à l'origine des projets à soutenir. Il est très impliqué dans l' écologie, l'environnement. » Et Dave Gahan dans tout ça ? Le PDG de Hublot répond tout de go : « Lui, il aime la vie, sa femme, la gastronomie. Dave, c'est un jouisseur. C'est pour ça que tout fonctionne encore entre eux. Martin et Dave sont complémentaires. » Il y a donc dans cette association de bienfaiteurs un lien désormais infrangible, forgé par le goût du beau, du rythme et du temps bien comblé. À propos de temps, s'il avait le loisir de voyager à son aise dans les époques, laquelle Dave choisirait-il ? « J'irais voir dans le futur. Je suis assez curieux. Et je doute que ce soit pire qu'aujourd'hui » dit-il non sans une pointe d'ironie.

Ce soir-là, au Mercedes-Benz Arena de Berlin, le groupe clôture son concert sur un Personal Jesus martelé dans une salle nimbée d'un rouge infernal. Pour enfoncer le clou, le leader se met à se dandiner, croupe face public, dans une ultime provoc' certes un peu datée mais qui remporte toujours un franc succès. Sur scène, on s'enlace, on s'embrasse, puis ce sont les salutations. Le job est fait. Magistralement, cela va sans dire. 1 h 50 de longue haleine et que de courts essoufflements. Mais le retour du groupe sous les injonctions heureuses de la foule et leurs derniers morceaux envoyés en rafale auront de quoi réveiller jusqu'à l'esprit d'Andrew Fletcher, le troisième larron à jamais endormi en 2022. Tout cela est passé à une vitesse. .. Le temps qui s'envole. Qui encore pour s'étonner qu'on ait posé un crâne sur leur Big Bang de chez Hublot ? Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Relisez donc la Vulgate.