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Our Lizzie & Rummy III : Héroïnes de guerre

Publié le Écrit par La Rédaction
Our Lizzie & Rummy III : Héroïnes de guerre
© Armel Vrac
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En ce tout début de mois de juin, sur le canal de Caen à la mer, la météo est aussi médiocre qu'il y a 80 ans : froide, nuageuse, venteuse. L'association Bateaux de Normandie, sous la houlette de son dynamique président Laurent Clotteau, a invité une demi-douzaine de ces “small ships” réquisitionnés par la Royal Navy pendant la guerre. Ils sont les témoins émouvants d'une époque où absolument tous les moyens avaient été mobilisés pour que l'Europe recouvre sa liberté. À bord d'Our Lizzie, Geraldine Manning nous apporte un thé chaud salvateur. De sa voix toute douce, qui tranche avec son physique de pilier de rugby irlandais, Peter commence par nous avouer que c'est une sensation étrange d'être responsable d'un tel navire. Que s'il en est légalement propriétaire, il ne l'est pas complètement non plus, l'histoire le dépasse. Il se dit “Current Custodian”. « C'est un morceau de notre histoire, de l'histoire du monde. Et quand je ne pourrai plus naviguer je devrai la transmettre. Nous avons certes le droit de naviguer, mais plus grande encore est la responsabilité de la préserver et surtout de la partager . » Nous notons au passage que pour parler d'Our Lizzie, Peter dit “she”.

Nous nous faisons un plaisir de reprendre cette tradition anglo-saxonne d'évoquer les bateaux au féminin. Une forme d'élégance totalement justifiée pour une héroïne plus que centenaire. Construite en 1919, Our Lizzie, longue de 14 mètres, a déjà connu 1 000 vies mais elle semble fraîche comme une jeune fille qui aurait encore tout à découvrir. “Lizzie”, c'est Elisabeth, petite sœur disparue des frères James et John Penberthy, ses premiers armateurs. Ils ont commandé ce voilier pour la pêche au large de St Ives sur la côte nord de la Cornouailles, où il a été construit. Alors il lui en a fallu du talent et du courage pour surmonter le mauvais temps, échapper aux griffes de rochers traîtres. En 1936, avec l'avènement des chalutiers motorisés, Our Lizzie passe à la plaisance avec son nouveau propriétaire, Herbert Ward. Mais rapidement, ce dernier la cède à Francis et Helen Bevan qui s'aventurent jusqu'en Baltique. C'est là que les surprend la Seconde Guerre mondiale et que l'Amirauté Britannique les charge d'espionner les installations allemandes alentour.

En 1940, Helen Bevan sauve ce qu'elle peut avant que le bateau ne soit réquisitionné par la Royal Navy : le compas et la bible qui ont été de toutes les navigations. Our Lizzie fait partie de la flotte de 1 200 navires qui ont participé à l'opération Dynamo, l'évacuation des soldats alliés pris en tenaille dans la poche de Dunkerque. Après cet acte de bravoure, Our Lizzie voit son mât principal remplacé par un petit canon de pont pour en faire un patrouilleur protégeant la Tamise. Puis elle passe le reste de la guerre au service du Royal Army Service Corps en Écosse, sur la Clyde, transportant du matériel entre les navires et les batteries antiaériennes. Les Bevan récupèreront Our Lizzie après-guerre, en bien mauvais état, et ils finiront par la céder en 1949. L'acquéreur ayant l'idée saugrenue de rebaptiser le navire Freebooter, il faudra attendre le milieu des années 90 pour que la faute de goût soit effacée par un nouveau dépositaire. S'il ne l'avait pas fait, Peter s'en serait chargé. Car c'est en véritable gardien de musée qu'il nous fait visiter “sa” Lizzie. Passés le petit dog-house et sa banquette double où il aime veiller en compagnie de son épouse, on entre au cœur de l'histoire.

Sur les 10 000 bateaux de pêche similaires construits, seuls cinq sont encore en vie. Deux seulement naviguent, dont Our Lizzie. « Elle a impacté la vie de tellement de gens », glisse Peter dans un respectueux murmure. Alors il a fait réaliser une plaque avec les noms de tous les compagnons qui ont participé au dernier refit en date, de 2016 à 2018. Il a l'élégance de ne pas dévoiler le montant englouti. Mais les modifications comprennent le remplacement de certaines membrures et de planches de bordé, un nouveau pont et un nouveau roof, un nouveau moteur et de nouveaux équipements, sans oublier un lest alourdi de 2,5 tonnes, de nouvelles voiles et un nouveau gréement, ainsi qu'un réaménagement de l'intérieur. Pour couvrir une partie des frais et permettre à tout un chacun de naviguer sur ce monument historique, Peter et Geraldine voudraient accueillir des invités à la cabine. Mais depuis quatre ans qu'il navigue à nouveau ils ont surtout écumé festivals et commémorations.

L'important est évidemment ailleurs que dans le charter. Dans cette plaque constructeur originale par exemple, comme neuve, que le petit-fils héritier du chantier W. J. Oliver and Sons of Porthleven vient de leur envoyer avec des photos du bateau en cours de construction. C'est bien sûr la plaque de vétéran de l'opération Dynamo de Dunkerque. Et puis il y a deux ans, les petits-enfants des Bevan, qui ne connaissaient pas le bateau, sont venus à bord. Au décès de leur mère ils ont hérité de la fameuse bible originelle. Ils ont souhaité la voir retrouver le bord. Une vitrine est en cours de fabrication par le fils de Peter, charpentier de son état. Elle prendra place dans le carré à côté de celle abritant cette barrette de médailles. Les bateaux n'en n'ont pas normalement, mais Helen Bevan voulait voir à bord celles décernées à son mari pour son rôle dans la Seconde Guerre mondiale. Elle trouvait qu'Our Lizzie les méritait aussi. Croiser ces sillages chargés de souvenirs est un moment d'émotion rare, il y a une histoire derrière chaque détail.

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