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Joël Dupuch : Le gamin du bassin

Publié le Écrit par La Rédaction
Joël Dupuch : Le gamin du bassin
© Marc de Tienda
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Un matin d'hiver bien chargé sur l'estey des Jacquets, des traces de pas bien profondes marquent déjà au lever du jour la petite bande de sable longeant les cabanes ostréicoles. Rien de surprenant en cet endroit, Joël Dupuch est déjà debout et savoure pleinement ces moments de grâce, s'émerveillant chaque jour de ce que lui offre Dame Nature. Sa terrasse étant face à l'est, ses yeux bleus embrassent l'ensemble du bassin d'Arcachon avec cette grande dune du Pyla comme ponctuation de son tableau matinal. Chaque jour il lui est donné de contempler une toile différente avec une palette de couleurs des plus variées. « Il n'y a pas de hasard, que des rendez-vous. J'aime la magie de l'instant, des premiers contacts. » Sa présence sur ce bout de presqu'île est des plus naturelles, sa famille étant là depuis six générations. Il a vécu depuis toujours sur ces cultures de mer, élevé au milieu d'une tribu, famille, d'amis et voisins, foulant le sable, les allées couvertes de coquilles blanchies en toute liberté et bienveillance. De quoi forger une personnalité lui ouvrant un panorama des plus vastes dans son parcours de vie, un espace qu'il parcourt avec gourmandise, curiosité et un désir insatiable de partage et de rencontres. Croiser le géant des Jacquets est comme s'asseoir un moment dans une maison en bois en face du poêle. Une chaleur vous enveloppe comme une couverture et sans calcul, à ce moment donné, vous montez à bord de son bateau pour un bout de voyage. La notion de l'instant, la valeur de celui-ci est primordiale pour Joël. Cela peut être très bref, comme un selfie avec un fan des Petits Mouchoirs, ou durable. L'instant du premier contact, la générosité, la sincérité feront leur ouvrage. La durée de celui-ci n'en fera pas la valeur, l'intensité oui. Joël n'aime pas forcer les rencontres. Tel Éluard, il pense plutôt : « Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. » Ce gamin voit toujours l'aventure au bout du chemin et toute sa vie s'est articulée sur cette curiosité, cette soif de découverte avec une liberté de décision qui parfois l'amène à de gros orages, quittant la maison familiale après une “engueulade” mémorable avec son père. La vie n'a pas été toujours douce sur son parcours, mais les principes familiaux de toujours rebondir sont ancrés. Même les terribles catastrophes économiques tombées sur le monde ostréicole tels les fléaux sur l'Égypte ancienne ne l'ont pas abattu. « Avec ma mère, c'était tu as deux bras, deux jambes et ta tête alors vas-y » ou « Tu recommenceras ». Marin ou ostréiculteur, la dureté du travail, comme un Dupuch, il connaît.

 Son attachement profond aux Jacquets le ramènera sans cesse sur son estey même après un séjour aux Antilles, un paradis hors de son bassin vivable pour lui, surtout pour suivre un de ses amours. Toujours aussi humain, il préfère là-bas vivre au milieu des Antillais pour mieux les rencontrer et s'enrichir de leurs valeurs et de leur joie de vivre. Une intégration facilitée par la pratique du rugby et une place de directeur commercial au sein de l'institution des rhums Trois Rivières. En 1987, retour en terre d'Aquitaine moins alambiquée, mais restant une terre de cocagne sur laquelle il reprend une affaire. En suivant, retour à la production familiale, retrouvailles avec son père et son paradis originel. L'homme, tout romantique et sensible qu'il paraisse, est aussi dans l'action, passant avec enthousiasme de président des syndicats d'ostréiculteurs à vice-président de la Chambre de commerce de Bordeaux comme celle de l'organisation professionnelle d'Aquitaine pour son secteur de prédilection. Plusieurs affaires et jusqu'à 35 salariés dans son “équipage” l'occupent pleinement jusqu'à la crise du “test de la souris” simplifiant sa vie jusqu'à le rendre aussi couvert que le pauvre Job. Sa cabane reste malgré tout un palais à ses yeux, sa famille et ses amis, sa vraie richesse. Même touché, le gamin du bassin garde sa fraîcheur, les maximes de sa mère en tête, et dévore des livres comme celui de Philippe Labro, Tomber sept Fois, se relever huit , le confortant dans sa façon de voir la vie. « Ce bouquin m'a fasciné, m'a permis de sortir, de remonter la pente, de me redécouvrir et de connaître ma valeur. » Ses lectures sont variées, allant de la BD d'Enki Bilal à Cyrano de Bergerac dans lequel il replonge au moindre temps de pause. Joël se fait fort de faire ses propres opinions, d'apprécier quels que soient les avis des gens “autorisés”. Ainsi il parlera avec la même émotion de ses coups de cœur des grands classiques comme de la découverte de Sauveterre de Jean Larteguy. « Je ne m'interdis rien, je prends les chemins par curiosité et par envie. Je vais vers les gens... » L'instant, l'émotion, l'authenticité l'emmènent sur bien des rails parfois loins de ceux se tortillant dans les allées étroites des villages de la presqu'île. Ceux des travellings du cinéma seront ceux d'une autre destination. Un ami et voisin remarquable, Philippe Starck, lui présente Guillaume Canet. Une idée des plus lumineuses comme à son habitude. Le cinéaste, sans doute séduit par sa rencontre, ses qualités, son goût du partage, les tables joyeuses, l'embarque dans un autre univers. Une découverte de plus, une féerie de plus pour le gamin du bassin comme quand il s'incrustait au sein des musiciens de jazz lors d'un festival, sous la bienveillance de Maxim Saury. Qui penserait que cet homme de mer, ce paysan du grand banc, en plus de ses lectures, s'évade aussi en jouant allègrement du saxo, de la guitare ou du piano ? Fan de jazz, les Claude Bolling, Sidney Bechet côtoient aussi bien dans son cœur les interprètes des chansons françaises.

 En 2005, à la naissance de sa fille, il écrit sa chanson Bonjour Jeanne pour fêter la bienvenue d'un bonheur de plus dans sa vie. Guillaume Canet l'a même prié de la rejouer dans Les petits Mouchoirs . Cet optimiste convaincu ne s'interdit rien, n'aime pas les barrières, son goût de la découverte l'amènera aussi bien sur un événement de la Maison Vuitton ou chez des Bourguignons prestigieux pour présenter le produit de ses cultures que sur le chantier d'un copain dont les travaux ralentissent un peu, les compères refaisant le monde sur des airs de jazz. Il n'est pas prisonnier « du prestige, du luxe ». Sa richesse n'est pas matérielle, son luxe se trouve au pied de sa cabane sur cette langue de sable secouée par les marées du bassin, son carburant est fourni par ses échanges humains avec tous ceux capables de l'accueillir tel qu'il est, ayant pour eux toute absence d'a priori ou d'étiquettes. Depuis 2008, il dirige une exploitation ostréicole, les Parcs de l'Impératrice, créée avec deux associés et bien sûr implantée aux Jacquets. Un nom qui n'est pas choisi au hasard pour un clin d'œil à Napoléon III, grand rénovateur de cette région sous son règne. Encore des références à l'ancrage, aux valeurs. Joël avec sa soif de liberté reste un homme de société, un républicain s'appuyant sur les fondamentaux. L'harmonie doit s'organiser autour de l'histoire, autour du travail, avec les gens qui vivent là. « L 'homme travaille la terre, et la terre façonne l'h om me » aime-t-il à répéter. Le cœur, le courage et la générosité sont des mots souvent prononcés dans les échanges chaleureux ou lors de colères qu'il qualifiera de gasconnes car terribles comme le golfe éponyme. « Ma vraie richesse c'est de rencontrer les gens pour un instant à durée indéfinie. » Ce golfe qu'il respecte pour l'avoir parcouru dans ses bons et mauvais moments, goûtant sa beauté, sa magie et craignant ses tempêtes. Pour rendre service à des plaisanciers, l'homme de mer n'hésitera pas à ramener seul un First 38 en Espagne, accostant comme une fleur devant des marins peu bavards en pleine expertise de l'arrivée du grand blanc. Comme de bien entendu, il se retrouve embarqué avec ceux-ci pour des prolongations festives, entre gens de mer partageant le même espace. Encore une question d'instant, de saveur, de moment partagé comme toujours. D'Ormesson parlait d'un “train de la vie”, Joël Dupuch prend toujours des trains sans crainte, sans parfois connaître les gares à traverser, sans fixer forcément de rendez-vous ou prévenir. Ainsi pour le gamin du bassin, le monde semble sans limites, toujours à découvrir, juste au bout du chemin ou de la dune.

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