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Jaguar D - Type : L’étoile rouge

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Jaguar D - Type : L’étoile rouge
© RM Sotheby's
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Une D-Type rouge vif juste pour contrarier les intégristes qui imaginent que toutes les Jaguar doivent revêtir le vert anglais. Pendant trois décennies, il a fait la pluie et le beau temps dans le ciel tourmenté de la Formule 1. De 1987 à 2017, en tant que grand argentier, il a promené sur tous les circuits du monde son masque acariâtre et sa silhouette chétive coiffée d'une tignasse grise. Âgé de 90 ans aux prunes, il possède toujours la même frange qui balaie son front. Il a aussi conservé toute sa vigueur, semble-t-il. Pendant l'été 2020, son épouse, de quarante ans sa cadette, a mis au monde un fils baptisé Ace, ce qui signifie Alexander Charles Ecclestone, en toute simplicité. Cinq fois grand-père, le vieil homme insatiable en est à son troisième mariage. On n'est pas là pour juger. Trêve de carnet rose. Si nous parlons aujourd'hui de ce retraité célèbre et renfrogné, ce n'est pas en raison de ses frasques matrimoniales, mais parce qu'il a été l'un des propriétaires d'une Jaguar surprenante par sa. .. couleur. Cette voiture a été mise à l'encan le 25 janvier dernier, à Scottsdale en Arizona, par la maison RM Sotheby's. À l'issue de la vacation, elle s'est vendue six millions de dollars. Pas mal pour une voiture de compétition qui n'a aucun palmarès et qui n'a accompagné la carrière d'aucun champion... Cette Jaguar D-Type portant le numéro de châssis XKD518 est l'une des 53 voitures du quota destiné aux pilotes indépendants, l'usine s'en était réservé 18 unités ce qui porte la production totale à 71 exemplaires entre 1954 et 1956. Officielles ou privées, les D-Type étaient avant tout des bêtes de course que Jaguar Cars, l'Écurie Écosse et quelques autres équipes ont exploitées. La majorité d'entre elles. .. mais pas toutes. Pas cette D-Type n°XKD518 qui a été vendue à Scottsdale. Celle-là échappe à toute logique. Elle n'a pas une seule victoire à son actif. Elle n'a été fréquentée que par des amateurs pas forcément éclairés. Sur le papier, elle a tout du “loser”... Le dilettantisme n'était pas la vocation de la D-Type.

Dès 1953, après les deux victoires des C-Type aux 24 Heures du Mans, le bureau d'études de Browns Lane a travaillé sur son remplacement. Et cette fois, il n'était plus question de demi-mesure. Avec la mise en place d'un championnat du monde des marques, Jaguar allait se frotter à Ferrari, Maserati, Lancia, Aston Martin, Cunningham et quelques autres poids lourds de l'endurance. L'évolution promettait d'être radicale. La D-Type était nouvelle sous tous les angles. Elle était conçue autour d'un châssis monocoque plus sophistiqué que la structure tubulaire de sa devancière. Le style était saisissant car Malcolm Sayer s'était appliqué à verser les compétences enseignées par son expérience aéronautique. À une époque où l'intuition prévalait dans le dessin des carrosseries, Sayer était le seul à avoir une véritable approche scientifique. Les formes enveloppantes, les roues carénées, l'empennage prolongeant l'appuie-tête, autant de singularités qui conféraient à la Jaguar un caractère unique. Elle avait tout pour gagner au Mans et elle ne s'en est pas privée de 1955 à 1957. “Notre” XKD518 est restée éloignée de cette quête de lauriers, à l'abri de l'appétence pour la victoire, en dehors de la tyrannie de la performance. Cette machine a cultivé sa marginalité en drapant sa rébellion dans des atours inattendus.  Pourquoi donc la direction de Jaguar avait-elle choisi ce rouge vif ? Était-ce un geste provocateur pour narguer Ferrari et Maserati qui à cette époque écoulaient avec succès des modèles compétitifs à sa clientèle sportive, la 500 TR pour la firme de Maranello et la 300 S pour sa voisine de Modène ? Jaguar voulait peut-être simplement montrer aux gentlemen drivers que la D-Type pouvait se draper dans des atours inhabituels et quitter les uniformes trop guindés du British Racing Green pour les voitures d'usine ou du Flag Blue pour l'Écurie Écosse. Dès sa sortie de l'usine de Browns Lane, le 29 décembre 1955, la D-Type n°XKD518 est envoyée chez Henlys, à Manchester. Le concessionnaire l'expose dans son showroom en compagnie de luxueuses Mark VII et de XK140 racées. Les semaines passent et les clients ne se précipitent pas. Même s'il est un peu tard pour faire un cadeau de Noël, il faut admettre que la D-Type aux tonalités révolutionnaires dérange les chalands les plus conservateurs.

Finalement, c'est un pilote raté, un homme d'affaires encore inconnu du grand public, qui se dévoue et sort la Jaguar de sa vitrine. En marge des voitures d'usine, Jaguar a livré beaucoup de D-Type, comme cette XKD518, à des écuries privées.  Bernie Ecclestone est arrivé à pas grand-chose, mais il était parti de rien. Il était né dans une famille modeste du Suffolk à l'aube des années 1930, en pleine crise économique, il avait quitté l'école à seize ans et fait des petits boulots pour réaliser son rêve : conduire une monoplace. Il y était parvenu au lendemain de la guerre en se faisant la main sur des formules junior. Mais il dut vite se rendre à l'évidence, il n'avait pas le niveau. Bernie raccrocha son casque, abandonna le pilotage et devint l'agent de Stuart Lewis-Evans, un espoir qui courut d'abord sur une Connaught avant d'être remarqué par Vanwall et engagé. Vanwall, ce n'était pas rien, cette marque allait devenir la première à décrocher le titre de championne du monde des constructeurs en 1958. Mais le jeune pilote fut victime d'un grave accident pendant le Grand Prix du Maroc, cette année-là. Bernie en fut très affecté, décida de quitter le monde du sport et se lança dans l'immobilier. C'était moins dangereux et plus rémunérateur. Mais il ne résista pas longtemps. Rattrapé par ses vieux démons, il revint dans le grand bain de la F1 en devenant le manager de Jochen Rindt. Puis en 1971, il racheta Brabham Racing Organisation et fit prospérer l'équipe jusqu'à l'obtention des deux titres mondiaux de Nelson Piquet en 1981 et 1983. Il finit par régner sur la Formule 1 à travers la FOCA qui regroupe les constructeurs engagés en F1 puis la FOPA qui gère ses droits commerciaux et sa promotion. Il tint la barre et la caisse jusqu'en 2017, date à laquelle le groupe Liberty Media reprit les choses en main. Désormais à la retraite, Bernie Ecclestone a le temps d'admirer la collection de machines anciennes qu'il a constituée.

La D-Type rouge n'en fait plus partie depuis des lustres. Avec elle, il a juste voulu faire une opération financière en la cédant dès 1956 à Peter Blond. Cet authentique britannique se prenait lui aussi pour un champion. Il inscrivit la Jaguar dans toutes les courses du royaume, de Snetterton à Aintree, en passant par Silverstone, Oulton Park, Goodwood, courant en vain vers un succès qui ne vint jamais. Lassé, il vendit la D-Type en août 1957 à un certain Jonathan Sieff qui espérait faire mieux et qui s'entêta jusqu'à la fin de la saison 1958. Mais le talent ne s'improvise pas et, pendant que les aspirants champions se brûlaient les ailes, le bolide rouge prenait des rides. Se succédèrent ensuite Monty Mostyn, John Houghton, Jean Bloxham, des noms qui ne disent rien à personne, des anonymes qui se repassaient une voiture d'occasion devenue hors d'âge.  En mai 1961, Jean Bloxham eut encore des velléités sportives et l'engagea dans une course mineure à Silverstone. Et le défilé reprit : John Coombs, Richard Wilkins, Clive Lacey. Rien que des infidèles. Des amants pressés qui ne voulaient pas s'attacher à une gloire décatie. Des opportunistes qui ne cherchaient que des aventures furtives. Des liaisons fugaces. Soudain sur la liste des soupirants surgit un nom qui raconte quelque chose aux plus de vingt ans. Peter Grant. Une figure de la pop anglaise. Après avoir accompagné les Yardbirds, il est devenu le manager de Led Zeppelin et a donné une dimension internationale au groupe. Il l'a installé dans les mouvances et les excès des années 1970. L'automobile attire beaucoup de stars de la musique. On connaît la passion éclairée de Nick Mason, grand collectionneur, ou celle de son collègue Steve O'Rourke, manager de Pink Floyd, qui a créé son écurie et sa marque. Sans parler de John Lennon et de sa Rolls psychédélique, de George Harrison et de sa Mini ou de Janis Joplin et de sa Porsche. En fait, la XKD518 était tout simplement la plus rock n' roll de toutes les Jaguar.

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