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Karaboudjan : Le yacht aux pinces d’or

Publié le Écrit par Mamy Yves Ratsimbazafy
Karaboudjan : Le yacht aux pinces d’or
© Fabrice Berry
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Ce matin-là, il règne une ambiance particulière sur le port de Dinan, dans les Côtes d'Armor en Bretagne. Une légère brume se lève, révélant un soleil resplendissant. Quelques promeneurs flânent et la plupart marquent un temps d'arrêt devant une carène ivoire élancée, celle du motoryacht Karaboudjan. Impossible de ne pas remarquer l'élégance de ses lignes et la qualité de ses finitions en bois vernis. Impressionné, un jeune homme demande timidement au propriétaire : « Je peux prendre une photo ? » C'est ce même coup de cœur auquel succomba Pascal Marcel en 2015. L'homme n'est pas un néophyte : il a construit, loué et vendu des bateaux toute sa vie. Il a notamment conçu et fabriqué l'un des premiers catamarans destinés au grand public : le Ville Audrain, du nom de son chantier à Saint-Malo. Le bateau est très rapide et connaît un certain succès, mais le modèle économique n'est pas viable et la concurrence est rude. Finalement il évolue vers la vente et la location de bateaux, en Bretagne d'abord, puis aux Antilles. Sa société connaît un certain succès et pour sa retraite, il décide de s'adonner à sa passion première : « restaurer des jolis et vieux bateaux », même si « il faut être un peu cinglé, je le reconnais » concède-t-il. « J'aime restaurer les jolis et vieux bateaux. Il faut être un peu cinglé, je le reconnais. » En véritable expert du marché, il déniche de belles coques et leur offre une nouvelle vie. Pour lui, seul le critère esthétique compte. Il commence par rénover Mélusine, un maquereautier gréé en cotre aurique, puis vient Galatée, un ketch en bois ayant appartenu au fils de l'écrivain Roger Vercel, Aurore, un sloop suédois en bois vernis, et enfin Karaboudjan dénommé initialement Margo III. Pascal cultive un fort tropisme pour les unités à voile mais il tombe sous le charme de ce “gentleman trawler” et se plaît à rêver de vivre à bord. Pour le trouver, il fait le tour de l'Angleterre. C'est le seul bateau qui répond à ses attentes puisqu'il associe une étrave droite à un arrière canoë.

En 2016, il se porte acquéreur du navire basé alors à Brighton en Grande-Bretagne. Il effectue un contrôle des moteurs usés puis commence sa navigation par un peu de cabotage de long de la côte sud de l'Angleterre, de Brighton à Lymington : « C'est plus facile s'il faut venir me chercher » plaisante-t-il. Rassuré sur la flottabilité du navire, il se lance ensuite dans la traversée de la Manche, « avec le numéro du CROSS dans mon portable » ajoute-t-il, toujours prudent. Après une escale à Guernesey, il rejoint Saint-Malo « par un mauvais temps de sud-ouest » et constate que le bateau « se comporte bien, dans une mer formée ». Heureuse nouvelle ! Commence un long et minutieux travail de rénovation au chantier Le Charles à Saint-Malo. Le nouveau propriétaire souhaite bien entendu préserver au maximum l'authenticité du navire et effectue quelques recherches sur son histoire. Il apprend qu'il est resté à Portland en Angleterre jusqu'en 1940. Durant la guerre, il a été équipé de ballons d'hélium qui flottaient à 100 ou 200 mètres d'altitude pour gêner les bombardements du port. Il partira ensuite à Gibraltar qui deviendra son nouveau port d'attache. Le bateau est classé “National Historic Ship” en Angleterre (et depuis 2022 il bénéficie du label “BIP” - Bateau d'intérêt patrimonial - qui offre quelques avantages). Bien des années plus tard, quand Pascal récupère le bateau à l'abandon, il fait de l'eau. Les travaux commencent donc par une mise à nu du navire pour faire une expertise complète. Il sort les gueuses et les moteurs, et contrôle toutes les varangues. Premier constat : le bateau est sain et de belle facture - coque avec des bordés en pitchpin, varangues et quille en chêne, et membrures en acacias. Il démonte le lest pour changer tous les boulons dont l'acier a rouillé, change toutes les varangues, et ajoute des vis en inox sur la coque rivetée de cuivre. Il remet la coque à nu et procède au calfatage. Voilà pour les extérieurs et la structure. Pour la partie mécanique, il refait les lignes d'arbre d'hélice, et installe un propulseur d'étrave, deux nouveaux moteurs de 100 chevaux, une direction hydraulique et tous les instruments de navigation électroniques modernes dont un pilote automatique. Le pont est stratifié, l'électricité intégralement refaite, de même que les planchers, la cuisine et la salle de bains. Il installe un groupe électrogène, le chauffage central et un ballon d'eau chaude, accessoire indispensable pour alimenter la baignoire (qui était déjà là à l'origine). Perfectionniste, l'armateur ajoute une élégante annexe à clins en bois verni qu'il déniche à Amsterdam et qu'il met à l'eau grâce à une petite grue démontable.

Enfin arrive la “final touch” : il baptise le bateau à moteur Karaboudjan, un clin d'œil au cargo du capitaine Haddock sur lequel il rencontre Tintin dans Le Crabe aux pinces d'or. Le splendide bateau est mis à l'eau le 29 juin 2018 et Pascal procède à un premier test de navigation. Avec quelques copains, il rallie Saint-Malo à Londres en 32 heures. Le résultat est sans équivoque : « tout s'est bien passé » résume-t-il modestement. Un nouveau rythme de vie commence ainsi pour Pascal et son épouse Sofie. À la fin de la belle saison, ils remontent la Seine jusqu'à Paris et s'amarrent pour l'hiver au port de l'Arsenal, à côté de la Bastille. Là, ils ont tout le loisir de profiter des joies de la vie parisienne, enchaînant visites d'expositions, concerts et soirées cinéma. Ils invitent régulièrement leurs amis, enfants et parents à dîner à bord. À chaque fois, la magie Karaboudjan opère : les convives oublient le stress urbain et partagent des soirées très conviviales. Le couple rencontre d'autres armateurs et développe une vie sociale riche et animée : « Vivre à deux sur un bateau, c'est parfait. On est dans une bulle à part. Cela permet de rencontrer des gens très différents et de sortir de notre zone de confort », explique Sofie. Le yacht offre des installations spacieuses et confortables. Sur le pont d'abord, de part et d'autre du poste de commandes, il dispose de grands espaces dégagés parfaits pour recevoir aux beaux jours. Les intérieurs sont très cosy : l'entrée se fait par le salon timonerie qui offre un poste de navigation protégé et une vue dégagée. Sous les planchers se trouve une salle moteur « remarquable par son accessibilité », observe l'armateur non sans une certaine fierté. « J'ai fait du bateau toute ma vie, et je peux vous dire que les accès moteurs sont rarement faciles. » En deux-trois mouvements, il soulève les trois planchers et tout l'espace technique devient parfaitement atteignable. Les spécialistes des moteurs apprécieront. De part et d'autre, deux escaliers : le premier, vers l'arrière, mène à deux cabines doubles, séparées par une salle de bains, le second, vers l'avant, conduit au carré et à la spacieuse cuisine. Dans chaque espace, du mobilier d'origine vient apporter de l'authenticité, mieux encore : une âme. Décoré avec goût de quelques tableaux et d'appliques Art déco, l'ensemble forme un tout élégant et cohérent, où il fait bon vivre. À l'arrivée des beaux jours, Pascal et Sofie larguent leurs amarres parisiennes pour gagner le large de la Bretagne. Ils traversent Paris puis les paysages enchanteurs qui ont inspiré tant de peintres impressionnistes : Andrésy, Vernon, Rouen, Honfleur.

« Si le niveau est trop haut, on ne passe plus sous les ponts et si le niveau est trop bas, on ne passe plus du tout. » D'une escale à l'autre, ils se calent derrière une péniche et progressent à une vitesse moyenne de 7-8 nœuds. Ils bénéficient d'un accueil fantastique des éclusiers, peu habitués à croiser des plaisanciers, surtout sur un si beau navire. Pour ce couple de marins au long cours, la navigation fluviale est une découverte, et contrairement aux apparences, elle n'a rien d'évident : « Ce n'est pas si simple car tout est lié à la hauteur d'eau des rivières. Si le niveau est trop haut, on ne passe plus sous les ponts, et si le niveau est trop bas, on ne passe plus du tout. » Autre particularité, contrairement au grand large, le pilote automatique est impossible car les méandres du fleuve et le trafic des péniches exigent une attention constante, même si l'AIS facilite la surveillance. Cela dit, pas de quart nocturne pour nos amis, puisque la navigation est interdite la nuit. Bientôt ils arrivent à Cherbourg, mais avant, un bon sens marin est requis : « L'arrivée dans l' embouchure de la Seine est parfois complexe quand le fleuve rencontre la mer, surtout en grande marée, si on a le vent de face. Nous avons eu parfois plus de deux mètres de creux », se souvient Pascal. Vient enfin Saint-Malo, et la rivière de la Rance, où ils apprécient le calme à l'abri des foules. De là, ils rayonnent vers l'Angleterre, où ils ont participé au rassemblement de motor-yachts à Henley-on-Thames, ou le long des côtes bretonnes, jusqu'au golfe du Morbihan, notamment pour la célèbre Semaine du golfe. Parfois aussi, Pascal est sollicité pour faire office de bateau accompagnateur lors de régates de voiliers classiques (la Classic Day à Saint-Briac et le Branle-bas à Saint-Malo). Un projet de navigation sur le Rhin puis le Danube vers Istanbul était également à l'étude - ils ont acheté toutes les cartes fluviales pour le préparer -, mais le Covid est venu interrompre leur rêve d'Orient. Ce matin-là, une nouvelle journée commence pour Karaboudjan et son équipage. Dans la douce lueur matinale, il quitte Dinan, la cité médiévale, pour rejoindre Saint-Malo, la cité corsaire. Le moteur démarre au quart de tour et ronronne joyeusement, avec la régularité d'un métronome. Sur chaque rive, un écrin de verdure. À la barre à roue, l'heureux armateur manie les commandes avec une grande habileté tandis que son épouse largue les amarres. Sans nul doute, Karaboudjan est une bien belle prise faite aux Anglais ! « Lors de nos escales sur la Seine, nous étions accueillis comme des princes. »

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